Le pays des phrases courtes n’est pas un roman à proprement parler. Il s’apparente plutôt à une sorte de journal, mais qui ne serait pas daté.
C’est aussi le titre donné à une des parties (à partir de la page 198). Enfin c’est encore la référence à un Hymne qui clôture l’ouvrage.
Sa couverture est typique de la maison d’édition, évoquant les ronds dans l’eau, des ondes provoquées par un texte qui résonnerait comme une vois ou, pourquoi pas, l’ouverture de guillemets. L’illustration laisse deviner une femme (la narratrice) assise avec sa monitrice sur le capot de la voiture.
C’est que les leçons de conduite occupent une place considérable dans son récit, à la fois en pages et en symbolique puisqu'elles stigmatisent son incapacité à faire ce qu’on attend d’elle. Depuis que j’ai passé mon code, je passe de moniteur en moniteur dans une course de relai désespéré. (…) je les détruis psychologiquement (p. 83).
La pauvre nous confie avoir le mal des transports y compris quand elle est elle-même au volant.
S'acharner à passer le permis de conduire n'est pas son seul souci. Ils s'épuisent, elle et son chéri (comme elle dit) par les nuits d’insomnie à tenter d’endormir leur fils. Enfin elle est également préoccupée par son intégration dans une région qui, certes, semble particulière : Se sentir invisible ou rejetée ? Quel est le pire ?
Paradoxalement, ils ressentent une sensation récurrente d’étouffement alors qu'ils sont au grand air, dans une communauté sensible à l’écologie, au paysage marqué par des dunes et des éoliennes, la petite ville de Velling située dans le Jutland, à l’ouest du Danemark, où la narratrice a dû suivre son compagnon, enseignant dans une école alternative.
L'auteure parodie les classiques de la chanson danoise tout en offrant à son héroïne la rubrique du courrier des lecteurs dans le journal local. Ses conseils sont supposés résoudre quelques situations délicates : un couple aimant mais aussi dysfonctionnel que les autres, un désir troublant et polymorphe, des amis traversés par les paradoxes et autant de pensées inavouables qu’elle décortique avec malice.
Les oiseaux migrateurs survolent le pays des phrases courtes (p. 163). C'est elle-même qui surnomme ainsi la région. Si les chapitres sont brefs, les siennes (de phrase) en tout cas ne le sont pas et certaines tournures sont inhabituelles : Quand je parle avec les gens, je ressemble à quelqu’un qui part au front. Je suis trop excitée, seule dans ma soupe de bruits, me présentant à eux comme un rôti de porc en tranches sur un plat, comme une glace fondue piquée d’ombrelles ridicules (p. 26).
Les mots ayant une importance capitale ce livre combine à la fois une réflexion sur le processus d'écriture et sur les relations humaines : Tu souffres d’associations flottantes (… et) tu répètes tes erreurs avec une persévérance presque admirable. Compte jusqu’à dix avant de parler, des phrases courtes et moins d’images. Pour finir par dire: tant qu’il y a des mots, il y a de l’espoir (p. 208).
Elle parvient parfois à formuler de justes remarques en mettant de côté (ou en s’appuyant sur) ses crises existentielles. Bien sûr il faut y voir beaucoup de second degré mais l’auteur nous accroche du bien qu’on croit que la narratrice est une vraie personne et pas un personnage de fiction.
Parmi les conseils qu’elle reçoit de son mari :Personne ne se soucie de savoir comment tu vas. Souviens-toi de çà (p. 28).
Parmi les conseils qu’elle donne aux correspondants de la Boîte aux lettres :Fais preuve d’indulgence. L’harmonie n’est pas l’apanage de tout le monde (p. 31).
Je travaille quotidiennement à mon arrogance qui, je l’admets moi-même ne profite pas non plus à ma personnalité. Je prends note de ton opinion, mais je n’aime pas le ton de ta lettre (p. 133).
La colère masque souvent d’autres sentiments et en général il s’agit de faim, de tristesse ou d’anxiété (p. 234).
Ce livre dépaysant est aussi un manifeste écologique comme en témoigne la diatribe contre les lingettes (p. 247). J'attends néanmoins le second roman pour finaliser mon regard sur cette jeune actrice, à l'avenir très probablement prometteur.
Née en 1984 à Aarhus, dans le Jutland, Stine Pilgaard est une autrice maintes fois primée au Danemark. Son premier roman, Min mor siger (« Ma mère dit », 2012) a été récompensé par le prix Bodil and Jørgen Munch-Christensen tandis que Lejlighedssange (« Chansons de circonstance », 2015) a eu un grand succès en librairie. Couronné par la critique, Le pays des phrases courtes, ce premier roman traduit en français, a reçu le Prix des Libraires danois en 2020.
Le pays des phrases courtes de Stine Pilgaard, traduit du danois par Catherine Renaud, Le Bruit du monde, en librairie depuis le 5 mai 2022