Bombe(s)

Publié le 14 mars 2023 par Jean-Emmanuel Ducoin

Retraites : toutes les catégories sociales expriment leur refus.

Nasse. Les mensonges éhontés comme les ruses politiques de bas étage laissent toujours des traces. Même le quotidien du soir le Monde, dans un éditorial assez cinglant, le notait ainsi cette semaine: «Qui comprend encore la finalité du projet de réforme des retraites qui a été tour à tour présenté comme le moyen de financer les grands chantiers du quinquennat, puis comme la condition sine qua non pour sauver le régime par répartition, puis comme une façon de renforcer “la justice sociale” et “l’équité”?» Ironique, le journal ajoutait: «Au point d’incompréhension où il est arrivé, le mieux que peut espérer l’exécutif est que “Les Républicains” acceptent de lui sauver la mise la semaine prochaine à l’Assemblée nationale. Il n’en est même pas sûr.» Mac Macron et sa Première sinistre sont dans la nasse, d’autant que, par une malice délicieusement orchestrée, la majorité sénatoriale de droite débutait l’examen du report de l’âge légal de départ à la retraite (le fameux article 7) au lendemain même où les syndicats réussissaient une nouvelle démonstration de force dans la rue (plus de 3 millions de manifestants) et par les grèves (massives), une journée qui constituera, quoi qu’il arrive, l’un de ces moments historiques de notre Histoire sociale.

Rejet. Nous voilà donc «aux jours d’après», assurément les plus décisifs, sachant que la bataille de l’opinion paraît définitivement perdue pour Mac Macron. Une passionnante enquête d’opinion réalisée par le collectif de chercheurs Quantité critique conforte ce qui n’est plus une impression, mais bien une réalité. «L’opposition à la réforme, qui ne cesse de s’intensifier, touche toutes les catégories d’actifs et est majoritaire chez toutes les personnes en activité», signale d’emblée l’étude. Ce rejet massif, certes plus fort dans les professions intermédiaires, les employés et les ouvriers, reste ultradominant aussi chez les cadres: 64%. Vous avez bien lu! Signalons que cette opposition est moins nettement dominante chez les 65 ans et plus (43% favorables, 44% opposés) et évidemment chez les personnes déclarant un niveau de revenus nets supérieur à 4000 euros par mois (51% favorables, 42% opposés). Le collectif Quantité critique précise: «Le soutien aux manifestants, aux grèves et aux blocages atteste de la perte de légitimité du gouvernement et de la possibilité d’un élargissement de la contestation dans les jours à venir.» La seule vraie interrogation, en vérité.

Tournant. L’étude nous apprend par ailleurs un fait qui n’a rien d’anodin: le rejet de la réforme est très proche dans le privé (69%) et le public (74%). Le collectif reconnaît que, «loin de se concentrer dans des foyers de contestations classiques, le combat touche toutes les catégories d’actifs à des niveaux très élevés», ce qui renverrait directement à «la détérioration des conditions d’emploi et de travail». Personne ne montrera son étonnement de savoir que l’opposition atteint 82% chez celles et ceux qui ont choisi quatre qualificatifs négatifs parmi les quatre suivants («stressant», «dangereux», «répétitif» et «fatigant») pour décrire leur propre activité professionnelle. Selon le collectif, pas de doute: «La volonté de s’émanciper de la marchandisation du travail est au cœur du débat»,bien qu’il ne faille pas confondre secteurs d’activité (fortement syndicalisés) et individus. Ces derniers, souvent isolés et pas toujours armés pour se mobiliser, alimentent l’opposition dans les sondages mais, sans surprise, constituent dans le même temps une sorte de frein à l’action. Dès lors, nous le savons tous, le mouvement se situe à un tournant entre «la grève par procuration», dont témoignent 46% d’actifs soutenant la contestation sans y participer, et le recours à la grève (40%), à la manifestation (43%) ou aux actions de blocage (35%). Le bloc-noteur n’oublie pas deux autres chiffres. Le premier vient lui aussi de l’enquête de Quantité critique: 15% des actifs n’ont pas encore participé à la mobilisation mais se disent «prêts à le faire». Le second est issu du sondage Ifop réalisé pour l’Humanité: 65% des Français se déclarent «favorables» à la grève reconductible. Une véritable bombe sociale et politique.

[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 10 mars 2023.]