Cet homme-là n’est décidément pas un musicien comme les autres. Non content d’être un instrumentiste hors pair dont témoigne son parcours brillant, il est un interprète habité dont la passion pour la musique est des plus communicatives. Quelques lignes consacrées au violoncelliste Xavier Gagnepain et à un disque hautement recommandable, «L’œuvre pour violoncelle et piano» de Gabriel Fauré.
C’était en 1997, durant la deuxième quinzaine de juillet, aux Arcs 1800, station des Alpes qui vibre depuis de longues années du travail de musiciens venant participer chaque été à une académie renommée. Mes connaissances en musique dite classique étaient à cette époque assez limitées – elles sont aujourd’hui… basiques – mais suffisamment développées toutefois pour que ma «truffe» de mélomane tout terrain fût capable de détecter une pépite, quand bien même celle-ci n’aurait pas appartenu à un genre suffisamment exploré de ma part, me permettant ainsi d’émettre une opinion que j’accepte de considérer comme valable aujourd’hui. Bien entendu, le vacancier randonneur que j’étais n’était pas arrivé là muni de ses instruments de musique, partant du constat implacable qu’à l’exception d’un harmonica avec lequel je jouais «L’hymne à la joie» à l’âge de cinq ans devant mes camarades de classe, il m’a toujours paru surréaliste d’imaginer que je puisse, un jour, produire un quelconque son avec n’importe lequel d’entre eux (je parle ici des instruments de musique et non de mes camarades, qu’un bon coup de pied dans les tibias pouvait assez aisément transformer néanmoins en cornemuse ou en clairon). Il en va chez moi de la musique comme du bricolage, c’est une langue étrangère que je ne parviens pas à parler correctement et dont la difficulté attendue selon moi est telle qu’il vaut mieux en laisser la pratique à tous ceux qui, par leur don et leur travail, sauront parvenir à un résultat qui me satisfait amplement et ne nécessite de ma part aucune autre intervention que celle d’une écoute attentive et d’une éventuelle communication à d’autres d’une passion pour mes disques de prédilection ou des musiciens que je révère.
Fin des prolégomènes, revenons au sujet du jour, Xavier Gagnepain. Je crois bien que c’est son interprétation, cette année-là, de la «Sonate Arpeggione» de Schubert qui m’a mis la truffe à l’oreille (remarquez la souplesse de mes organes vitaux) : j’avais devant moi un musicien qui semblait littéralement transporté par la musique qu’il jouait, on entendait sa respiration accompagner les mouvements de l’archet, on voyait ses yeux regarder vers un ailleurs qui paraissait magnifique, son sourire nous disait qu’il avait trouvé ce quelque chose que tant d’autres recherchaient encore. J’avais face à moi l’image d’un artiste habité, dont la vibration était des plus communicatives et nous donnait l’envie, sans attendre, de compulser le programme du Festival pour repérer sa prochaine apparition et nous précipiter vers la porte du chapiteau de toile où, chaque jour, une soirée musicale était proposée aux estivants.
Sept fois. Je suis revenu sept fois aux Arcs pour prendre un grand bol d’air et effectuer cette petite cure bienfaisante de musique. Sept années durant lesquels Xavier Gagnepain n’a jamais fait faux bond. A chaque fois, le plaisir de sa vibration s’est révélé dans toute son intensité, et ce d’autant que les répertoires choisis lors des concerts n’étaient pas toujours des plus faciles à appréhender. Il y a chez ce musicien un côté défricheur qui me fascine et j’apprécie tout particulièrement sa faculté à enchaîner naturellement le consensuel Mozart et un compositeur contemporain dont les œuvres n’iront pas forcément vous chatouiller dans le sens des poils de vos lobes.
Dans ces conditions, vous imaginez bien que la publication d’un disque consacré à l’œuvre pour violoncelle et piano de Gabriel Fauré allait forcément retenir mon attention à partir du moment où Xavier Gagnepain en était l’un des interprètes. Pourtant, j’avais quelques craintes a priori : le disque allait-il restituer correctement cette intensité propre au concert ? Allais-je deviner par la seule écoute les yeux extatiques, les mimiques ? Cette galette chimique saurait-elle être le bon vecteur des émotions que nous avions partagées depuis tant d’années ?
Eh bien… oui ! Parce qu’au-delà d’une prise de son parfois approximative – talon d’Achille de trop d’enregistrements de musique classique – des filets de laquelle le piano de Jean-Michel Dayez ne sort pas toujours indemne, paraissant parfois un peu brouillé – ce disque constitue un vrai moment de bonheur musical et nous délivre un magnifique cocktail dont les ingrédients s’appellent intensité, intimité, lyrisme, romantisme, mais aussi pudeur et nostalgie. Le pari est gagné et l’on vibre comme si les deux musiciens étaient devant nous. Fauré disait : «La musique consiste à nous élever le plus haut possible au-dessus de ce qui est. Je porte en moi un certain désir des choses inexistantes». Ce disque constitue une réponse en parfaite harmonie avec l’ambition du compositeur qui aurait, soyons-en certains, approuvé pleinement une aussi belle lecture de son œuvre. Il aurait forcément salué le talent de Xavier Gagnepain à peindre avec autant d’expressivité toutes les couleurs de sa musique.
A vous de plonger maintenant !
Pour aller plus loin…
Une rapide biographie de Xavier Gagnepain
A la suite de ses succès dans des concours internationaux réputés tels Munich ou Sao Paulo, Xavier Gagnepain, disciple de Maurice Gendron, entreprend une double carrière de soliste et de chambriste. Il est invité par des orchestres renommés de la scène européenne, joue régulièrement avec la pianiste Hortense Cartier-Bresson et est le violoncelliste du quatuor Rosamonde. En 1996, Xavier Gagnepain fut le premier à interpréter en concert les 12 pièces sur le nom de Paul Sacher, sommet jusqu’alors inaccessible du répertoire contemporain pour violoncelle seul. Sa discographie comprend aussi bien des concertos que de la musique de chambre allant du duo au sextuor. Passionné depuis toujours par l’enseignement, il réserve une large part de son temps à la pédagogie. La réputation de sa classe de troisième cycle au CNR de Boulogne-Billancourt et de ses nombreuses masterclasses lui ont valu la commande d’un livre par la Cité de la Musique. L’ouvrage, paru sous le titre "Du musicien en général… au violoncelliste en particulier" connaît un vif succès.
Le disque : Fauré : L’Œuvre pour violoncelle et piano
Xavier Gagnepain, violoncelle ; Jean-Michel Dayez, piano.
Zig-Zag Territoires ZZT070602, distribution Harmonia Mundi
On peut l'acheter ICI, par exemple…
Un petit extrait pour vous allécher : «Après un rêve»…
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 17 décembre à 10:00
Est-ce que ce Gagnepain là aurait un lien de parenté avec feu le professeur Jean Gagnepain. Si oui, cela tendrait à prouver que le charisme pédagogique est inné.