- Monsieur! Monsieur! Restez avec nous! Vous m'entendez? Restez avec nous!
Dans la nuit du 8 au 9 juillet 1998, Simon Thierrins est touché par un éclair, projeté par un clown, alors qu'il rentre chez lui. Ce n'est que dans l'après-midi du 9 juillet 1998 qu'il reprend connaissance et voit devant lui son fils cadet David:
Ce fut grâce à David que, dans les jours qui suivirent, il put reconstruire la journée du 8 juillet.
Simon, sa femme Lucie et leurs deux fils, Maxime, l'aîné, et David, s'étaient rendus sur leur île, située dans un méandre de la rivière, au pied d'une falaise de molasse: un affleurement de galets, de sable, de limon, d'herbes et d'arbustes.
En fait Simon avait découvert cette île dans son adolescence. Il y avait emmené Lucie après qu'ils ont fait co-naissance et, pour la première fois, ils avaient été nus l'un devant l'autre et avaient fait l'amour. Après quoi ils s'étaient mariés.
Cette fois, tous les quatre, en famille, ils étaient allés sur l'île pour fêter l'anniversaire de David, né le 7 juillet 1979, dix-neuf ans plus tôt. À leur retour ils étaient tombés dans un guet-apens et David et Simon en étaient les seuls rescapés.
Peu à peu le lecteur, effaré, apprend que c'est David le coupable. Ce fils en perdition - il s'est drogué et a fait ce qu'il fallait pour se procurer les moyens de son addiction - voulait enfin changer de vie et, pour cela, hériter seul de ses parents.
Peut-être, parce que lui-même et son frère Denis ont subi les colères et les coups de leur propre père, qui aurait pu, en échappant à ses démons leur montrer son amour, Simon ne veut-il pas se conduire de même avec David, quoi qu'il ait fait.
L'amour d'un père pour son fils échappe à la raison. De même que celui du fils pour sa famille. Car David, même si ses méfaits disent le contraire, frère 1 son père, sa mère et son frère. Et le pardon est insuffisant pour exprimer cet amour fou.
Au cours du procès est lue une lettre de Simon, adressée à David, au nom de Lucie et au sien: Tu as fait ce que tu as fait et tu es la chair de notre chair, l'os de nos os. Quand je pense, et j'y pense sans fin, à ce qui est arrivé, je suis en colère:
Pas contre toi. Mais contre le mal qui est en nous.
Dans un compte-rendu du procès, un journaliste demande que la loi serve de garde-fou contre un tel criminel et, commentant cette lettre, fait allusion, sans la citer, à l'Allégorie du Pélican, d'Alfred de Musset, où ce passage explique le titre:
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur;
L'océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son coeur.
Francis Richard
1 - Le verbe frèrer est employé par Jacques Brel dans sa chanson Jojo.
La Folie du pélican, Jean-François Haas, 336 pages, Bernard Campiche Editeur