Ces lignes sont les dernières pages de mon journal malgache...
Le début, c'est par ici, la deuxième partie c'est par là, et la troisième est ici.
Samedi 10 décembre - la veille du départ
À la veille de mon départ de Madagascar, alors que j'ai un brin de temps libre devant moi, je souhaite consigner mes coups de cœur de ce si intense et si beau voyage :
*J'ai aimé ne pas tout savoir, le voyage était si long, j'ai été si malade avant de partir que je n'ai pu tout préparer comme je l'aurais fait par ailleurs, et ce fut une chance. J'ai eu l'impression, renouvelée, d'être dans " Rendez-vous en terre inconnue " - j'ai été surprise à tant de reprises par ce que j'ai vu et vécu.
*La beauté des couchers de soleil à Nosy Be. Mieux que sur les cartes postales !
*La perfection des îles de Nosy Iranja, îles jumelle de sable blanc sur eaux turquoise - là encore, c'est plus beau que les plus beaux clichés tropicaux.
*L'incroyable surprise de sentir un lémurien au contact de mon corps à Nosy Kumba - pourtant pourtant...
*La force, violence inouïe, de l'orage qui tombe à quelques mètres de ma cabane à Nosy Kumba.
*La nage au-dessus des puissantes et sereines tortues marines centenaires dans l'herbier de Nosy Sakatia.
*Coup de cœur absolu pour l'hôtel Iharana Bush Camp : emplacement, aménagement, accueil des équipes, respect de l'environnement - tout y est parfait. Les larmes montent à son simple souvenir.
*La balade Tsingy Tinsgy dans l'Iharana, sous le charme absolu de ces roches improbables et puissantes.
*La rencontre avec les baobabs de Cap Diego, magnétisée, front collé sur le tronc. Mon ventre savait avant ma tête qu'une guérison était en cours.
*La balade sur les hauteurs de Tana avec Sitraka, cet ancien orphelin aujourd'hui guide, qui a tant à partager...
*Le premier regard si positif de (et sur) Naina, je l'apprendrai plus tard le président de l'association des guides de Morondava, et la confiance qui se dégage de lui.
*La première traversée de l'Allée des baobabs, je suis tellement connectée à ces arbres.
*L'incroyable cache-cache avec le lémurien nocturne microcèbe dans la réserve communautaire du Camp Amoureux. Rien n'est pipé, tout est merveilleux dans cette rencontre.
*La balade dans la mangrove du Kivalo, près de Morondava, avec l'extraordinaire Mamy qui guide chant et pirogue.
*La soirée dansée et chantée dans le village de Manguily avec le groupe de Mamy, partage, partage, partage, joie, joie, joie.
*Ce même groupe à l'arrière de " ma " voiture le lendemain matin pour aller au studio d'enregistrement à la prochaine ville et ces mots si sages d'Alfeo en réponse à mon interrogation. Moi : " Comment auriez-vous fait, sans ma voiture, vous y auriez été à pied, car vous n'aviez pas le choix? " Lui : " Si, on a le choix, celui de rester au village. "
*Les trois nuits tant appréciées à Belo-sur-Mer, les si elles discussions avec Laurence, autrice à succès et passeuse de culture malgache, une telle perle.
*Le cours d'anglais contre cours de Malgache à Belo avec Jean-Pierre, charpentier et guide en devenir.
*Le ciel gris et superbe sur la pirogue de Niru dans la mangrove près de Belo, juste avant la tempête.
*Le vendredi magnifique de Morondava, où j'ai tant dansé et tant écouté les voix si agréables de Mamy et Théo en karaoké ou a capella par-dessus les musiques de la boîte de nuit. Mamy qui vient en soirée en charrette à zébus et qui repart à 4 heures du matin à pied pour le village.
*La puissance des arbres ressentie si fortement lors de la seconde visite de l'Allée des baobabs.
*Le premier éblouissement du vert chlorophylle des rizières en terrasse sur la RN7.
*La soirée inattendue à discuter avec Valérie de l'hôtel Thermal, miroir en tant de points, jusqu'aux prénoms de nos fils, incroyable !
*La rencontre avec le talentueux photographe Pierrot Men à Fianar, j'apprends dans le guide qu'il vit ici, je l'attends et heureusement : beauté immense de ses œuvres, humanité immense de sa personne.
*Le marché aux zébus d'Ambalavao : j'attire presque plus de regards que les zébus !
*La rencontre avec les lémuriens Maki Catta de la réserve communautaire d'Anja, à Ambalavao. Ils ne sont pas domestiqués et je peux pourtant si bien les côtoyer, magie du moment !
*Les beautés époustouflantes du parc de l'Isalo : roches puissantes, eaux magnifiques, gorges superbes... variété et magie des paysages. Belle rencontre-connexion avec Dolphin, le spirituel est présent, je finis chez un guérisseur Bara - rencontre espérée et où j'apprends finalement si peu.
*Ce moment où je tire le tarot à mon guide Harry, je tombe si juste... comme avec Farouk quelque jours plus tôt.
*La journée en mer inattendue au large d'Ifaty avec Tintin. Superbes paysages, superbe rencontre, superbe point final de cette longue route du sud.
Lundi 12 décembre - depuis l'aéroport de Tana
Je n'ai réalisé que tardivement, en m'enregistrant pour mon vol je crois, que je quittais Madagascar. Ce matin, alors que je roulais dans les banlieues de Tana, à l'orphelinat AINA ou même pour le déjeuner, je ne réalisais pas. J'étais encore 100% au présent. Entièrement absorbée par ce qui m'entourait et uniquement occupée à être présente. Entièrement dans les discussions avec mon guide Maxime ou à observer les paysages.
Et puis me voilà à l'aéroport (petit froid et vide) de Tana...
J'ai déjà listé l'essentiel de ce qui m'a plu à Mada. Farouk m'a demandé il y a quelques minutes au téléphone : " Pourquoi vous les Vazaha vous dites souvent qu'un voyage à Madagascar c'est spécial ? ". Vaste et juste question.
La beauté des paysages, intouchée jusqu'à il y a si peu de temps, quand on sait que les humains n'ont peuplé Madagascar qu'il y a moins de deux mille ans. Ces paysages si variés, si puissants - montagne, forêt, mer, rizière, plateau, savane... le tout si proche. Les somptueux arbres, baobabs en tête. Les lémuriens bien sûr, les zébus aussi. Et la beauté des gens, tellement mon genre de beauté, ces visages entre l'Asie et l'Afrique, les deux continents que je connais si bien, ces visages superbes et eux aussi si hétérogènes. Ces manières de vivre si éloignées de nous, si multiples elles aussi : le piroguier Vezo de la côte Ouest me parait si éloigné du musulman Ankanara de Diégo, du Merino aux cheveux lisses de la capitale ou du Franco-malgache de Nosy Be. Pourtant, ils sont tous malgaches... Tant de manières d'être et de vivre contrastées.
Madagascar laisse un énorme point d'interrogation en moi. Comment un pays aussi dysfonctionnel peut-il encore tenir debout ? Tant de corruption, tant d'inégalités, tant d'impossibilité pour la population, tant de richesses spoliées, tant de misère, tant de services publics défaillants et intégralement désinvestis.
Beau et complexe pays. Superbe et difficile Madagascar.
De retour à Paris - peut-on voyager à Madagascar aujourd'hui ?
La question ne m'a pas quittée pendant ma mission et s'est affichée en lettres fluorescentes dans mon cerveau dès mon retour : peut-on voyager à Madagascar aujourd'hui ?
J'en ai conscience : l'urgence climatique est le grand challenge de notre société et, surtout depuis le premier confinement, je sais que le tourisme ne peut ignorer cette réalité. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de quitter mon précédent emploi ( j'en parlais ici), je souhaitais contribuer différemment au monde de demain que nous avions appelé si fort au printemps 2020. Alors que je pensais laisser le tourisme derrière moi et me consacrer à l'écriture, le voyage est revenu à moi quand je ne m'y attendais pas. On m'a apporté sur un plateau la possibilité d'écrire pour les pages Tourisme Durable de TV5 Monde et puis celle de devenir autrice pour les Guides Petit Futé. Avant chaque mission, je me suis questionnée : suis-je en train de contribuer au monde que je souhaite pour mes fils ?
À propos de Madagascar, la question est entière : alors qu'onze heures de vol sont nécessaires pour rejoindre Antananarivo, avec une telle empreinte climatique, ne doit-on pas condamner d'avance l'idée de voyager à Madagascar ?
La réponse n'est pas simple. D'un point de vue empreinte climatique personnelle, elle l'est pourtant : l'aller-retour en avion dure 22 heures et émet beaucoup de CO2, beaucoup trop, de manière insupportable pour nos empreintes carbone individuelles et pour la planète.
En même temps, les pages précédentes de mon carnet n'en sont qu'un bref exemple : la venue de touristes internationaux est essentielle à Madagascar. Les devises des voyageurs entrent peu dans le système de corruption généralisé et bénéficient directement à des centaines de milliers de Malgaches, les aidant à mieux (sur)vivre. La venue de touristes, qui implique la bonne gestion des parcs naturels et des réserves gérées par les communautés, permet aussi la protection d'écosystèmes uniques au monde. Je sais que ces deux points sont des conséquences de l'ensemble d'un système qui ne fonctionne pas. Mais doit-on pour autant abandonner les trente millions de Malgaches à leur sort en lançant depuis nos confortables modes de vie " De toute façon, ils devront s'adapter et faire sans le tourisme "? Doit-on laisser brûler ce qui reste de ce patrimoine écologique unique ?
Ma réponse, fondée sur ma propre analyse et sur des dizaines de discussions, est sans doute imparfaite mais elle est claire : on peut voyager à Madagascar, pour un séjour idéalement long et proche des territoires et des populations.
Madagascar en a besoin...
Et peut-être vous aussi, si l'on considère que s'offrir un voyage là-bas est une superbe invitation à rencontrer une altérité absolue.
La discussion est ouverte : n'hésitez pas à prendre la parole dans les commentaires !