C’était au cours de la grand-messe du cinéma français. En ouverture de la 48e cérémonie des César, Jamel Debbouze se lançait dans l’habituel monologue de ce type d’événements en assénant son lot de blagues. Celle qui m’aura particulièrement marqué sera forcément cette référence à Netflix et à son offre à 9 euros qui détourne le public des salles de cinéma. Une plaisanterie qui aura fait rire jaune plus d’un dans la salle… Car si on peut tourner en dérision le géant américain, il n’en reste pas moins que le cinéma français souffre… et ça ne va pas aller en s’arrangeant.
Depuis 2020 et la crise sanitaire du coronavirus, les salles de cinéma souffrent. D’abord restées longtemps fermées, elles ont timidement rouvert avec une maigre programmation. Que ce soit de l’autre côté de l’Atlantique ou en France, les films susceptibles de faire revenir le public en salle ne se sont pas bousculés. La faute à qui ? Peut-être à Disney, qui a lancé les hostilités en décidant de ne pas sortir Mulan en salle, une grosse sortie initialement prévue pour l’été ?
Si la firme aux grandes oreilles porte nécessairement sa part de responsabilité dans l’évolution des mentalités, on ne peut pas vraiment lui reprocher d’avoir voulu rivaliser avec le ténor du genre, à savoir Netflix. La volonté de s’adapter au changement des mentalités et des habitudes de consommation était une évidence. En pleine crise sanitaire, un sondage effectué aux USA indiquait que 40% des sondés comptaient aller moins au cinéma dans le futur et 10% disaient ne plus vouloir y retourner. Aux États-Unis et en Europe, la situation a été catastrophique, menant parfois à à des faillites chez les exploitants.
Pendant ce temps, le cinéma français a continué de fonctionner, quasiment normalement. Les tournages se sont enchaînés, les projets se sont accumulés sur les étagères, jusqu’à créer un véritable embouteillage de films à diffuser en salle… pour finalement rarement y trouver son public. Pourtant, l’espoir reste présent chez les professionnels du secteur que tout revienne à l’état précédant la pandémie. Et on pourrait leur donner raison…
Après tout, qui pensait voir un jour Steven Spielberg féliciter Tom Cruise d’avoir sauvé les salles de cinéma avec la suite de Top Gun ? Le film a été le smash surprise de l’été, parvenant à faire revenir en masse le public dans les salles obscures. Avant lui, Spider Man : No Way Home avait lui aussi réussi cet exploit, et c’était avant le mastodonte Avatar, qui a déferlé sur la planète avec succès. Certes, il n’y a aucune production française dans cette liste des plus gros succès au box office, mais la tendance est là.
Même Disney et Warner sont revenus sur leur stratégie de sortir leurs films d’abord sur leurs plateformes Disney+ et HBO Max. Dès lors, il ne reste plus que Netflix qui concurrence de front les salles de cinéma, et la santé de ce dernier vacille un peu ces derniers mois. Tout irait donc pour le mieux pour le cinéma français ?
Je vais jouer ici les oiseaux de mauvais augure mais je crains que ce ne soit que le calme avant la tempête. Encore une fois, j’ai principalement cité des films américains jusqu’ici. Si des succès français existent, et heureusement, combien sont ceux qui sortent dans une totale indifférence ? Pas étonnant que les chiffres de fréquentation soient donc toujours en berne, malgré une reprise encourageante. Car le risque, c’est qu’il y ait moins de public, et donc moins de financement. Il faut savoir qu’en France, le financement des films est directement relié au nombre d’entrées en salle, puisqu’un pourcentage du prix du ticket va dans les poches du CNC, qui alimente ainsi ses fonds de production. S’il y a moins de public, il y a moins d’argent qui rentre, et donc moins d’argent disponible pour financer les prochains films.
Parallèlement à cette épée de Damoclès, il y a la fameuse chronologie des médias française. Suite à une réforme récente, les films peuvent désormais apparaître sur les plateformes de SVOD seulement 17 mois après leur sortie en salle. C’est toujours trop pour les majors américaines. Encore récemment, Disney (encore eux) menaçait de ne pas sortir son nouveau Black Panther en salle à cause de cette règle. Si le film avait fait l’impasse sur les cinémas français, ça aurait été un coup dur pour les exploitants, mais tout autant pour le reste du secteur. Car le cinéma américain représente plus de 50% des entrées en France, donc du financement des aides du CNC… La boucle est bouclé.
La stratégie du cinéma français ? Certains producteurs misent sur des films à grand spectacles en espérant motiver le public à se déplacer en masse… Est-ce que des films comme Astérix ou Les Trois Mousquetaires suffiront à faire lâcher Netflix à une assez grande part du public, au profit des salles ? Pas sûr. Alors la grande famille du cinéma peut toujours essayer d’en rire à travers des sketches pas toujours drôles (ne regardez pas celui-là, il est vraiment trop mauvais). Mais d’après moi, il ne faut pas se demander si le cinéma français est toujours en bonne santé, mais plutôt combien de temps il lui reste à vivre.
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— R. Hespel (@princeofsky) February 24, 2023