En parcourant les rayons de ma bibliothèque, je m'aperçois qu'y figurent en bonne place des ouvrages suspects, calamiteux, ignobles, discriminatoires... Pêle-mêle ce tas d'escrocs et de mauvais citoyens, Cendrars, Céline, Verlaine ; ces gens qu'on traîne en procès, Baudelaire, Flaubert, Oscar Wilde, Lewis Caroll ; ces dépravés, Rimbaud, Nabokov, Gainsbourg ; ces bannis, Hugo, Dostoïevki, René Frégni ; " ces fous, ces marginaux, ces rebelles, ces clochards célestes ", qui ont " la démence de vivre " et l'indécence des mots, Kérouac, London, Villon ; ces grossiers personnages, ces mal polis qui lancent des " pleines bouches de mots crus ", Brassens, Rabelais, Rutebeuf ; ces dévergondés, ces débraillés, qui sortent les poumons gonflés, la casquette de travers, qui ont " la tendresse des loups " et qui se cachent dans les fossés et " les chemins noirs ".
Puisque cela semble devenir une mode, vais-je à mon tour les corriger, les bannir, les envoyer au bûcher ou les jeter au feu ? Vais-je moi-même, à l'exercice, stériliser ma plume et lui mettre un préservatif dans le bouchon ? L'autoriser seulement à glisser sur du papier glacé et lui interdire de griffer, de cogner les mots et de se les tatouer sous le poil ? Vais-je aligner les lignes plutôt que de les tordre ? Siffloter les syllabes et ne plus les gueuler ? Délaver la couleur de l'encre ? Passer du rouge vif au rose bonbon et du noir foncé au gris clair ? Et consentir à tremper le langage dans la bouilloire et le bain marie ?
Published by Eric Bertrand