En effet ce que Madame Calmy-Rey appelle neutralité active se traduit en réalité par une trop grande complaisance à l’égard d’une des parties à un conflit. Le résultat est qu’il ne s’agit plus de neutralité et que l’autre des parties n’a plus confiance dans la médiation helvétique. Dans ces conditions - la confiance est essentielle - une médiation ne peut aboutir qu’à un échec. Du coup il convient de parler plutôt de neutralité inactive au regard de cet aboutissement.
Pourquoi Madame Calmy-Rey s’est-elle rendue à Bogota ? Il s’agissait de célébrer 100 ans de relations helvético-colombiennes. Certes la ministre des Affaires étrangères suisse a été bien accueillie tour à tour par son homologue colombien, Jaime Bermudez, puis par le président Alvaro Uribe, mais la Colombie se passera désormais des bons offices de la Suisse dans ses relations avec les FARC.
Diplomatiquement le président colombien a remercié la Suisse pour son travail de médiation avec les FARC, mais ce remerciement avait aussi le sens de mettre fin à ses bons offices. Il y a plusieurs raisons objectives à cela : la personnalité douteuse du facilitateur suisse Jean-Pierre Gontard, la présence sur le sol helvétique de dirigeants des FARC et l’insistance lourde à condamner la Colombie, malgré ses excuses répétées, pour avoir utilisé à tort l’emblème de la Croix-Rouge.
La personnalité de Jean-Pierre Gontard est douteuse. Même si les fameux courriels retrouvés dans l’ordinateur du défunt commandant des FARC, Raul Reyes, abattu par l’armée colombienne le 1er mars dernier, ne sont pas probants pour incriminer le facilitateur suisse de transport de fonds pour le compte des FARC, ils laissent apparaître une grande proximité de Jean-Pierre Gontard de la part des FARC. Ce qui n’a rien d’étonnant.
Dans La Tribune de Genève du 8 juillet ( ici ), Andrés Allemand rapporte ce que le quotidien colombien El Tiempo vient de révéler : dans le passé Jean-Pierre Gontard en sa qualité de Directeur adjoint de l’IUED (Institut universitaire d’études du développement) a compté parmi ses étudiants le propre fils d’Alfonso Cano, l'actuel leader des FARC.
Andrés Allemand ajoute : « Jean-Pierre Gontard ne l’a jamais caché : il y a dix ans il confiait déjà que l’ancien IUED (NDFR : qui a fusionné depuis avec les HEI pour devenir l’IHEID) a formé nombre d’étudiants des pays du Sud, et notamment des dizaines de diplômés, qui se sont ensuite impliqués du côté des ONG, des partis ou de la guérilla ».
Dans Le Monde du 30 juillet( ici ), on pouvait lire ces lignes, inspirées d’un article du quotidien espagnol El Pais daté du même jour : « Contrairement aux Etats membres de l'Union européenne, qui ont inscrit les FARC sur leur liste des organisations terroristes en juin 2002, la Confédération helvétique ne qualifie pas la guérilla d'organisation terroriste. Un des principaux délégués des FARC en Europe, Omar Arturo Zabal Padilla, alias Lucas Gualdron, mènerait une paisible vie de professeur de philosophie à Lausanne. » Et il aurait des alter ego à Genève et Zürich.
Bien sûr Berne dément tout en bloc : le rôle douteux de Jean-Pierre Gontard comme la présence de Lucas Gualdron à Lausanne, également révélée par l’exploitation des courriels trouvés sur l’ordinateur de Raul Reyes . Mais ces démentis sont insuffisants pour lever un doute qui ne doit jamais s’installer dans une médiation.
D’autant que, selon sa fâcheuse habitude, Madame Calmy-Rey s’en prend à une seule des parties et insiste un peu trop lourdement sur l’utilisation fautive par l’armée colombienne de l’emblème de la Croix-Rouge, faite pour la bonne cause, celle de la libération d’Ingrid Betancourt (voir mon article L'opération Jaque en Colombie sous l'emblème de la Croix-Rouge ? ). Madame Calmy-Rey devrait oublier qu’elle est socialiste et se souvenir qu’elle est ministre des Affaires étrangères de la Confédération.
Francis Richard