Le déficit record de la balance commerciale !

Publié le 28 février 2023 par Raphael57

Comme chaque année à la même période, le marronnier du déficit de la balance commerciale refleurit, même si cette année il a quelque peu été éclipsé par la réforme des retraites. Quoi qu'il en soit, Olivier Becht, ministre délégué auprès de la ministre de l'Europe et des Affaires étrangères chargé du Commerce extérieur, de l'Attractivité et des Français de l'étranger (sic !) a commencé sa conférence de presse par un constat sobre : "on est malheureusement dans la continuité des années précédentes".

Encore une fois, cela témoigne de l'importance excessive - l'obsession ? - accordée au commerce international des biens dans une économie où les services pèsent pourtant très lourd. C'est pourquoi après mes articles consacrés à la réforme des retraites, l'un présentant les tenants et aboutissants du projet de loi, les deux autres abordant le type de protection sociale et le rôle tenu par le taux d'emploi des seniors, plongeons sans attendre dans les chiffres du commerce extérieur de la France.

Balance commerciale et taux de couverture

Commençons par quelques rappels terminologiques et méthodologiques. La balance commerciale est le compte qui retrace la valeur des biens exportés et la valeur des biens importés sur la base des statistiques douanières. Les exportations ne prennent en compte que les coûts d’acheminement jusqu’à la frontière française, c'est pourquoi l'on parle d'une valorisation FAB (franco à bord). Les importations, quant à elles, sont évaluées en tenant compte des coûts d’acheminement entre les deux frontières, ce que l'on qualifie de valorisation CAF (coût assurance fret).

Afin de pouvoir analyser des flux homogènes, les services des douanes sont dès lors contraints de corriger les chiffres CAF pour obtenir la valeur des importations FAB :

[ Source : https://lekiosque.finances.gouv.fr/site_fr/etudes/methode/traitement.asp ]

Le solde de la balance commerciale est par définition la différence entre la valeur des exportations et celle des importations. Si celui-ci est positif, on parle d'excédent commercial, sinon il s'agit d'un déficit commercial. Il est à noter que contrairement aux États-Unis entre autres, la balance commerciale en France ne couvre donc que les biens, mais pas les services.

Une autre manière, équivalente, de présenter le commerce international de biens, consiste à calculer le taux de couverture du commerce extérieur :

* lorsque le taux de couverture est inférieur à 1, la balance commerciale est déficitaire ;

 * lorsque le taux de couverture est égal à 1, la balance commerciale est équilibrée ;

 * lorsque le taux de couverture est supérieur à 1, la balance commerciale est excédentaire.

Notons que la balance commerciale (et donc le taux de couverture), peut être relative à un produit ou à l'ensemble des échanges de produits.

Le déficit commercial de la France

Commençons par ce graphique qui présente l'évolution du solde commercial de la France depuis 2004, date à laquelle elle devient structurellement déficitaire :

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

Alors que les exportations de biens ont confirmé en 2022 (+18,5 %) le dynamisme déjà retrouvé en 2021, les importations ont augmenté bien plus rapidement en valeurs (+29,1 %). L'un dans l'autre, cela se traduit donc par un abyssal déficit de la balance commerciale de 163,6 milliards d'euros contre 78,1 milliards en 2021 ! Cette très forte dégradation en 2022 s'explique principalement par le poids de la facture énergétique :

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

Les chiffres clés du commerce extérieur de la France en 2022

Toujours selon le rapport 2023 sur le commerce extérieur, voilà les principaux éléments à retenir sur le commerce extérieur de la France (chiffres, principaux partenaires, secteurs concernés...) :

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

Le solde commercial de quelques autres pays de l'UE

Le graphique ci-dessous présente le solde de la balance commerciale pour plusieurs pays de l'UE. Il faut néanmoins rester prudent sur l'interprétation de ces chiffres, puisqu'ils ne tiennent pas définition pas compte des services et ne permettent certainement pas de conclure qu'en Allemagne tout va bien et qu'à l'inverse au Royaume-Uni tout va mal, comme je l'ai expliqué dans mon livre Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l'économie.

[ Source : OCDE ]

Néanmoins, l'on peut en déduire que l'année 2022 a marqué la dégradation de la balance commerciale dans presque tous les pays de l'UE en raison du cocktail constitué de la flambée des coûts énergétiques, de la faiblesse de l’euro face au billet vert et des incertitudes liées, entre autres, à la guerre en Ukraine.

Est-ce grave docteur ?

Ce qui compte vraiment, ce n'est pas tant le solde des seuls biens (balance commerciale), mais celui qui inclut les biens, services, revenus (salaires, dividendes, intérêts…) et certains transferts (dons, aides…). L'on obtient alors la balance courante, présentée sur le graphique ci-dessous :

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

Et l'image qu'elle donne du commerce extérieur est bien différente de celle qui résultait de la seule prise en compte des biens. En effet, même si le solde commercial est déficitaire, c'est tout le contraire pour les services dont le solde connaît un record, tiré par les transports et le tourisme, ce qui reflète la réalité de l'économie française où la part de l'industrie est déclinante (désindustrialisation) et où les emplois se situent essentiellement dans le secteur des services :

[ Source : Rapport 2023 sur le commerce extérieur ]

Certes, la balance courante affiche un déficit de 2 % du PIB en 2022 alors qu’elle était légèrement excédentaire en 2021. Mais ces chiffres sont loin d'être catastrophiques, car ils témoignent tout de même d'une capacité à rebondir de la France et à proposer des biens/services demandés à l'étranger.

Tout ce que nous venons de voir doit avant tout faire réfléchir sur les choix politiques des trois dernières décennies. Ce d'autant que la crise liée à la covid-19 rappelle au demeurant qu'au-delà des chiffres, le commerce international soulève des questions de souveraineté et de sécurité trop longtemps occultées… En tout état de cause, l'illusion d'une économie de la connaissance sans industrie (fabless pour reprendre le mot d'un célèbre patron français...) a contribué à une désindustrialisation accélérée et une baisse des dépenses de R&D. De là découle notamment une baisse tendancielle des gains de productivité et de la croissance potentielle, qui n'est d'ailleurs pas sans rapport avec les enjeux de la réforme des retraites.

[ Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/2121532 ]

Et comme le rappelait Vincent Vicard, directeur adjoint du CEPII, dans une entrevue accordée au Monde il y a un an (mais toujours d’actualité !), les politiques publiques de baisse d'impôts sur la production et de réindustrialisation ont largement échoué à inverser la tendance, car la délocalisation reste un outil très prisé des multinationales françaises... À trop lorgner du côté de la compétitivité prix, l'on finit par oublier les autres dimensions de la compétitivité comme la qualité. Vouloir à tout prix faire de toutes les PME françaises des sociétés exportatrices me semble dès lors vain et inatteignable, car toutes n'ont pas vocation à s'étendre à l’international, malgré de nouvelles et nombreuses aides publiques.

Or, faut-il rappeler que ce n'est pas en accompagnant la dégradation du tissu industriel d'une dégradation des conditions de travail, de retraite et de chômage, que l'on inversera cette tendance. Et dire qu'il aura fallu attendre Macron, chantre de la flexibilité rebaptisée flexisécurité, pour que la question de la souveraineté économique refasse surface, même si la gestion de la crise de la covid-19 a montré l'incapacité du gouvernement français à ajouter des actes aux paroles ! Et que dire de cette lubie pour les seules start-up, alors que l'essentiel de l'emploi est lié aux industries plus traditionnelles, qu'il faudrait accompagner dans leur transition écologique (entre autres).

Bref, année après année, les dirigeants politiques déplorent le déficit commercial sans en analyser les causes dont ils sont souvent en partie responsables et qu'ils chérissent. Terminer un billet économique en paraphrasant Bossuet, qui l'eût cru ?