Personne ne se souvenait du moment exact où un hurluberlu avait eu l'idée de planter des poteaux de bois et de tirer une ligne à travers les rocailles pour installer le téléphone au milieu du désert.
Gordon, alias Ron, comme Roads Of nowhere, apprend l'existence de La cabine en lisant, le 26 mai 1997, une lettre de N. à Wig-Out, le magazine du groupe auquel appartient Girl-Trouble, une musicienne, qui s'est produite dans sa ville d'Arizona.
Plus doux que dingue, il s'intéresse aux lieux les plus propices au rêve: se trouver devant un ordinateur ou dans le désert. Aussi une cabine téléphonique au milieu du désert de Mojave, c'est-à-dire au milieu de nulle part, ne peut-elle que l'attirer.
Où se trouve-t-elle? À proximité de l'interstate qui lie Las Vegas à Los Angeles. N. ne donne pas davantage de précision mais il en indique le numéro: (619) 733-9969. Ron et ses amis le composent à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'il sonne occupé.
Ce 20 juin 1997, en effet, Ron recompose le numéro plusieurs fois avant que la ligne ne soit libre et que Maria ne lui réponde. Dans son excitation il oublie de lui demander où se trouve la cabine exactement. Cela ne le décourage pas pour autant.
Grâce à un historien retraité, Richard Lamothe, auteur d'un livre sur les contes et légendes du Mojave, il apprend où se situe la cabine, qui n'est pas mentionnée dans le livre, et comment y aller: C'est loin de tout, mais, au moins c'est quelque part.
Ron se rend sur place et voit cette merveille d'absurdité poétique. Une telle découverte ne peut demeurer inconnue. Ron crée un site internet, lequel en est à ses débuts, pour en faire part au monde. La nouvelle est un jour relayée par un journal local...
Des rêveurs venus de nulle part s'y rendent à leur tour dans le seul but de prêter leur oreille au monde. De toutes parts, des gens appellent la cabine, tandis que d'autres décrochent quand retentit sa sonnerie, immense explosion dans le ciel.
Un tel engouement pouvait-il perdurer? Un tel lieu magique pouvait-il être durablement le centre du monde? L'époque n'est plus au rêve qui se transforme en utopie, à l'inutilité qui s'érige en poésie, à l'absurde qui se dresse involontairement en art...
Francis Richard
La cabine, Éric Bulliard, 224 pages, Les Éditions de l'Hèbe