En septembre 2022, Thomas Guerlet, 24 ans, publiait son premier album How Strange !.Français expatrié en Angleterre pendant sa scolarité, il s'est nourri de la culture musicale britannique. Tout est dans ce disque. Thomas m'en parle, attablé dans un café du 9e arrondissement de Paris. C'est l'occasion de discuter d'écriture, de son passage à l'école d'art créée par Paul McCartney et de sa passion pour le cinéma.
Au départ, dans ma première école, c'était aussi mal perçu qu'en France. Dans les deux pays, je fréquentais une école élitiste. Là-bas, ils étaient davantage portés sur la musique classique. En revanche, ils étaient ouverts au fait que j'aie une passion et que je veuille en faire quelque chose. La différence c'est qu'en France on est vu comme des troubadours ! Ensuite, j'ai intégré une école bien plus tournée vers la musique et les arts en général, ainsi que l'épanouissement de l'enfant.
Tu as intégré la LIPA (Liverpool Institute for Performing Arts), l'école créée par Paul McCartney. Un choix de fan ?J'ai unepassion pour les Beatles, mais je n'y serais pas allé uniquement pour cette raison. En fait, c'était la meilleure école en Angleterre.
Qu'as-tu appris là-bas ?Tout ! Et l'enseignement y est varié. On y apprend la musique classique, les arrangements sur partition, la production, l'impro jazz, la performance. Et surtout, on est suivi par des professionnels. J'y ai rencontré des musiciens et c'est là-bas que j'ai découvert comment fonctionnait l'écriture et la composition, même si je m'y connaissais vaguement.
De retour en France, tu avais 40 chansons écrites en anglais, dont certaines figurent sur ton album...Je vivais en Angleterre : mes copains étaient anglais, je communiquais en anglais... Inévitablement, j'écrivais mes chansons en anglais. À une période, j'en écrivais deux par semaine ! C'était un peu comme des devoirs pour l'école, j'étais obligé d'être aussi productif. Alors je me suis retrouvé avec un tas de chansons et j'ai fait un tri pour trouver une cohérence. J'en ai écrit des nouvelles pour compléter, et ça a donné un album !
"L'anglais c'est facile, c'est musical,
ça laisse plus de place à l'abstrait"
Qu'as-tu fait de celles qui ont été mises de côté ? Ça ne va jamais à la poubelle ! S'il y a une bonne idée, on la réutilise d'une autre façon. À ce sujet, un copain qui m'a dit : " une belle mélodie, c'est jamais perdu et un jour, elle va sortir. " Ça peut attendre 10 ans !
Maintenant que tu es de nouveau installé en France, tu projettes d'écrire en français ?Oui. Car c'est la langue que j'utilise, je réfléchis avec cette langue et les phrases me viennent ainsi. Je dois reconnaître que c'est aussi une envie que les gens comprennent ce que je dis.
Écrire en français, c'est une pression ?Oui. Les personnes qui travaillent dans les maisons de disques m'avaient demandé d'écrire en français. J'ai refusé. Mon projet est en anglais car j'ai vécu en Angleterre et que la musique prend sa saveur dans la pop britannique. Je n'allais pas m'amuser à tout traduire ! Je savais que si je devais écrire en français, ça se ferait naturellement. C'est actuellement le cas...
Quelle différence perçois-tu entre les deux langues en terme d'écriture ?
L'anglais s'est toujours imposé dans la musique, tout comme en diplomatie ou au cours d'une discussion avec un étranger. L'anglais c'est facile, c'est musical, ça laisse plus de place à l'abstrait. Par exemple, sur mon album, il y a une chanson appelée Close the Door. Si j'avais écrit une chanson nommé Ferme la porte, ça n'aurait pas la même émotion ! Ferme la porte, j'écoute même pas ! Ou alors c'est une blague.
Côté français, ça venait à la fois de mes parents et de moi-même. Il y a, par exemple, Jacques Brel et Benjamin Biolay.Il y a évidemment les Strokes, les Doors, Arctic Monkeys... Ils sont beaucoup à m'avoir donné envie de faire de la musique quand j'étais jeune ! J'ai découvert King Rule à quinze ans... Ce sont tous des étapes de ma vie.J'ai beaucoup écouté de rap et de hip-hop. Dans le sud de Londres, j'étais attiré par la scène où se trouvaient Tom Misch, Cosmo Pyke, Loyle Carner... C'est en les voyant que je me suis dit : " S'ils l'ont fait, je peux le faire aussi ! " Avant, je ne voyais pas ce métier comme quelque chose de tangible.
J'ai découvert les Beatles à neuf ans ou dix ans, tout était fou.
Loyle Carner m'a marqué. Je trouvais qu'il avait un flow de dingue, une façon de parler unique parce qu'il mettait en avant son accent. Il fait partie de ceux qui jouaient avec le côté old school et le côté moderne en même temps. En France, j'aimais beaucoup Roméo Elvis. Je trouvais qu'il était marrant et qu'il apportait quelque chose de nouveau, notamment avec sa grosse voix. Ça me faisait rire.
Les chansons ont été écrites entre 2018 et 2021. C'est la fin de l'enfance, la fin de l'adolescence et le début de la vie d'adulte. J'y parle de mes doutes, de mes frustrations. C'est ce moment où on se retrouve un peu seul.
" Je rêve de collaborer avec Flavien Berger "On a fait appel à Augustin, un gars spécialisé dans la 3D. On a pris 200 photos de moi, tout autour de mon visage. Puis, avec un logiciel, on a recrée la forme de mon visage en 3D pour le transformer en bougie.
L'arrière plan est un fond dégradé, une image du temps qui passe.
Quand j'ai commencé a jouer dans un groupe, j'étais batteur et chanteur, puis bassiste. Le problème de ces instruments, c'est qu'on ne peut pas composer avec. Alors je me suis mis à la guitare mais je me sentais limité lorsque je voulais reproduire des harmonies qui me plaisaient, notamment en jazz. C'est là que j'ai adopté le piano et les claviers.
C'est un album que tu as fait seul ?À l'exception d'une chanson que j'ai co-écrite et d'un solo de guitare qui n'est pas de moi, oui. Je voulais qu'il soit comme je l'imaginais, montrer aux autres comment je fais de la musique. Mais je suis arrivé à un trop plein de bosser seul. Pour le prochain, je vais m'entourer car la musique, ça se partage. Je suis social, j'aime rigoler, discuter. C'est absurde de se dire que j'ai choisi le métier le plus solitaire au monde !
Avec qui aimerais-tu collaborer ?En France, je rêve de collaborer avec Flavien Berger. C'est le meilleur. Pour moi, c'est le seul artiste qui a réussi à apporter quelque chose de nouveau, d'unique et de fou.
Collaborer, c'est découvrir un autre savoir-faire ?Oui. Découvrir ce qui inspire les autres, comment ils fonctionnent. Je suis en train de découvrir mon métier. J'ai appris à faire de la musique d'une façon précise, la mienne. Je ne sais pas comment ça se passe à l'extérieur !
Tu t'intéresses aussi au cinéma !J'aime la musique de film. J'ai tourné dans un bon court métrage qui n'est jamais sorti ! Je jouais le rôle principal, un pianiste parisien un peu arrogant. J'ai aussi fait pas mal de musiques pour la pub. Et puis le réalisateur Anatole Thilloy m'a offert la possibilité de fabriquer la B.O. de son film Le prénom qu'on oublie qui m'a valu une nomination au festival du court-métrage de Prague !
Le clip de ta chanson The Derailer estfilmé en plan séquence. Quels réalisateurs t'inspirent ?Je ne suis pas meilleur dans l'exercice du name dropping ! Mais je pense à Gaspard Noé et son film Irréversible. C'est le maître des plans séquence, et ce film est dingue ! Ensuite, le plus grand plan séquence, c'est le plan d'introduction de trois minutes de La soif du mal d'Orson Welles. J'ai aussi été marqué par le plan d'introduction des Petits mouchoirs, lors de l'accident de Jean Dujardin.
À quoi doit-on s'attendre lorsqu'on va te voir en concert ?Les gens sont souvent surpris ! Mon album est principalement composé de ballades. Or, sur scène, il y a une vision plus rock, ça bouge, ça danse, ça crie. Il y a des piano-voix pour tenter de faire parler les émotions, puis je vais jouer une chanson dans une version disco et on jam avec les musiciens. Tout est joué en direct avec de vrais instruments.
Thomas Guerlet sera le 8 mars 2023 à la Maroquinerie. Infos et réservations ici