Dans ce premier tome de la série policière de Leonardo Padura, Mario Conde est un tout jeune inspecteur de la police havanaise de 34 ans, mais il tient déjà une sacrée couche de mélancolie (et une sacrée gueule de bois). Son chef a bien du mal à le réveiller en ce 1er janvier pour lui confier une nouvelle affaire : la disparition de Rafael Morin. A ce nom, les souvenirs de Mario Conde s’éveillent. Ses jeunes années au Pre de la Vibora (son lycée) ressurgissent, entrecoupant l’intrigue policière de récits à la première personne qui révèlent un Mario adolescent, entouré de ses amis, de Tamara, son crush absolu, et de Rafael, le chef très hâbleur du syndicat étudiant. Rafael qui épousa Tamara dans la foulée du lycée et fit une brillante carrière politique. Rafael qu’on n’a plus revu depuis le réveillon du 31 décembre.
Les romans de la série Mario Conde sont décidément bien attachants. On a l’impression de retrouver un vieil ami, dont les amis (El Flaco – le Maigre – qui fait plus de 100 kilos dans son fauteuil roulant ; El Conejo, et j’en passe) sont aussi nos amis. Ce premier opus nous les présente et du même coup nous montre d’où ils viennent, leur parcours : les illusions de l’adolescence, les désillusions de l’âge adulte, dans un Cuba castriste qui, passée la ferveur révolutionnaire, s’est installé dans un communisme routinier et quelque peu castr…ateur (haha), redoutant en cette fin des années 1980 l’ouverture de l’URSS, son partenaire de toujours, à de nouveaux courants politiques.
On comprend en particulier à quel point l’entrée de Mario dans la police est un accident de parcours, alors qu’il s’était rêvé écrivain. Sa participation à l’atelier d’écriture du lycée est tuée dans l’oeuf (ses écrits jugés pas assez révolutionnaires) et son orientation vers la fac de Lettres ayant été refusée, il fut recalé en psycho. Ces échecs contribuent à lui donner cet air d’inspecteur blasé qu’on lui connaît, amoureux des vieux troquets et des jolies femmes, soupirant après un « passé parfait ». Tout n’était cependant pas parfait dans ce passé, si on en croit les actes de rébellion de Mario et ses amis lors des camps de travail volontaire. On le voit aussi en joueur de base-ball de l’équipe du lycée, avec El Flaco, fervent supporter du sport national cubain. El Flaco fauché par une balle angolaise quelques années plus tard et définitivement handicapé. Enfin, l’amour platonique de Conde pour Tamara se voit ravivé par les interrogatoires qu’il doit mener avec elle.
Ces souvenirs du personnage emblématique de la série doivent beaucoup, à mon avis, à ceux de l’auteur lui-même, qui a eu lui aussi 17 ans en 1972. Comment sinon avoir pu inventer un détail pareil : pour se fabriquer des pantalons « pattes d’eph », les jeunes Cubains de l’époque, qui n’avaient pas accès aux jeans américains, coupaient leurs pantalons au niveau du genou et recousaient la jambe à l’envers, pour avoir la partie la plus large en bas !
Une note douce-amère domine dès le départ cette série et lui donne le ton. Mais cela est contrebalancé par l’humour jubilatoire des dialogues, tout-à-fait croquignolesques en version originale puisqu’émaillés d’argot et de particularismes cubains.
Et l’intrigue policière, dans tout ça ? Je dois avouer que je l’ai trouvée tout-à-fait secondaire. Les magouilles politiques cubaines se caractérisent par leur contexte insulaire et coupé du monde extérieur, qui oblige les ambitieux à contourner le système par d’habiles stratagèmes de sociétés tierces pour faire du commerce à l’import-export. Mais j’ai bien plus savouré les portraits des personnages de cette petite comédie humaine cubaine, ainsi que les descriptions d’un La Havane venteux et déboussolé.
Ce billet participe au Mois Latino de Ingannmic et Goran.
« Pasado Perfecto » (1991), traduit en français sous le titre « Passé Parfait » (Métailié, 2000).
PublicitéRéglages de confidentialité