« Je ne savais que penser de ma conversation avec Harmsworth. Toute ma vie j'ai été un outsider, certainement depuis le jour où ma mère est morte et où mon père m'a expédié au pensionnat. Je n'ai jamais compris ce qui conduit le fort à opprimer le faible, ni le besoin que beaucoup éprouvent de harceler ceux qui sont différents d'eux. C'était peut-être seulement plus facile : reprocher à quelqu'un d'autre, quelqu'un de différent, toutes les merdes qui vous tombaient dessus.
Alors qu'à l'évidence, les ennuis sont le plus souvent provoqués par des gens qui vous ressemblent et non par ceux qui sont différents. Peut-être est-ce pour cela que j'avais toujours été du coté du perdant. Certains me qualifiaient d'opposant. Je me trouvais simplement correct. Je jugeais donc écœurant qu'Harmsworth puisse vouloir faire de moi un complice pour répandre ses demi-vérités et ses informations déformées.
En même temps une part de moi était flattée qu'un journaliste me juge digne d'attention, et l'idée de voir mon nom dans les journaux me faisait frissonner de plaisir. Je n'en suis pas fier quand j'y repense, mais j'étais jeune. Et stupide.»
Sa dépendance à l'opium devenant de plus en plus invalidante, le capitaine Wyndham, notre policier anglais expatrié en Inde préféré, se retire dans un ashram, à des miles de Calcuta dans le massif montagneux de l'Assam.
Un ermitage isolé, loin de toute agitation humaine est un lieu idéal pour une cure de désintoxication et pourtant c'est dans ce coin perdu que Sam Wyndham est rattrapé par son passé londonien.
Alors qu'il n'était encore qu'un jeune agent de police dans le West-End, il a laissé s'échapper un meurtrier et n'a pas pu empêché la mort d'un innocent, une affaire qu'il n'a jamais réussi à classer.
Whitechapel district de Tower Hamlets, Londres 1905, montagnes de l'Assam, extrémité Est de l'Inde 1922, deux lieux et deux époques pour deux meurtres inexpliqués qui se retrouvent inextricablement liés.
Formidable atmosphère de Londres au début du vingtième siècle.
Le quartier de Whitechapel, un quartier populaire près du port de la capitale avec ses arrivages de migrants qui n'ont pas assez d'argent pour aller plus loin. Irlandais, polonais, juifs venus de tous les pays poussée par la famine et les exterminations, débarquent plein d'un espoir qui se fracasse dans ce quartier pauvre et insalubre.
Comme à son habitude, Abir Mukherjee s'empare de la trame classique du bon vieux polar English pour pour nous plonger dans l'Histoire la Grande-Bretagne et de son passé colonial.
Racisme, antisémitisme, patriarcat, grand banditisme, entre la puanteur des bas quartiers de Londres et la touffeur de l'Inde, Samuel Wyndham et son fidèle lieutenant Satyendra Banerjee vont avoir fort à faire pour percer le mystère d'une enquête que n'aurait pas renier Dame Agatha Christie.
Un fond historique passionnant, des héros récurrents attachants et cet humour détaché que l'on aime tant « le soleil rouge de l'Assam » est encore une fois un très bon roman, d'Abir Mukherjee.
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Et concernant l'actualité d'Abir Mukherjee sachez que son précédent roman "Avec la permission de Gandhi" sort actuellement en poche chez Folio- Retrouvez notre chronique ci dessous :
"J'ai peu d appétit ces jours-ci et, grâce aux fantaisies de M.Gandhi, encore moins envie de lire la presse. Le pays est une poudrière et cela depuis que le Mahatma, comme aiment à l'appeler ses disciples, a poussé les Indiens à se dresser dans une frénésie de non-coopération pacifique et leur a promis que s'ils le faisaient il leur apporterait l'indépendance avant la fin de l'année."
Un serial killer sévit, classique me diriez vous pour un polar, mais c'est son contexte qui l'est moins.
Nous sommes à Calcutta en décembre 1921, alors que le Prince de Galles en personne effectue une visite officielle dans le plus grand pays de l'empire Britannique.
Une visite princière sous haute surveillance car un certain Gandhi demande au peuple Indien de se révolter pacifiquement contre la Couronne. Calcutta en pleine ébullition et deux meurtres sans liens apparents, le capitaine Wyndman et le serjent Banerjee, un duo de flics que l'on connaît et apprécie beaucoup à Baz'art, mènent l'enquête. Bien sûr nos deux héros doivent toujours composer avec leurs démons intérieurs, un syndrome post-traumatique et une puissante addiction à l'opium pour le capitaine tandis que le jeune sergent se débat contre la culpabilité pour un Indien de servir dans la police de sa majesté, alors que toute sa propre famille lutte pour l indépendance de l'Inde. Chaleur,poussière et géopolitique instable, comme à son habitude, et pour notre plus grand plaisir, Abir Mukherjee utilise les codes classiques du roman policier pour nous raconter une page d histoire de la Grande Bretagne et de son empire colonial. "Avec la permission de Gandhi" est un polar very british, passionnant et surtout très instructif sur le sort des Ghurkas, des oubliés de l'Histoire, ses soldats Népalais que l'armée Britanique utilisa durant la guerre de 14/18.le 10 février en poche chez Folio