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Un monde où Tbilissi ne serait plus le nom d’une ville synonyme de violence et de désolation, où le train menant à
Lhassa se peuplerait d’une cohorte harmonieuse de voyageurs chinois et tibétains, partageant la même attente d’une vie meilleure.
Un monde où Matriona, dans sa maison, attendrait le retour d’Alexandre Soljenitsyne pour le soir-même, son chat bancal assis sur ses genoux, le thé noir et fort, tel qu’il aimait à le partager
avec elle, infusant dans le vieux samovar.
Si Matriona, oublieuse de sa vie misérable, était à même d’accueillir sous son toit un homme presque aussi démuni qu’elle, Soljenitsyne n’était alors, en 1953, qu’un Zek, un ancien du
goulag, pourquoi ne pourrions-nous pas en faire autant ? Une tasse de thé, une parole vibrante pour un ami qui se blesse aux aspérités de l’existence, un mot trop vif retenu de justesse… De
modestes actes au regard de la désespérance du monde, mais qui peuvent changer la donne, là, dans l’instant de la présence à ces actes, en les revêtant d’une réelle bonté d’intentions. Imaginons
que cela devienne contagieux…
Que la bonté ne soit pas qu’un vague concept à la connotation simpliste ou religieuse. Je veux croire à la contagion du bien. Il y a partout des
Matriona au cœur pur…"
Et parce que Soljenitsyne a fait partie de mes « éveilleurs », je cite là les derniers mots de son
récit
« La maison de Matriona » (Recueil de trois nouvelles, Julliard, 1970) "...elle n'avait pas accumulé d'avoir pour le jour de sa mort. Une chèvre blanc sale, un chat bancal, des ficus... Et nous tous qui vivions à ses côtés, n'avions
pas compris qu'elle était ce Juste dont parle le proverbe et sans lequel il n'est village qui tienne. Ni ville. Ni notre terre".