Discours de la Première Ministre Élisabeth Borne dans la nuit du 17 au 18 février 2023 à l'Assemblée Nationale (texte intégral)

Publié le 19 février 2023 par Sylvainrakotoarison

Mme la présidente
La parole est à Mme la Première ministre.
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Malgré le chaos de ces derniers jours, et encore avec cette motion de censure, nous assistons à une forme de clarification. La motion de censure a été déposée par un groupe dont le silence a été assourdissant tout au long des débats, et dont les votes ne disent rien d'autre que l'opportunisme de chaque instant. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. - M. Cyrille Isaac-Sibille applaudit également.)
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
La motion intervient, par ailleurs, après quinze jours d'agitation permanente et de volonté farouche des députés de La France insoumise d'empêcher l'examen du texte. Au fond, ces deux populismes se répondent : ce sont deux visages du mépris de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem. - Exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Le mépris, c'est vous !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Avec cette motion de censure, le Rassemblement national montre sa vraie nature et le vide de son projet. Après deux semaines de mutisme dans l'hémicycle, l'extrême droite s'est enfin réveillée,...
Une députée du groupe RE
Le RN n'était pas là !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
...naturellement pas pour faire des propositions, évidemment pas pour sauver notre système de retraite, surtout pas pour faire avancer le pays (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs des groupes Dem et HOR), mais pour une manœuvre grossière qui visait uniquement à obtenir un brevet de meilleur opposant.
M. Emeric Salmon
Ce n'est pas difficile !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Qu'importe le fond, tant que le coup tactique est bon. Le Rassemblement national attend sagement, tapi dans l'ombre, pour voir où le vent tourne, et à la vingt-cinquième heure, il surgit pour se remettre au centre du jeu médiatique - mais toujours pas dans le débat démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.) Madame la présidente Le Pen, vous avez présenté un projet alibi dans une brève conférence de presse. Vous ne prenez même pas la peine de le reprendre dans votre motion de censure, sans doute parce que la vacuité de vos propositions apparaît encore plus nettement à l'écrit. (Mêmes mouvements.) Un âge légal à 60 ans passant progressivement à 62 ans, et le tour serait joué. Avec des dépenses massives, vous creusez le déficit d'un système déjà déficitaire. (Rires et vives exclamations sur les bancs du groupe RN.)
M. Emeric Salmon
Cent cinquante milliards !
M. José Beaurain
Bravo l'artiste !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Vous ne ferez croire à personne que la fin de l'aide médicale de l'État, mâtinée d'argent magique dont vous disposeriez, pourrait couvrir un millième de toutes vos dépenses.
M. Emeric Salmon
C'est vous, l'argent magique !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Madame Le Pen, vos mensonges sont un mépris pour les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.) Au nom de quelle légitimité pouvez-vous prétendre, plus que d'autres ici, être leur porte-parole ?
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Vous ne pouvez pas prétendre lutter contre les injustices en votant contre la fin des régimes spéciaux et contre la mise en place d'un index pour favoriser l'emploi des seniors. (Mêmes mouvements.)
M. Jean-Marc Zulesi
Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
La réalité, c'est que vous n'avez ni projet social, ni solution pour nos compatriotes, et qu'à plusieurs reprises, les Français ont refusé vos pseudo-solutions. Vous dressez un écran de fumée qui se veut le gage de votre respectabilité. Vous avancez masqués, refusant de participer au débat. Vous espérez que la discussion abîmera un peu plus l'image que nos concitoyens se font de nos institutions. Vous attendez que les débats se soient tenus pour attaquer, manipuler, récupérer. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Laurent Jacobelli
Vous êtes vraiment perdue !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Madame Le Pen, j'ai cherché dans votre motion de censure des propositions nouvelles, et peut-être des explications de financement ; mais le texte de cette motion est aussi substantiel que votre contribution au débat de ces derniers jours. (" Le néant ! " sur les bancs du groupe RE.)
M. Jean-Marc Zulesi
Le néant sidéral !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Il est aussi soucieux de vérité que votre rapport à l'histoire ; il est aussi rigoureux que votre rapport aux faits. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.) Dans votre motion de censure, la seule chose que vous nous dites, c'est que le Gouvernement n'aurait pas laissé le temps nécessaire pour examiner le texte. Dans vos propos, vous nous reprochez simultanément de ne pas écouter et de faire évoluer notre projet.
Une député du groupe RN
Et de mentir !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Les faits sont têtus, et ils sont contre vous ; mais puisque vous le souhaitez, comparons le temps prévu pour ce débat avec celui des deux précédentes réformes des retraites. (Mêmes mouvements.) Nous avons prévu plus de jours de débat que lors des réformes d'Éric Woerth en 2010 et de Marisol Touraine en 2014 : vingt et une séances se sont tenues pour examiner notre projet de loi, contre seulement quinze en 2010 et treize en 2014. L'Assemblée a consacré précisément soixante-treize heures et trente minutes à examiner le texte, soit huit heures de plus qu'en 2010 et pratiquement trente heures de plus que pour la réforme Touraine.
M. Pierre Meurin
Quel magnifique tableau Excel !
M. Laurent Jacobelli
Vous resterez toujours une comptable !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
La réalité est là : le Gouvernement a laissé plus de temps au débat que lors des précédentes réformes. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.) Alors, comment se fait-il que nous n'ayons même pas atteint l'article 3 ? La raison est simple : 764 amendements en 2010, 3 120 amendements en 2014, et plus de 20 000 amendements sur ce texte - six fois plus que pour la réforme Touraine et vingt-sept fois plus que pour la réforme Woerth, alors même que ces textes comportaient trois fois plus d'articles que notre projet. Cette motion de censure, c'est donc aussi l'occasion pour la NUPES de mesurer les conséquences de son attitude dans l'hémicycle.
M. Jocelyn Dessigny
Ils ne sont pas là, cela ne sert à rien de leur parler !
Mme Nadia Hai
Ils ne sont pas là !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Nous étions prêts à discuter de toutes les propositions, prêts à débattre d'idées, près et résolus à aller au bout de l'examen du texte - le temps parlementaire prévu le permettait.
M. Sylvain Maillard
Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Toutefois, Mmes et M. les députés de la NUPES qui ne sont malheureusement pas là... (Exclamations sur les bancs du groupe GDR-NUPES.) Les députés de la NUPES qui ne sont malheureusement pas tous là en ont décidé autrement.
M. Philippe Vigier
(M. Philippe Vigier désigne les membres du groupe GDR.) Les meilleurs sont là ! Les autres sont partis au ski !
M. Pierre Dharréville
M. Clouet est là !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Je salue le groupe communiste, qui est resté présent pour cette discussion. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe RE.)
M. Jocelyn Dessigny
La NUPES est contagieuse, la majorité est atteinte !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Les députés de la NUPES en ont donc décidé autrement, en multipliant les amendements. Puis, pris au piège par la manœuvre du Rassemblement national, vous avez hésité, commencé à retirer des amendements, mais trop peu et trop tard pour permettre d'arriver ne serait-ce qu'au cœur du texte. Il est vrai que vous avanciez en ordre dispersé. Dans un des oracles Twitter dont il a le secret, le cher leader de La France insoumise s'en est pris, une fois de plus, aux députés communistes, en leur reprochant de renoncer à leurs amendements.
M. Sébastien Jumel
Ne vous inquiétez pas pour nous, nous n'avons pas besoin de vous ! Nous sommes souverains !
Mme Nadia Hai
On ne touche pas à M. Chassaigne ! On est là pour te protéger, André ! (Sourires.)
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
À cette brimade, il a ajouté un aveu saisissant, dans un rare éclair de lucidité : Jean-Luc Mélenchon a rappelé à la NUPES ce qu'elle devait éviter à tout prix : le vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.) Il reconnaît ainsi ce que vous peinez à comprendre : vous n'avez pas de majorité sur ces bancs. (Mêmes mouvements.)
M. Laurent Jacobelli
Vous non plus !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Je vois bien les contorsions de La France insoumise, qui tente de rejeter la responsabilité de cet examen incomplet sur le Gouvernement, tâtonnant pour prouver l'impossible. Bien sûr, votre droit d'amendement est total, mais vous l'avez dévoyé : pour vous, il n'est pas l'expression du débat, mais une arme de blocage.
Mme Aurore Bergé
Eh oui !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Pour vous, le fond des amendements importe peu, pourvu qu'ils soient nombreux, racoleurs et outranciers. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
M. Pierre Dharréville
Vous ne les avez pas lus !
M. Sébastien Chenu
Voilà les punchlines !
M. Jean-Philippe Tanguy
Borne de Nice !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Quand je vois certains vouloir renommer l'index seniors " feuille de salade ", je me dis : quel mépris !
Mme Nadia Hai
C'est vrai !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Quel mépris pour le travail parlementaire, quel mépris pour l'emploi des seniors ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
M. Sébastien Jumel
C'est votre réforme qui est une salade !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Quelle tristesse enfin, pour la gauche, d'être passée sur ces bancs de l'éloquence de Jaurès à la feuille de salade de Sandrine Rousseau ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe RE et sur quelques bancs du groupe Dem.)
M. Benjamin Lucas
Vous n'aimez pas la salade !
M. Hadrien Clouet
Vous n'aimez pas les légumes !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
En réalité, vous utilisez les amendements pour manipuler le temps du débat. Vous vous moquez qu'ils contribuent à la discussion ; c'est pourquoi vous pouvez en retirer des centaines en quelques secondes. Vous êtes libres d'amender autant que vous le souhaitez, mais assumez les conséquences de vos actes, assumez les conséquences de votre stratégie : c'est vous, et vous seuls, qui avez choisi d'empêcher le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Votre seul et unique objectif est d'enlever toute légitimité au Parlement. Vous aviez déclaré vouloir le chaos dans l'hémicycle : vous l'avez bien démontré ces dernières semaines, car fondamentalement, vous ne croyez pas à la démocratie, vous la minez en la transformant cirque. (Applaudissements sur les bancs des groupes RE et Dem.)
M. Benjamin Lucas
C'est scandaleux !
M. Stéphane Peu
C'est une motion du Rassemblement national, et vous attaquez la gauche !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Mesdames et messieurs les députés de la NUPES, en plus d'empêcher le débat, certains parmi vous - en particulier sur les bancs de La France insoumise - ont choisi de salir la démocratie parlementaire. Vous avez multiplié les injures, les outrances et les menaces. Nous voulions débattre projet contre projet ; vous avez choisi d'enchaîner insulte sur insulte. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Les Français nous ont élus pour travailler et pour débattre, pas pour faire de l'hémicycle une foire d'empoigne. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE. - M. Bruno Millienne applaudit également.) Pourtant, il est possible de s'opposer sans insultes. Une députée issue de vos rangs affirme aujourd'hui même que " le niveau de radicalité ne se mesure pas à l'inflation des invectives ".
M. Benjamin Lucas
Il se mesure à la brutalité de votre réforme !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Elle vous appelle collectivement à ne pas tomber dans la caricature : j'espère qu'elle sera entendue pour les prochains débats.
Mesdames et messieurs les députés, quand la NUPES hurlait, quand les députés du Rassemblement national se cachaient (Vives protestations sur les bancs du groupe RN) ...,
M. Emeric Salmon
On a toujours été là !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
...la majorité, elle, travaillait ! (Applaudissements nourris sur les bancs des groupes RE, Dem et HOR. Les députés du groupe RE et M. Mohamed Laqhila se lèvent et applaudissent.) Je souhaite saluer ici Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Mme la rapporteure générale et tous les députés de la majorité, qui ont défendu non seulement un projet de loi, mais aussi la dignité en politique. (Rires et exclamations sur plusieurs bancs du groupe RN.) Je tiens également à rendre hommage à l'engagement du ministre du travail, Olivier Dussopt, ainsi qu'à celui de Gabriel Attal et de Franck Riester à ses côtés. (Les députés des groupes RE, Dem et HOR se lèvent et applaudissent longuement.) Je regrette d'autant plus que nous n'ayons pas pu débattre que les trois groupes de la majorité avaient déposé des amendements utiles, que nous souhaitions intégrer au projet de loi, pour permettre aux enseignants du premier degré de partir à la retraite dès lors qu'ils ont atteint l'âge légal, sans attendre la fin de l'année scolaire ; pour faciliter le rachat de trimestres pour les périodes de stage, d'apprentissage ou d'études supérieures ; pour valoriser l'engagement des sapeurs-pompiers volontaires et des sportifs de haut niveau ; pour améliorer les droits familiaux en étendant aux professions libérales la majoration de 10 % de la pension à partir du troisième enfant ; pour nous engager dans la suppression des écarts de pension entre les femmes et les hommes ; pour compléter les mesures de revalorisation des pensions agricoles et des retraites à Mayotte, ou encore pour faire évoluer le dispositif carrières longues afin de mieux protéger ceux qui ont commencé à travailler tôt.
Il s'agissait d'autant d'améliorations du texte, d'autant de mesures utiles, justes et concrètes, défendues par les trois groupes de la majorité et soutenues, pour certaines d'entre elles, par les députés Les Républicains. Je comprends votre frustration de ne pas avoir pu en débattre, et je la partage. (M. Sébastien Jumel s'exclame.) Nous ne laisserons pas ces préoccupations sans lendemain : nous veillerons à ce que ces amendements soient soumis à l'examen du Sénat. (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.)
Mme Nadia Hai
Très bien !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Mesdames et messieurs les députés, que retiendrons-nous de ces deux semaines de débat ?
M. Benjamin Lucas
Que vous caricaturez tout !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
D'abord, que nous avions le temps d'examiner l'intégralité du texte ; nous avions même plus de temps que n'en a pris l'examen des précédentes réformes des retraites.
M. Jean-Philippe Tanguy
Vous l'avez déjà dit !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Nous retiendrons également que la majorité a travaillé, qu'elle était prête à débattre et qu'elle l'a souhaité jusqu'au bout. Nous retiendrons encore que le Gouvernement a fait évoluer son projet et trouvé des compromis avec les députés prêts à œuvrer pour l'avenir du système de retraites. Malheureusement, je crains qu'on ne retienne l'attitude de la NUPES, qui a empêché la discussion par tous les moyens : c'est délétère et c'est une lourde déception pour celles et ceux qui attendaient ce débat.
Mme Nadia Hai
Exactement !
M. Benjamin Lucas
À cause de vous, la prochaine fois, ils voteront pour le RN !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Ils vous demandaient de discuter au moins de l'article 7 ; vous avez refusé. Alors, ne prétendez pas parler en leur nom ! (Applaudissements sur les bancs du groupe RE.) Enfin, de ces débats, nous retiendrons la posture du Rassemblement national, qui a préféré se taire pendant des semaines, avant de tout miser sur un coup d'éclat final. (Protestations sur les bancs du groupe RN.)
M. Jocelyn Dessigny
Si vous étiez un peu plus présente, vous auriez entendu que nous défendions nos amendements !
Mme Nadia Hai
Continuez à vous taire, ça vous allait bien !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Entre ceux qui ont tourné le dos aux travailleurs et ceux qui ne croient qu'aux coups de communication, entre ceux qui ont empêché le débat et ceux qui n'ont rien proposé, nous avons observé pendant quinze jours deux faces d'un même mépris de la démocratie. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe RE.)
Mme Nadia Hai
Bravo !
Mme Élisabeth Borne, Première ministre
Si le délai fixé par la Constitution pour l'examen en première lecture du projet de loi par l'Assemblée nationale a pris fin ce soir, nous n'avons pas fini pour autant d'en débattre. Nous continuerons à l'enrichir dans les prochaines semaines, en tenant compte des idées de tous ceux qui sont prêts à travailler avec nous et veulent, comme nous, assurer l'avenir de notre système de retraite par répartition. (Les députés des groupes RE, Dem et HOR, ainsi que plusieurs membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent longuement.)


Source : Assemblée Nationale.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-srb-20230217-elisabeth-borne.html