Ah oui, ça fait mal. J'aimais bien certains sketchs, notamment avec Michèle Laroque ("Ils s'aiment" en 1996, "Ils se sont aimés" en 2001, "Ils se re-aiment" en 2012), et aussi avec Il est question de " Je cherche aussi à surprendre. Voilà, rassurer et ne pas ennuyer. Comme ça, après mon passage, les gens diront : avec lui, on était rassurés et surtout, on ne s'ennuyait pas. " (Pierre Palmade).
Pierre Richard ("Pierre et Fils" en 2006). Cela fera toujours mal car un homme dont le métier était de faire rire les autres et qui tue ou qui a failli tuer, il ne fera plus jamais rigoler, assurément. Que la carrière d'un humoriste soit foutue, soyons clairs, on s'en fout ! Mais que la vie de quatre personnes qui se trouvaient là par hasard au mauvais moment sur la route soit complètement foutue, ça m'interpelle, et ça doit interpeller la société en général. Et bien sûr l'État.
Ces propos font désormais frémir. Sketch du (candidat) Président (écrit en 2011), qui se termine par le slogan du Parti qui reste : sécurité routière, de consommation de cocaïne, de chemsex, d'homosexualité mal assurée, d'escort boys, et même de sans-papiers... sans compter que les deux passagers dans la voiture de l'humoriste ont lâchement fui au moment de l'accident au lieu de chercher à venir en aide et d'appeler les secours (non-assistance de personnes en danger), ils se sont finalement rendus à la police et sont en garde-à-vue. Pierre Palmade, lui aussi, a été placé en garde-à-vue le 15 février 2023, après la perquisition de sa maison pas loin des lieux du drame, avec au moins deux affaires, sa responsabilité personnelle dans l'accident et la détention et consommation de drogue. Miné depuis plus de vingt ans par les addictions, Pierre Palmade ne se souvient plus de rien de l'accident (ce qui est logique) mais a eu l'occasion d'exprimer sa honte et assumera toutes ses responsabilités. Son père médecin avait péri dans un accident de la route quand il avait 8 ans. Et très récemment, le 2 février 2023, Pierre Palmade a été acquitté par le tribunal judiciaire de Paris dans une affaire où un escort boy avait été arrêté en train d'acheter de la drogue avec la carte bancaire de l'humoriste (pas très futé).
Tout cet accident fait que ce sera une longue affaire médiatique (et judiciaire), à épisodes, à rebondissements, tout ce dont sont friands les médias gourmands, et à ce jour, après une semaine de grands titres, la palme (provisoire ?) de l'indécence est probablement à attribuer à BFMTV. Comme au moment des attentats islamistes, expliquant la situation évolutive des victimes jusqu'à la nausée, ces journalistes n'ont aucune décence. Pour moi, la définition de la décence est simple, c'est de se poser la simple question : que penseraient les victimes de ce qui est dit ? Se mettre à la place des victimes. Rien que cela.
Mais il faut toujours sortir du positif dans l'horreur. Les grandes catastrophes nucléaires ont par exemple fait augmenter la sécurité des installations existantes. Si cet accident devait servir à quelque chose (je l'écris en pensant très fort aux victimes), ce serait à ceci : à rappeler que la responsabilité du chauffeur sous addictions est totale. Et le fait que l'un des protagonistes, en l'occurrence le responsable, soit une personnalité célèbre, et non seulement célèbre mais plutôt appréciée des Français (même si elle ne fait pas partie du top 50 des personnalités préférées), pourrait au moins éclairer sur l'un des problèmes récurrents de la sécurité routière : l'alcool et les drogues.
En effet, les addictions et la vitesse sont les deux principales causes de l'insécurité routière. Avec la limitation à 80 kilomètres par heure sur les routes à une voie, appliquée un peu laborieusement par l'État et les collectivités locales, qui a montré ses effets positifs, nous sommes arrivés à un plateau et peu de progrès pourront être observés en renforçant les contraintes sur les vitesses (sauf si c'est pour un autre objectif, écologique celui-ci). La mise en place de plus de 5 000 radars automatiques depuis une vingtaine d'années, qu'on soit pour ou qu'on soit contre, a considérablement modifié (en bien) le comportement des automobilistes (le mien notamment, je le reconnais), car le risque d'avoir une amende est maintenant très probable. En vingt ans, on en est arrivé quasiment à l'impunité zéro.
Or, le risque d'être contrôlé pour l'alcool ou les drogues sur la route est quasiment nul. Depuis que j'ai eu mon permis de conduire (je n'ose dire depuis combien de décennies, ça donne le vertige !), je n'ai été contrôlé qu'une seule fois en alcoolémie, alors que pendant une période, je roulais énormément sur les routes de France. J'ai d'ailleurs eu de la chance puisque cette fois-là, de mon unique contrôle, j'étais encore étudiant, je revenais le soir d'une visite d'un copain à l'hôpital qui s'était cassé la figure en parapente. C'était après l'heure de fermeture des visites, les couloirs étaient sombres, et mon camarade, discrètement, m'avait proposé un peu de liqueur de poire (il voulait que je l'accompagnasse). Comme je suis toujours raisonnable (!), j'ai décliné l'offre, mais si j'avais été un peu plus faible (psychologiquement), j'aurais certainement eu la contredanse (mais ce n'est pas cela le plus grave ; j'aurais surtout mis en danger les autres personnes que j'aurais croisées sur mon chemin).
Sur le site gouvernemental de la sécurité routière, il est bien indiqué que la drogue au volant donne un état incompatible avec la conduite : augmentation du temps de réaction, diminution de l'aptitude à décider rapidement et altération de la conscience de son environnement. Et pour la cocaïne : elle " suscite une conduite agressive associée à des erreurs d'attention ou de jugement pouvant aller jusqu'à la perte de contrôle du véhicule ".
Selon le professeur Nicolas Simon, médecin spécialiste en addictologie : " [Le] cocktail drogues et alcool, assez courant, expose très fortement l'usager au risque, puisqu'il multiplie par 29 le risque d'avoir un accident mortel. En cause le cumul des effets : sentiment de puissance et désinhibition, conjugués à l'amoindrissement des réflexes. " (drogues en général, y compris le cannabis).
En 2016, on estime à 752 le nombre de personnes qui ont été tuées dans un accident de la route avec stupéfiants, soit 22% des personnes tuées sur la route, c'est énorme. En 2020, 453 000 dépistages de stupéfiants ont été réalisés sur la route (30% de plus qu'en 2018), et l'objectif était d'atteindre 800 000 contrôles en 2021 (les données n'ont pas été réactualisées). Les forces de l'ordre ont le droit de faire ces contrôles à titre préventif, sans infraction ni accident, et en cas d'accident corporel ou mortel, ce dépistage est obligatoire et systématique.
En cas de test positif, les peines encourues vont très loin puisqu'en cas d'accident mortel, le contrevenant risque jusqu'à 10 ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende (en cas d'accident corporel, jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende). C'est clair que Pierre Palmade sera jugé, la justice tranchera, il ne faut pas qu'il soit impuni sous prétexte de sa célébrité, mais il ne faut pas non plus qu'il soit jugé plus sévèrement que s'il était un chauffard cocaïné "ordinaire". C'est justement le rôle et la conscience professionnelle des juges de résister à toutes les pressions médiatiques ou populaires éventuelles. Il faut aussi comprendre qu'un procès est le seul moment ou endroit où la peine des victimes est officiellement prise en compte.
Ces peines sont sévères car le risque de tuer quelqu'un est énorme. De plus, les statistiques sont têtues : " Un accident mortel sur cinq implique un conducteur positif aux stupéfiants. Cette part passe à un accident sur trois, la nuit au cours des week-ends. ". À l'évidence, des progrès sont encore à faire sur le nombre de dépistages sur la route. La certitude d'être puni si on prend le volant avec dans le sang alcool ou/et drogues modifiera nécessairement le comportement tant des automobilistes que de leurs proches, comme cela a été le cas avec la vitesse. On en est encore loin. Si cet accident sordide et glauque, mais hypermédiatisé, pouvait contribuer à cette prise de conscience, ce tragique accident du 10 février 2023 sauverait alors peut-être de vies à l'avenir...
Aussi sur le blog. " Faites-moi confiance : je ne sais pas où l'on va mais on y va ensemble. ". Ou alors ce dialogue si prémonitoire dans son spectacle avec Michèle Laroque, sketch du Permis de conduire (écrit en 1996) :
PP - Regarde la route, chérie ! (...) Alors, reste un peu sur la droite, tu es au milieu de la route !
ML - Il n'y a personne en face.
PP - Tu verras, ce n'est pas toujours comme ça !
Depuis l'annonce de ce grave accident sur une route de Villiers-en-Bière, ce vendredi 10 février 2023 dans la soirée, les médias ont placé très rapidement Pierre Palmade du statut de victime sympathique au pronostic vital engagé, au statut de salaud, chauffard irresponsable, drogué, bête de sexe qui n'assume pas son homosexualité et qui se perd dans le chemsex... et surtout responsable d'un accident qui a mis un homme, son fils de 6 ans et sa belle-sœur enceinte, tous les trois aussi à l'hôpital avec pronostic vital engagé. La femme a perdu son enfant à naître (à six mois, c'était sa première expérience de future mère et, quelle que soit la qualification judiciaire, c'est un homicide pour la famille), et l'homme semblerait encore en situation de pronostic vital engagé. Quant à l'enfant, très gravement atteint, j'espère qu'il saura trouver la voie pour retrouver ce qu'il était avant l'accident, physiquement et psychologiquement. La photographie du véhicule accidenté montre la violence du choc (le lecteur la trouvera aisément sur Internet).
Sylvain Rakotoarison (16 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Pierre Palmade.
La sécurité des personnes.
Anne Heche.
Diana Spencer.
100 ans de code de la route.
80 km/h : le bilan 2018-2020 très positif.
https://rakotoarison.over-blog.com/article-sr-20230216-pierre-palmade.html