Pour son entrée sur le marché de l'assurance de biens, la filiale du Groupe BNP Paribas spécialisée jusqu'à maintenant sur les couvertures de personnes fait le choix de collaborer avec la jeune pousse américaine Lemonade. Une approche résolument inhabituelle dans le secteur financier… qui soulève également quelques questions sensibles.
Naturellement, quand une entreprise décide de proposer un contrat habitation (pour les locataires, à ce stade, les propriétaires devront attendre) fourni par un tiers, il serait impossible de lui reprocher de porter son dévolu sur Lemonade, qui reste l'incontestable leader de l'expérience utilisateur dans son domaine. Serait-ce la raison pour laquelle le nouveau service n'est pas directement intégré au catalogue de Cardif, le visiteur intéressé étant simplement redirigé vers l'espace du partenaire pour toute souscription ?
Toujours est-il que ce mode de fonctionnement paraît tristement limité… d'autant plus que le trublion a mis en place son portail d'API de longue date, afin d'autoriser une immersion sans friction de ses produits dans des parcours personnalisés. Espérons qu'il ne s'agisse que d'une première itération (expérimentale ?) avant un passage ultérieur à une démarche industrielle… si les résultats sont au rendez-vous. À moins que l'aventure dans l'habitation ne soit pas abordée comme un axe stratégique (ce qui est peu crédible).
Dans la même veine, l'adoption d'une solution exclusivement en ligne surprend de la part d'un acteur plutôt accoutumé à la distribution indirecte (en particulier à travers le réseau de la banque BNP Paribas). Non seulement, la nouvelle police ne pourra-t-elle pas être commercialisée dans les agences physiques mais ses qualités propres, irrémédiablement liées à des interactions à distance, ne se prêtent en aucun cas à une évolution dans ce sens. Serait-ce là un signe précurseur d'une mutation généralisée à venir ?
Sur ce registre, il faut également penser aux clients. En effet, comment vont réagir ceux qui se laisseront séduire par une offre radicalement différente de tout ce qu'ils connaissent ? Une souscription sur le web (donc disponible partout, à tout moment), finalisée en quelques instants, requérant un minimum d'informations, des clauses contractuelles lisibles et transparentes, un traitement instantané des sinistres… Autant de facteurs qui risquent de remettre en cause leurs attentes vis-à-vis de l'assurance…
Comme si la menace de l'InsurTech ne lui suffisait pas, Cardif pourrait se placer elle-même dans une position délicate en montrant, sur l'habitation, un exemple complet des bonnes pratiques qui concourent à la satisfaction client… qu'elle ne parvient pas à répliquer dans ses propres processus. Faudrait-il voir dans l'introduction du loup Lemonade dans sa bergerie une manœuvre destinée à créer une saine émulation, comme un électrochoc capable de déclencher (enfin !) sa nécessaire transformation ?
Bien que ses modalités opérationnelles restent, à ce jour, superficielles, l'initiative de Cardif relève d'une certaine audace. Il faudra toutefois surveiller, dans la durée, si la greffe prend et, surtout, si, au fil de son cycle de vie, elle constitue bien pour la compagnie un pilier essentiel d'un profond renouvellement stratégique – dans le cas contraire, il serait difficile d'en percevoir la valeur réelle – et dans quelle mesure la méthode retenue, indubitablement originale, contribue véritablement à une telle vision.