Le témoignage et les versions successives de ce cadre de la Direction générale de la recherche extérieure (DGRE) sont au centre de l’attention.
Le tribunal militaire a demandé un complément d’enquête, ainsi que l’audition du ministre de la Justice, Laurent Esso. Révélations.
Le commissaire du gouvernement près le tribunal militaire a finalement réclamé, le 14 février, un complément d’enquête au secrétariat d’État à la Défense (SED), dans l’affaire Martinez Zogo, journaliste enlevé le 17 janvier et dont le corps sans vie a été retrouvé cinq jours plus tard, en périphérie de Yaoundé.
Jean-Pierre Amougou Belinga, suspecté d’être le commanditaire de l’enlèvement, ainsi que Justin Danwe, qui a avoué avoir mené l’opération et a mis en cause l’homme d’affaires lors de l’un de ses interrogatoires, ont ainsi été reconduits au SED, après avoir été déférés devant le tribunal militaire, qui a demandé l’audition du ministre Laurent Esso.
Un témoignage crucial
Le commissaire du gouvernement, Belinga Cerlin, a ainsi estimé que les éléments de l’enquête étaient insuffisants à ce stade pour prononcer l’inculpation des deux hommes et des autres suspects, dont le beau-père de Jean-Pierre Amougou Belinga, Etoundi Nsoe, ancien commandant de la garde présidentielle.
Selon nos informations, le commissaire du gouvernement a fait le point de l’avancée de l’enquête avec ses substituts, avant de rendre compte au ministre délégué à la Défense, Joseph Beti Assomo. Ce dernier, qui en a informé le président Paul Biya, a lui aussi estimé qu’un complément d’enquête était nécessaire avant de prononcer ou non l’inculpation des suspects.
Lire aussiAssassinat de Martinez Zogo : L'homme d'affaires n'a jamais utiliser le mot "tué" mais il as dit " donner lui une leçon"Un élément est au centre de leurs attentions : le témoignage de Justin Danwe, lieutenant-colonel de la Direction générale des renseignements extérieurs (DGRE, dont le patron Léopold Maxime Eko Eko a lui aussi été placé en détention et est soupçonné d’avoir été informé de l’enlèvement de Martinez Zogo).
…mais trois déclarations
D’après une source ayant eu accès à l’enquête du SED, Justin Danwe aurait en réalité fait trois déclarations successives. Dans la première, qui n’aurait pas été retranscrite dans le dossier, il avouait être le responsable du commando ayant procédé à l’opération Martinez Zogo, lequel aurait été torturé puis tué dans l’immeuble Ekang, propriété de Jean-Pierre Amougou Belinga perquisitionnée par 160 gendarmes le 9 février.
C’est sur la base de ce témoignage que l’homme d’affaires avait été entendu une première fois comme témoin dans la nuit du 1er au 2 février. Laissé libre à l’issue de cette audition, il avait ensuite été interpellé au matin du 6 février.
Dans la deuxième version de son témoignage, cette fois versée au dossier, Danwe donnait davantage de détails, ajoutant notamment que Jean-Pierrre Amougou Belinga aurait été présent lors d’une partie de l’enlèvement, et que l’homme d’affaires aurait été en contact téléphonique avec le ministre de la Justice, Laurent Esso, le 17 janvier, jour de l’enlèvement.
Dans la troisième et dernière version, également consignée et obtenue après une confrontation avec Amougou Belinga, le lieutenant-colonel affirmait cette fois qu’il avait dirigé l’opération, mais qu’il l’avait fait à distance et qu’il n’était pas présent lors de l’enlèvement et la séance de torture, laquelle n’aurait cette fois pas eu lieu dans l’immeuble Ekang.
Lire aussiCameroun : Un adolescent poignarde à mort son voisin à BafoussamSelon nos informations, les enquêteurs affirment pourtant disposer d’images de surveillance, issues d’une caméra d’un centre commercial, qui prouveraient que Justin Danwe était bel et bien présent dans le quartier de l’immeuble Ekang le 17 février.
Les téléphones exploités
Dans cette troisième déclaration, Justin Danwe affirmait surtout que son équipe avait laissé Martinez Zogo en vie et que ses hommes n’étaient pas responsables de son exécution. Il ne citait alors pas le nom de Laurent Esso mais celui d’un autre ministre, celui des Finances, Louis-Paul Motaze.
Le commissaire du gouvernement Belinga Cerlin a estimé que ces différentes versions, au cœur du dossier, devaient être clarifiées, en premier lieu par l’audition en tant que témoin du garde des Sceaux, Laurent Esso. Celle-ci, qui nécessite une autorisation de Paul Biya en personne, pourrait intervenir rapidement.
Selon une source au palais d’Etoudi, Laurent Esso a pu s’entretenir avec le président dès que son nom est apparu dans cette affaire. Il lui a assuré n’être pas impliqué et a expliqué ne pas être un ami de Jean-Pierre Amougou Belinga. Paul Biya suivrait avec attention l’évolution du dossier, notamment via le contre-amiral Joseph Fouda.
Lire aussiCameroun - Affaire Tala Voyages : Sa famille écrit à Laurent EssoLes enquêteurs affirment disposer d’éléments issus de l’exploitation des téléphones des suspects, qui corroboreraient tout ou partie des déclarations de Justin Danwe. Mais plusieurs questions restent en suspens, notamment sur le rôle exact de la DGRE et l’identité du ou des commanditaires.
L’équipe de défense de Jean-Pierre Amougou Belinga affirme ainsi que la version des faits avancée par le SED n’est pas crédible. L’homme d’affaires, qui a avoué connaître Justin Danwe, nie être impliqué. Le ministre de la Justice, Laurent Esso, celui des Finances, Louis-Paul Motaze, et le porte-parole du gouvernement René-Emmanuel Sadi, ne se sont quant à eux pas exprimés.