Quand la canadienne RBC cède, comme tant de ses consœurs, à la tentation d'étendre son périmètre d'action à l'accompagnement de bout en bout de l'achat immobilier, via l'acquisition d'OJO Home, elle n'emprunte pas la voie classique de son intégration dans ses propres plates-formes et préfère au contraire en faire une offre indépendante.
La thématique de l'accession à la propriété représentait déjà depuis quelques années une des stratégies de diversification les plus répandues dans les banques du monde entier, propulsée par la conviction que sa composante financière leur procure une légitimité à s'immiscer dans l'ensemble de la chaîne de valeur. Sa prédominance est maintenant encore susceptible d'expansion, face aux tensions observées sur le marché et à la crise du coût de la vie, qui mettent toujours plus en exergue la dimension pécuniaire.
Par rapport à cette logique, RBC adopte une orientation plutôt modeste. La solution qu'elle reprend aujourd'hui est issue d'une collaboration datant de 2018 avec le spécialiste états-unien OJO (basé à Austin), concrétisée à partir de 2021 avec ce portail relativement classique, proposant aux consommateurs de les assister dans toutes les étapes de recherche et de négociation d'un bien, jusqu'à la conclusion de la transaction. Une particularité toutefois, le dispositif s'appuie résolument sur un réseau d'agents.
Si la palette de services qu'elle déploie comprend naturellement le crédit hypothécaire, vraisemblablement celui de sa propriétaire, qu'on espère immergé dans un parcours sans frictions, la nouvelle filiale semble avoir vocation à rester relativement autonome. Dans cette perspective, elle sera accueillie, sous son format actuel, au sein de RBCx, portefeuille de sociétés innovantes de la banque, aux côtés d'autres jeunes pousses de domaines connexes (le déménagement, les travaux de rénovation, l'entretien…).
Au milieu de la confusion qui règne actuellement dans le secteur autour des concepts « beyond banking », la Banque Royale du Canada nous fournit un exemple de démarche pragmatique, dont, surtout, les fondations ne reposent pas sur des idées préconçues. Au premier rang de celles-ci, figure le mythe de l'avantage que constituerait la confiance des clients pour leur vendre des produits non financiers. Rien ne démontre pourtant à ce jour qu'ils sont prêts à acheter une résidence via leur établissement teneur de compte.
Dans la vision de RBC (apparemment), la séduction de sa cible rêvée passe par des arguments différents, bien que, évidemment, sa qualité d'institution reconnue conserve tout de même son importance pour les fonctions dans lesquelles l'argent entre en jeu. La priorité est donc de s'affirmer d'abord comme un expert de l'immobilier, avec une marque dédiée, qu'il lui faudra imposer en tant que telle (et sa phase expérimentale paraît l'avoir mise sur les bons rails), doté d'une expérience utilisateur exceptionnelle.
En synthèse, la leçon que nous donne cette initiative évoque selon moi l'humilité devant les transformations en cours : afin de répondre aux menaces de désintermédiation que suscitent l'émergence de plates-formes (notamment celle des géants du web), il est ridicule de compter sur l'effet magique de l'aura supposée des grandes enseignes traditionnelles. La seule riposte viable consiste à se battre sur le même terrain que ces compétiteurs et, en particulier, sur un alignement parfait avec les attentes des clients.