Maus, le livre qui déchire les âmes

Publié le 08 février 2023 par Sylvainrakotoarison

Cette œuvre, c'est "siècle, entre 1933 et 1945.. Vladek, son père, allait mourir en 1982 (et avait détruit le journal intime d'Anja). Art Spiegelman a donc réussi à beaucoup discuter avec son père pour recueillir son témoignage, et cela malgré un caractère difficile, égoïste, radin et même raciste (bien que victime de l'antisémitisme, il était capable de plaquer sur d'autres des préjugés racistes). Art avait un frère aîné, Richieu, né en 1937, que leurs parents ont confié à sa tante pour échapper aux nazis, mais la tante a empoisonné tous les enfants dont elle avait la garde et s'est suicidée... pour échapper aux nazis. Richieu avait 5 ans et "Maus" lui est dédié." On pensait que Hitler voulait seulement les régions de Pologne, comme Bielsko, qui avaient été allemandes avant la Première Guerre mondiale. " (Art Spiegelman, dans "Maus").

Le dessinateur et auteur de bandes dessinées américain Art Spiegelman fête son 75 e anniversaire ce mercredi 15 février 2023. Si ce nom ne vous est pas connu, vous pourrez cependant difficilement ne pas connaître l'une de ses œuvres, qui est mondialement connue, grâce à laquelle il a reçu en 1992 le Prix Pulitzer Spécial dans la catégorie littérature (il n'y a eu que 12 lauréats entre 1918 et 2022), ainsi que le Grand Prix de la ville d'Angoulême le 30 janvier 2011 après un précédent prix à Angoulême en 1993 (il a reçu des dizaines d'autres prix ou récompenses).
Maus". S'il était déjà connu depuis longtemps dans le petit monde de la BD underground et celui des illustrateurs américains, Art Spiegelman a acquis une notoriété auprès du grand-public avec cette œuvre en deux tomes, le premier "Mon père saigne l'histoire" sorti en septembre 1986 et le second "Et c'est là que mes ennuis ont commencé" sorti en 1991, tous les deux chez Flammarion pour sa version française (l'œuvre a été publiée en une trentaine de langues). Une version rassemblant les deux tomes en un seul volume a été publiée en 1996.

En fait, après des premières esquisses dès 1972, la bande dessinée a été publiée à l'origine par épisodes entre décembre 1980 et 1991, dans la revue avant-gardiste de bandes dessinées "RAW" dirigée par lui et sa femme française (depuis plus de quarante-cinq ans) Françoise Mouly (elle-même artiste). Il a fallu attendre août 1986 et une critique élogieuse du "New York Times" pour convaincre un éditeur, en l'occurrence Pantheon Books, d'en faire un livre grand-public. Le choix du sujet était très audacieux, le style aussi, et le fait même que c'était une bande dessinée était avant-coureur.
" Tu m'as assassiné, Maman, et tu m'as laissé ici payer les pots cassés ! "


Anja, sa mère, s'est suicidée en 1968 (à l'époque, Art lui a dit à travers les cieux :
De quoi s'agit-il ? Justement, de la propre histoire de l'auteur. Fils de Juifs polonais, Art Spiegelman, né en Suède (à Stockholm où la famille a trouvé refuge juste après la guerre), a émigré zvec ses parents aux États-Unis quand il était enfant. La raison était compréhensible : Vladek (son père, né en 1906) et Anja (sa mère, née en 1912) ont tous les deux étaient déportés dans des camps d'extermination mais en ont réchappé. "Maus" raconte ainsi cette terrible épreuve familiale sous forme d'un témoignage qui a valeur mémorielle sinon historique. L'histoire se déroule en 1978 dans un dialogue entre Vladek et Artie, son fils (Art Spiegelman), avec évidemment beaucoup de retours à la période la plus noire du XX e

"roman graphique", comme on dit froidement pour éviter l'expression "bande dessinée", a été le premier à avoir été l'objet des critiques littéraires et même universitaires alors qu'à l'époque de sa sortie, la bande dessinée restait un art mineur (pour ne pas dire considéré comme minable). Le style de narration est très documentaire : on suit la trame des discussions entre le père et le fils, certains détails insignifiants apportent de la légèreté dans le tragique, le récit se déroule avec une fausse naïveté. D'autres auteurs de bandes dessinées se sont inspiré de "Maus". J'y vois ainsi sa griffe dans les œuvres de "The New Yorker" (dont son épouse était la directrice artistique) où il a publié de nombreuses unes (couvertures) ainsi que plusieurs bandes dessinées. Mais il a quitté la revue qu'il trouvait trop conformiste et a publié à partir des années 2000 dans des magazines européens, notamment des dessins et bandes dessinées sur les

En clair, "Maus" raconte la vie à Auschwitz, et avant Auschwitz, l'irrésistible montée du nazisme, et fait partie des œuvres singulières à l'avoir fait, comme "Si c'est un homme" de Primo Levi et quelques autres récits aussi forts et émouvants, qui étaient encore rares au début des années 1980 ( Simone Veil, par exemple, n'a témoigné que bien plus tard, à partir des années 2000). Art Spiegelman n'est pas un rescapé (il est né en 1948) mais il est en quelque sorte le dépositaire de la mémoire de ses parents qui, eux, ont vécu l'indicible (ou plutôt, de la mémoire de son père).

Composé de 292 planches et 1 500 cases, toutes noir et blanc, "Maus" est très original et donne une autre manière de comprendre les atrocités nazies. La principale caractéristique est que ses personnages sont tous des animaux (à l'instar des bandes dessinées de Walt Disney) : à chaque pays correspond un animal. Je devrais plutôt écrire : à chaque catégorie d'humains correspond un animal. Ainsi, les Juifs sont représentés par des souris (d'où le titre de l'œuvre), les Allemands sont des chats (dommage pour les matous), les Polonais sont des cochons, les Américains sont des chiens, les Français des grenouilles, les Anglais des poissons, les Suédois des élans, etc. C'est très efficace : sans même rien expliquer, cela donne déjà une vision assez particulière du monde, une division de l'humanité entre les bons et les mauvais, entre ceux à garder et ceux à exterminer. Une vision de la proie et du prédateur. La représentation d'un Juif allemand a posé problème et la souris l'a emporté.
Guy Deslile qui raconte avec une fausse naïveté similaire les pays dans lesquels il a séjourné pour accompagner sa femme faisant de l'humanitaire (la " Contre les Juifs, on n'a pas besoin de les pousser, les Polonais ! " Corée du Nord, la Birmanie, Israël, etc.).
Dmitri Vrubel.
L'édition de "Maus" a rencontré des problèmes dans certains pays : en Russie, la propagande nazie étant interdite, il n'a pas pu être édité en raison de sa couverture représentant une grande croix gammée ; en Israël, l'auteur a dû supprimer ou modifier un passage sur la police juive, pour éviter un procès ; en Pologne, aucun éditeur du pays n'a accepté de l'éditer en raison de la représentation en cochons des Polonais, et pas seulement, certaines phrases y sont très fâcheuses, comme celle-ci : attentats du 11 septembre 2001.

L'année 2012 fut une année Spiegelman en France : il a présidé le Festival d'Angoulême, a reçu une décoration de la part du Ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, et a été présent au Salon du Livre de Paris, et une rétrospective lui a été consacré au Centre Pompidou à Paris. Il a trouvé en Europe plus de compréhension pour ses œuvres qu'aux États-Unis, en particulier dans ses critiques acerbes contre George W Bush puis Donald Trump.
À cause du thème très grave et de cette originalité, ce . Il a fallu créer une maison d'édition spéciale en Pologne. Pour l'instant, il n'y a aucune édition en langue arabe. En 2011, Art Spiegelman a sorti "MetaMaus, un nouveau regard sur Maus, un classique des temps modernes" (chez Flammarion pour l'édition française), une sorte de livre documentaire sur la réalisation de "Maus" avec un DVD. L'auteur a refusé toutes les propositions visant à adapter "Maus" au cinéma.

Entre 1993 et 2002, Art Spiegelman a été recruté par le magazine culturel
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (11 février 2023)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
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Maurits Cornelis Escher.
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