bijoutiers littéraires et jargon d'époque. ( Émile Zola )

Par Jmlire

Émile Zola, 1902

" À aucune époque, la forme n'a préoccupé davantage nos écrivains. En face des bâcleurs de besogne, tout un groupe de stylistes a grandi. Il semble que la fécondité effroyable des faiseurs de feuilletons et des faiseurs d'articles, que ces charretées de phrases incolores et incorrectes vidées chaque matin sur la tête du public par les tombereaux de la presse, aient poussé les esprits lettrés à une réaction violente. Ils se sont mis à l'écart, ils sont devenus des bijoutiers littéraires, ils ont d'autant plus ciselé leur style que les romanciers feuilletonnistes et les journalistes lâchaient davantage le leur...

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Il y a donc un jargon particulier dans chaque période littéraire, que la mode adopte, qui séduit tout le monde, qui se démode et qui, après avoir fait la fortune des livres, les condamne justement à l'oubli. Alors, nous devons avoir notre jargon, nous autres aussi. Le malheur est que, si nous voyons nettement celui des époques disparues, nous ne sommes nullement blessés par le nôtre ; au contraire, il doit être notre vice, notre jouissance littéraire, la perversion du goût qui nous chatouille le plus. Souvent, j'ai pensé à ces choses, et j'ai été pris d'un petit frisson, en songeant que certaines phrases, qui me plaisent tant à écrire aujourd'hui, feront certainement sourire dans cent ans..."

Émile Zola : extraits de "Les romanciers naturalistes", 1881. Relevé dans le livre : "La langue littéraire, une histoire de la prose en France..." Arthème Fayard, 2009.