L’opulente galerie de portraits s’est encore enrichie d’un nouveau visage, lundi 6 octobre à La Havane : la grande famille des champions du monde français à l’épée compte désormais un nouveau membre, et il s’appelle Fabrice Jeannet. Disons-le tout net : son imposante stature de 1,93 m pour 85 kg, sa silhouette souple et athlétique ne dépareront pas, au contraire, auprès de ceux qui ont porté l’épée tricolore au sommet de la hiérarchie mondiale ces vingt dernières années.Ce cercle de moins en moins fermé comptait les deux Philippe par lesquels tout a commencé : Boisse et Riboud. Il comptait encore Eric Srecki et Hugues Obry. Voici venu le temps de Fabrice Jeannet. Pas vraiment une surprise, en réalité, puisqu’on lui chauffait sa place depuis quelques années : en 2001 et 2002, il s’était déjà emparé des médailles de bronze et d’argent à l’occasion des championnats du monde de Nîmes puis de Lisbonne. En l’an 2000, il avait été sacré champion du monde juniors.On savait que son heure viendrait et qu’elle viendrait vite. Elle a sonné à Cuba, par un lundi ensoleillé, dans un morne palais des sports de béton gris passé d’âge, devant, hélas, des travées désertes. Mais Fabrice Jeannet, qui fêtera ses 23 ans le 20 octobre, connaîtra d’autres décors pour d’autres moments de gloire, tant il domine aujourd’hui l’épée mondiale.« IL A INVENTÉ AUTRE CHOSE »Vitesse et précision, alliées à une manière incomparable de tenir l’adversaire à distance, de le presser si besoin, de lui imposer son tempo, de le prendre à contre-pied, et de l’user physiquement : on ne saurait énumérer les qualités du champion du monde 2003. Son épée est à part. « Il a tout bonnement inventé autre chose », tente simplement d’expliquer, admiratif, Philippe Boisse.Lundi, le jeune Martiniquais ne s’est pas fait beaucoup de frayeurs pour parvenir à ses fins et, pour tout dire, l’issue de la journée a vite semblée inéluctable. « Je ne voulais pas tout dévoiler trop tôt, dira-t-il, alors j’ai géré la compétition. Mais du coup, je me suis mis en difficulté. »Si peu : un match qui peine à démarrer, un adversaire qui s’accroche, rien de bien singulier à signaler dans la plupart des cas. Sinon des scores fleuves en faveur du Français, à cette arme où la plupart du temps les victoires se chicanent, où les matches basculent pour une mouche qui accroche là et qui ripe ici.En finale, face à l’Ukrainien Maxim Khvorost, Fabrice Jeannet s’accordera bien une petite entorse à son régime du jour. Alors qu’il menait largement les débats (4-1), le Français laissera son adversaire revenir pas à pas. Et prendre la première fois l’avantage à deux encablures de la fin (13-12). Frayeurs fugitives, rapidement dissipées. Le bretteur de la Martinique remettra prestement les choses au point pour s’imposer 15 touches à 13.On ne regrettera qu’une chose, du coup : que le champion sortant, le Russe Pavel Kolobkov, n’ait pas pu défendre son titre les armes à la main. Suite à un incident technique, son avion était resté bloqué à Paris. Il est arrivé dimanche soir, trop tard pour disputer l’épreuve individuelle.Le combat le plus difficile à mener pour Fabrice Jeannet, au bout du compte, aura été cette demi-finale piège. Le futur champion y retrouvait son copain de l’équipe de France Ulrich Robeiri, né à Cayenne (Guyane) il y a bientôt 21 ans. « C’était le match que j’appréhendais le plus, confie Fabrice Jeannet. Parce qu’on se connaît bien, que l’on tire souvent ensemble et qu’en nombre de victoires, on doit être à égalité. Quand on tire contre un pote, on a toujours la même envie de gagner, mais je ne crois pas que l’on puisse faire preuve de la même agressivité. »
Ulrich Robeiri, finalement médaillé de bronze, pourrait d’ailleurs en témoigner : quelques heures plus tôt, il avait dû lui-même interrompre le parcours d’un autre épéiste tricolore, Erik Boisse, le fils du champion olympique 1984. Heureuse épée française, qui n’a rien d’autre à craindre qu’elle-même.
Olivier Zilbertin (La Havane)