Songeries neigeuses
Poète discret, Jean-Pierre Le Goff a construit jusqu’à sa mort en 2012 une œuvre très personnelle qui le poussera à abandonner l’écriture en faveur d’une « poésie en action » à laquelle il conviait par courrier un groupe d’amis et de connaissances (des « petits papiers » réunis en 2000 chez Gallimard sous le titre Le cachet de la poste). Alors que les éditions Le Cadran ligné annonce pour l’année prochaine un fort volume de textes inédits, la réédition du tout premier livre de Le Goff, initialement paru en 1980, vient à point nommé.
Journal de neiges est un carnet de bord où le poète note les impressions que suscite en lui l’observation de la neige, cette brève féérie hivernale qui accompagne la « gifle salubre » du froid. Ce manteau duveteux qui se pose sur toute chose pour mieux les embellir (ou finir, hélas, en boue informe) est un spectacle qui « par sa réverbération particulière ouvre le psychisme » car « les cristaux, incidemment, coulent leurs empreintes sur la plaque sensible et encore occulte de nos neurones ». Peut-être contiennent-ils, d’ailleurs, le souvenir des vieilles alchimies. La neige, quoi qu’il en soit, est un émerveillement qui permet de maintenir alerte le regard de l’enfance. Elle offre de beaux miroitements à notre finitude : « La plaine illimitée de neige est celle de l’avant-naissance qui se mire dans la mort, elle est la page blanche de l’incréé qui se reflète dans une conscience qui sait qu’elle disparaîtra un jour ». Elle est aussi objet de rêverie scientifique quand le poète voit en elle « une émulsion d’origine lunaire et le négatif de la nuit » et qu’il la définit comme « la transformation de la solution sombre et épaisse de la nuit en une granulation blanche et aérienne produite par l’intrusion d’un rayon de lune à l’onde particulière ». Assis avec son carnet à la table du café, il la voit tomber et se demande si ce n’est pas la « précipitation » de ses propres mots qui l’aurait convoquée.
Jean-Pierre Le Goff – Journal de neiges [Librairie La Brèche éditions, 72 pages, 14 euros]