L’art textile en France (3)

Publié le 04 février 2023 par Anniecac @AnnieCdeParis

La dentelle – Si l’art de la dentelle n’est pas né en France, il y a très vite trouvé, dès le début du XVIème siècle, un terrain favorable à son épanouissement. Vers la moitié du XVIème siècle, l’aristocratie se prit d’engouement pour la finesse de ces nouvelles parures qui venaient somptueusement garnir les costumes masculins et féminins ainsi que les tissus d’ameublement. Nombreux furent ceux qui n’hésitèrent pas, pour en faire l’acquisition, à investir d’énormes sommes auprès des fournisseurs étrangers, allant parfois jusqu’à vendre leurs terres.

Réagissant contre ces dépenses exagérées, Louis XIV et Colbert décidèrent de bloquer l’importation des dentelles italiennes et flamandes et, en 1665, ils fondèrent une industrie nationale sur des sites où cette production – à l’aiguille ou aux fuseaux – était déjà implantée : Alençon, Arras, Aurillac, Sedan et Reims, par exemple, furent promues manufactures royales de dentelle. En quelques années, la dentelle française atteignit en qualité et en diversité le niveau des ouvrages italiens et sa renommée ne tarda pas à gagner l’Europe entière. Le siècle de Louis XIV vit la suprématie des fastueux ouvrages à l’aiguille, baptisés royalement « Point de France ».

Répondant à une gigantesque demande, les ateliers de dentelle se développèrent alors à grande échelle dans maintes régions du pays, employant une main-d’œuvre toujours plus abondante. Sous Louis XV puis Louis XVI, on privilégia le travail aux fuseaux dans la recherche d’une plus grande légèreté ; ce fut notamment la vogue des Valenciennes.

Le marché de la dentelle ne cessa de s’accroître jusqu’à la Révolution où il s’effondra brutalement : de nombreux centres ne se relevèrent jamais, malgré la politique d’encouragement national menée par Napoléon. Les techniques de fabrication mécanique se perfectionnaient cependant peu à peu et les pièces ainsi obtenues devinrent financièrement accessibles à un public très large. Parallèlement, certains ateliers de très haut niveau – tel celui de Lefébure à Bayeux – connurent leur heure de gloire, grâce à la production de la luxueuse Chantilly de soie noire, notamment. Cette prestigieuse dentelle aux fuseaux apparue vers le milieu du XVIIIème siècle, qui se caractérise par des motifs romantiques se dessinant sur un fond délicat, envahit les garde-robes françaises et étrangères de ses volutes aériennes jusqu’à la fin du siècle suivant.

Renforcée progressivement depuis le début du XXème siècle dans son rôle de produit de luxe, la confection manuelle est devenue essentiellement un objet de recherche et de création artistique. Les principales applications de la dentelle concernent aujourd’hui la haute couture. Elle suscite cependant depuis quelques années un renouveau d’intérêt général dont témoignent ouvrages et revues, expositions et ateliers d’enseignement consacrés à cet art.

L’impression sur tissu – Le panorama de l’art textile français resterait incomplet sans l’évocation des techniques d’impression, qui se développèrent de manière éblouissante, bien après celles de la broderie et de la tapisserie cependant. Alors qu’on pratiquait l’impression sur étoffe en Italie depuis le XIVème siècle, on ne commença à appliquer ce procédé en France qu’au cours du XVIIème siècle, pour composer les fameuses « indiennes » inspirées des tissus de coton fort coûteux importés des Indes.

Des centres spécialisés s’installèrent un peu partout en France, entre autres dans les villes de Marseille, Montpellier et Rouen. En Alsace, un ensemble important d’ateliers d’impression sur étoffe apparut à partir de 1747. Cherchant à améliorer les techniques en usage, artistes et dessinateurs créèrent des motifs dont certains allaient connaître un succès durable. On vit ainsi un déploiement de décors variés – inspirés des châles de cachemire si populaires et coûteux -, que l’on imprimait à l’aide de blocs incrustés de métal. Cette production fut rapidement frappée d’interdit par Colbert pour protéger les autres industries textiles ; pourtant, la demande s’amplifia et l’autorisation fut finalement accordée en 1759. Les ateliers se multiplièrent et on assista à l’explosion de nombreux talents, tel celui du dessinateur lyonnais virtuose, Philippe de la Salle.

Christophe Philippe Oberkampf représente l’une des principales figures de cette époque : il contribua largement à l’épanouissement de l’impression sur le sol français. La toile de Jouy, si réputée, tire son nom du village de Jouy-en-Josas, près de Versailles, où il fonda en 1759 un atelier qui devait devenir célèbre pour ses imprimés monochromes. Oberkampf mena à bien son entreprise grâce à la sûreté de son jugement : il choisit d’utiliser des teintures de bonne qualité, sut se faire seconder par des artisans de valeur et fut soutenu par les savants de son temps. Il obtint aussi de ses dessinateurs la mise au point de modèles originaux qui contribuèrent à l’essor d’une création textile à caractère français, se distinguant des cotonnades indiennes peintes si prisées jusque-là. Manufacture royale par décret de Louis XVI depuis 1783, l’atelier de Jouy traversa sans trop souffrir la période révolutionnaire. Pour augmenter la production, Oberkampf remplaça en 1797 le système de la planche de cuivre ou de bois par celui de cylindre gravé. Au faîte de sa gloire sous l’Empire, la manufacture s’écroula avec lui.

Le rayonnement de la mode française – C’est à sa prédominance politique et surtout à sa prospérité économique que la France doit son rayonnement mondial dans le domaine de la mode. Au XVIIème siècle, le français était devenu la langue internationale et diplomatique ; l’architecture et la peinture de ce pays constituaient de véritables modèles de référence, tandis que l’Europe se couvrait de petits « Versailles » où les courtisans s’habillaient à la française. Sous l’impulsion de Louis XIV et de Colbert, les grandes manufactures permirent l’élargissement de la production. Par ailleurs, le rassemblement de la noblesse à la cour de Versailles favorisa l’accélération du rythme de renouvellement des modes. Courtisans oisifs et gentilshommes se passionnaient pour les dernières frivolités lancées, à défaut de pouvoir s’intéresser à de plus grands desseins. La cour devint le lieu du plus vertigineux ballet des modes, et la vision de ce luxe effréné fascine les cours européennes qui tentèrent en vain de les imiter. La mode française, avec le décolleté féminin comme principal trait distinctif, s’imposa en Angleterre de 1625 à 1650, puis, à partir de 1666, se répandit partout.

A la fin du siècle suivant, en revanche, la France dut compter avec l’influence venue d’outre-Manche qui occupa alors le devant de la scène, particulièrement dans l’habillement masculin. A l’étranger, deux conceptions de l’élégance rivalisaient, le raffinement de la « robe à la française » s’opposant à la simplicité de la « robe à l’anglaise » et de la redingote. La gravure de mode contribuait à véhiculer l’image des styles nouveaux et les marchandes de mode comme Rose Bertin expédiaient régulièrement dans les cours étrangères des poupées parées des dernières créations.

Au cours du XIXème siècle, l’Angleterre confirma sa suprématie en matière de mode masculine, tandis que la France affirma de son côté sa prédominance dans l’art vestimentaire féminin. En marge de l’habillement, enfin, la France a de tout temps manifesté une immense créativité dans la production des accessoires les plus variés, du chapeau aux gants et aux bijoux.

Le phénomène de la haute couture – Si la mode vestimentaire ne relève pas d’un monopole national, c’est bien à Paris qu’est née la notion de haute couture (ou couture création) : on peut situer son apparition en 1858, avec l’arrivée à la cour impériale du couturier anglais Frédéric Worth. Jusque-là, il existait dans les capitales européennes des couturières réputées qui habillaient les élégantes de la bonne société ; mais elles s’efforçaient avant tout de traduire les goûts de leurs riches clientes. Avec Worth, c’est le créateur qui s’affirma, en proposant un choix de modèles adaptables ensuite aux mesures des intéressées.

L’état de prospérité économique et les progrès techniques aidant, Européennes et Nord-Américaines remplaçaient de plus en plus souvent leurs garde-robes. La couture prit donc une place plus importante et Worth fit des émules, si bien qu’au tournant du siècle Paris s’était imposé comme capitale de la création vestimentaire. Attentifs aux cultures étrangères et à l’évolution des arts décoratifs, des couturiers tels que Poiret, Doucet, Vionnet et Schiaparelli investirent l’Occident de leurs créations raffinées. Pendant un demi-siècle, l’élégance française continua de s’imposer à travers les modèles de Chanel, Dior ou Fath, puis, plus tard, avec ceux de Balmain, Cardin et Courrèges.

Depuis toujours, les grands couturiers travaillaient pour une clientèle particulière et fortunée. En 1962, Cardin lança – en plus de ses collections traditionnelles – le prêt-à-porter sous griffe couture ; désormais, les couturiers allaient concéder les droits de reproduction de certains modèles à des spécialistes de la confection en vue d’une plus large distribution. Traditionnellement, la haute couture parisienne donnait le ton dans le domaine de la mode vestimentaire lors de la présentation des deux collections annuelles du printemps et de l’automne ; mais depuis 1960 environ, créateurs et stylistes se sont montrés de plus en plus imaginatifs et leurs modèles ont souvent une forte influence sur les tendances de la saison suivante : choix des matières, des lignes, des coloris et des thèmes.

Aujourd’hui, l’Angleterre, l’Allemagne, l’Espagne et, surtout, l’Italie et le Japon sont de plus en plus présents sur ce marché. A Paris ou ailleurs, c’est bien souvent dans les ateliers des créateurs que se fait la mode, mais le prestige de la France reste tel que la présentation des défilés dans la capitale et la reconnaissance de la critique parisienne sont nécessaires à tout créateur étranger désirant atteindre une renommée mondiale.

Sources : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 10.