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« Nous ne fêterons jamais les 25 ans d’Alban » : Deux ans après la mort de leur fils, les parents d’Alban Millot témoignent

Publié le 03 février 2023 par Lepinematthieu @MatthieuLepine
« Nous ne fêterons jamais les 25 ans d’Alban » : Deux ans après la mort de leur fils, les parents d’Alban Millot témoignent

10 Mars 2021.

Aujourd'hui notre fils, Alban, qui est le dernier de nos 3 enfants, a 25 ans.

Nous sommes installés à Dole dans le jura, depuis 30 ans. C'est donc là que nos enfants ont grandi. Si notre fille, Claire, l'ainée, habite dans les Alpes avec son compagnon, Alban lui, à l'été 2020, a choisi de rejoindre son grand frère Sacha, installé à Montpellier depuis deux ans. Ils ont trouvé un bel appartement qu'ils ont pris en colocation avec leurs copines respectives. La famille sort d'une période difficile. Laurent, mon époux et père des enfants, a subi une transplantation rénale en novembre 2020, après 3 longues années d'attente et de dialyse. Nous sommes heureux de voir la santé de Laurent s'améliorer et de voir nos enfants vivre leur vie.

Alban, depuis 3 semaines, a trouvé un nouveau travail, et ce travail, qui consiste à installer des panneaux photovoltaïques, lui plaît. C'est un jeune homme calme. Il aime la lecture, le cinéma, les jeux vidéo, la musique, le sport, et en particulier le basket, passion qu'il partage avec son frère. Depuis presque 8 ans il est en couple avec Mallaury, avec qui il vit depuis quelques années déjà.

Ayant choisi de ne pas faire d'études, il a passé un BPJEPS " sport pour tous " durant lequel il a été entraineur au club de basket de Besançon.

Comme beaucoup de jeunes de son âge, il a alterné des périodes de chômage et des périodes travaillées. Mais aujourd'hui il est heureux de ce nouveau travail, et l'horizon s'éclaircit.

25 ans, ça se fête ! Nous avons donc décidé de prendre le train pour Montpellier et de passer le reste de la semaine chez les garçons, pour préparer une surprise à Alban.

Comme il est en déplacement, c'est son frère qui doit venir nous chercher à la gare. Avant de monter dans le train, on envoie un message à Alban pour lui souhaiter son anniversaire.

« Nous ne fêterons jamais les 25 ans d’Alban » : Deux ans après la mort de leur fils, les parents d’Alban Millot témoignent

Cette photo date de 2012. C'était pour les 18 ans de Sacha. Elle montre le bonheur qu'on avait à être ensemble.

Le train entre en gare, nous descendons sur le quai, savourons le soleil de mars en Occitanie, et nous rendons au point de rendez-vous habituel, car nous sommes déjà venus en janvier. Il va nous falloir attendre un peu, nous savons que Sacha sera certainement pris dans les bouchons.

Curieusement il est déjà là, avec Mallaury et une autre amie, nous sommes étonnés mais agréablement surpris.

Et puis, on croise le regard de notre fils, on n'oubliera jamais ce regard. Et les mots qui tombent, ces mots que tous les parents redoutent d'entendre. Cette irrémédiabilité, cet impossible retour en arrière, " Alban est décédé ".

J'entends encore mon hurlement, je vois l'effroi et l'incompréhension dans les yeux de mon mari. La souffrance dans ceux de Sacha qui, en plus de la perte de son petit frère, porte la responsabilité de nous l'annoncer. Le choc me jette littéralement au sol, je n'entends même pas les circonstances racontées par Sacha, un acouphène m'envahit, qui ne me quittera jamais.

Ce sont les gendarmes de Montpellier qui sont venus chez les enfants, dans l'après-midi, pour leur annoncer le décès. Ils ont laissé le numéro de téléphone du commandant de brigade de la Gendarmerie de Paimpont, qui est intervenue sur les lieux, à Lieuron, en Ille et Vilaine.

Arrivés à l'appartement, après avoir compris que notre fils a fait une chute mortelle sur son lieu de travail, nous entrons en contact avec ce commandant qui nous relate les faits.

Alban et son collègue âgé de 20 ans, après avoir terminé un chantier en Alsace le mardi, devaient se rendre le mercredi à Lieuron pour installer des panneaux photovoltaïques, sur le toit d'un petit hangar, chez des particuliers. Le gendarme nous explique que sur ce toit se trouvaient des zones de tuiles en plastique transparent et qu'Alban, en marchant dessus, est passé au travers et a fait une chute de 5 mètres environ. C'est son collègue qui lui a porté les premiers secours et appelé les pompiers. Alban n'a pas pu être ranimé suite à " un trauma facial important ", ces termes sont insupportables à entendre. Le gendarme très ému lui aussi par l'accident, nous informe qu'il n'y avait aucun élément de sécurité, ni d'EPI, sur place, contrairement à ce que prévoit la loi. Une enquête est ouverte, l'inspection du travail est saisie, il nous invite à déposer plainte.

Alban repose à l'institut médicolégal de Rennes, les pompes funèbres doivent nous contacter pour nous dire quand nous disposerons du corps de notre fils.

Nous vivons ces moments comme irréels, totalement spectateurs de ce qui nous arrive. Même les larmes ne viennent pas tellement le choc est grand. Parler ensemble avec Sacha et Mallaury de ce qu'Alban aurait souhaité pour ses funérailles, mais à 25 ans on ne pense pas à parler de ça, ils n'avaient jamais évoqué ce sujet ensemble. C'est si difficile de prendre cette décision pour lui. Nous avons pensé qu'il aurait souhaité une crémation, c'est ce que nous avons décidé ensemble.

Nous ne fêterons jamais les 25 ans d'Alban.

Nous rentrons à Dole par le premier train du lendemain matin, après une nuit blanche, passée à retourner les événements dans nos têtes, à se demander comment affronter le reste de nos vies avec cette souffrance, l'annoncer à la famille, aux grand-mères, et toujours pas de larmes...

Nous sommes très vite contactés par les pompes funèbres de Rennes. On nous explique que nous avons deux possibilités, soit la crémation a lieu à Dole et nous faisons rapatrier Alban cercueil fermé, soit elle a lieu à Paimpont, près de Rennes et nous nous y rendons pour pouvoir voir notre fils une dernière fois. Nous choisissons la seconde option, une cagnotte Leetchi a été créée, nous décidons de louer un gite pour toute la famille, et de tous s'y rejoindre. Rendez-vous est pris avec les pompes funèbres pour le lundi, nous sommes jeudi.

Nous arrivons à Paimpont le vendredi. Le lendemain avec Mallaury nous nous rendons à la gendarmerie pour le dépôt de plainte. Nous allons aussi sur les lieux du drame, rencontrer la famille chez qui l'accident est arrivé. La dame nous dit qu'elle trouvait ces ouvriers bien jeunes pour travailler seuls sur ce chantier, qu'ils n'avaient pas de matériel, qu'ils avaient dû repartir pour aller louer une échelle dans un magasin de bricolage. Nous avons pu regarder les derniers paysages que notre fils a vus. Nos cœurs se déchirent un peu plus.

Aux pompes funèbres nous avons dû choisir un cercueil, une urne, c'est la pire des choses que l'on peut vivre en tant que parents. Et toujours éloignés de la réalité, incrédules, spectateurs de nos vies, comme inconscients.

Le mercredi 17 mars, soit une semaine après son décès, nous nous rendons à l'IML de Rennes, pour récupérer le corps d'Alban. Si son père et son frère ont pu le voir, Claire, Mallaury et moi n'avons pas eu la force. J'ai vu une mèche de cheveux et je me suis effondrée.

La crémation a eu lieu à 10h en présence de toute la famille, oncles, tantes, cousins et cousines. Seule Mallaury a souhaité et réussi courageusement à s'exprimer pour lui rendre hommage.

Nous sommes rentrés à Dole, avec, entre nous deux dans la voiture, l'urne contenant les cendres de notre fils, c'était surréaliste.

Le samedi nous avons organisé une marche blanche à Dole, sur les terrains de basket où Alban passait le plus clair de son temps libre. Ces mêmes terrains où la ville de Dole a planté un arbre, installé une plaque commémorative et un banc. Cet endroit où depuis bientôt 2 ans maintenant, nous venons nous recueillir. Les larmes enfin venues...

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Plaque commémorative installée à Dole.

Passé le choc, vient l'attente d'un procès.

Nous avons fait le choix de ne pas trop nous exprimer sur les circonstances du décès d'Alban, en raison de l'instruction en cours. Nous avons fait le choix de ne pas verser dans la haine, ni la colère, Alban n'aurait pas aimé ça.

Il était plutôt discret et pragmatique. Il avait toujours les bons mots dans les moments difficiles, il adorait sa sœur dont il était très fier parce qu'elle a fait de longues études. Il marchait dans les pas de son frère, ils étaient très proches. Il aimait sa copine, ils avaient des projets, il avait la notion de la vie de couple. Il avait un chat, Mango, qu'il adorait.

Et le temps passe, et nous n'avons que très peu d'informations sur la procédure. On a parfois l'impression d'être complètement oubliés. On sait que ça va être long, deux ans en moyenne, d'après notre avocate.

Le plus dur, c'est de se dire que l'affaire peut être classée sans suite par le procureur.

Nous aimerions que la mort d'Alban ne soit pas classée en simple accident, nous aimerions lui faire honneur, que ce drame serve d'exemple et de témoignage afin qu'il ne se reproduise pas. Nous aimerions que la mort de notre fils ne soit pas vaine.

Il n'est pas normal de mourir au travail en France à 25 ans au 21 ème siècle !
Et pourtant, depuis, d'autres jeunes et moins jeunes ont rejoint Alban, d'autres parents, enfants, maris, femmes, ont vécu cette horreur.

Alors nous avons décidé de rejoindre le collectif familles : stop à la mort au travail. Avec ce collectif, nous espérons faire changer les lois, faire évoluer la prévention, les contrôles, les sanctions, pas pour notre fils, malheureusement c'est trop tard, mais pour tous les autres qui risquent leurs vies au travail tous les jours. Nous aimerions sensibiliser la population, les médias, l'état. Parce que le silence autour de ces accidents est insupportable, ce n'est pas juste une fatalité, bien souvent il y a des fautes graves derrière, et bien souvent, trop peu punies.

Aujourd'hui le temps de l'instruction a passé et nous avons une date de procès : le 6 juin 2023 à Rennes à 16h. Nous apprenons au passage que l'employeur d'Alban a déjà fait l'objet d'une condamnation, que deux accidents similaires non mortels ont déjà eu lieu dans l'entreprise avant l'embauche d'Alban. On se demande ce que fait l'état.

« Nous ne fêterons jamais les 25 ans d’Alban » : Deux ans après la mort de leur fils, les parents d’Alban Millot témoignent

J'ai eu Alban au téléphone peu de temps avant son accident. J'étais contente qu'il appelle, il ne le faisait pas souvent, il communiquait plus par textos. Il me disait qu'il était content de son nouveau travail. Il aimait bien le fait d'être en déplacement, de travailler en autonomie avec son collègue avec qui il s'entendait bien. Mais il me disait aussi qu'il ne resterait dans l'entreprise que jusqu'à l'été, pour enchainer ensuite avec un poste en restauration pour la saison. Il trouvait son travail dangereux, tous ses collègues l'avaient mis en garde. L'entreprise ne fournissait pas le bon matériel pour la sécurité. Il prévoyait de s'acheter un baudrier avec son premier salaire, je lui ai répondu que c'était à l'entreprise de le fournir, il m'a dit que son patron n'était pas d'accord, qu'ils avaient déjà des harnais de nacelle, alors qu'il n'y avait pas de nacelle. Il faisait beaucoup de kilomètres au volant d'un gros utilitaire alors qu'il n'avait que 6 mois de permis, et son collègue, lui, n'avait pas le permis. Je me rappelle avoir eu peur pour lui. Je lui ai dit de faire attention sur la route, et de bien faire attention sur les toits, de ne pas se mettre en danger pour un smic.

-" T'inquiète pas maman, je serai prudent. J'ai fait de l'escalade au bpjeps, je m'assure après les cheminées "

-" Je t'aime mon fils "

-" je t'aime aussi maman "

Ce jour-là, sur ce toit-là, il n'y avait pas de cheminée.

Et je n'ai plus jamais entendu la voix de notre fils.

Véronique et Laurent Millot


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