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* toi aussi fais des titres culturels
J’ai la chance d’habiter pas très loin d’une très belle avenue de Séville : La Avenida de la Palmera (l’Avenue du Palmier). Je la prends tous les jours quand je vais au boulot et quand je fais mon jogging. Bah oui, j’ai pas internet, je vous le rappelle. Faut bien s'occuper !
Cette avenue est vraiment magnifique. Il y a des palmiers tout le long (normal vu le nom) et les maisons sont ha-lu-ci-nan-tes. Il n’y a que des villas gigantesques, toutes plus belles les unes que les autres, chacune rivalisant d’architectures en tout genre. Des colonnes romaines par là, un genre moderne par ici, des décors colorés et dorés arabes, des habitations style « colonisation africaine », des piscines, des parcs privés … On dirai un peu Palm Beach (mais sans la beach) et je me dis que finalement, pour un pays en crise, les espagnols ont quand même pas mal d’argent.
Le fait est que ces villas sont généralement des cliniques privées, des ambassades ou la propriété de banques, de compagnies d’assurance et de toutes ces boîtes qui génèrent beaucoup d’argent. Et vas-y que je te rajoute une tour là, et vas-y que je me colle un oasis artificiel dans ma pelouse si verte que t’as envie de te rouler dedans, … Mais il y a aussi des propriétés privées, sans doute possédées par les mêmes types qui dirigent ces banques, et je me dis que l’objectif de ces 4-5 mois va être de me faire inviter dans une de ces villas. Juste pour voir, juste pour vérifier si les Ferreros de l’ambassadeur ont le même goût que ceux que j’achète à Auchan. Enfin, Alcampo quoi.
Ce qui est marrant c’est que quand je me balade le long de cette grande avenue, j’ai l’impression de marcher sur le plateau du jeu de société Hôtel. Vous savez, le jeu où on promène un pion sur le plateau, on achète des terrains, on y construit des hôtels et on paye chaque fois qu’on s’arrête devant l’hôtel d’un autre. Oui, c’est très capitaliste comme jeu mais j’étais très bon à l’époque. J’ai très vite compris qu’en plus d’être le plus beau, l’hôtel le plus rentable est Boomerang car peu cher et vite en fonctionnement. J’ai vite compris aussi que l’hôtel africain, à la fin du parcours, et le Taj Mahal, ne sont pas du tout intéressants. D’ailleurs personne les prenait.
Enfin voilà, la Avenida de la Palmera c’est un peu ça : des hôtels de luxe qui côtoient des villas magnifiques. Derrière c’est différent, il y a des SDF qui essaient de trouver des places de parking libres pour les habitants, histoire de se faire quelques sous au passage, selon la générosité du conducteur. Je ne sais pas s’ils sont tous SDF mais vu la proximité de Séville avec Gibraltar, j’imagine qu’une partie sont des immigrants en provenance d’Afrique. En tout cas, il y a beaucoup de personnes qui font ça. Ça devient presque un marché parallèle à celui des parking payants.
Deuxième pays en 6 mois, et deuxième façon de se faire un peu d’argent pour les plus démunis. En Suède, ils sont moins nombreux, peut-être même un peu moins démunis (quoique …) mais ils ont trouvé une manière bien à eux aussi de survivre. Ils récupèrent dans les poubelles ou dans la rue les canettes et autres bouteilles en plastique consignées pour gagner les quelques centimes promis à celui qui les ramène. Pour info, une canette est consignée 50ct de couronne (5ct d’euro) et les bouteilles en plastique entre une et deux couronnes (10-20ct d’euro). La veille de mon départ de Göteborg, je suis allé au supermarché pour ramener mes quelques bouteilles consignées. Devant moi à l’automate qui récupère les bouteilles/canettes, un type visiblement très pauvre vidait sa « récolte » du jour (ou de la semaine je sais pas) dans la machine. Quand je suis arrivé il en avait encore trois gros sacs remplis, et quand je me suis enfin décidé à lui donner mes 6 pauvres canettes et mes 4 bouteilles en plastiques, la machine avait déjà avalé 19 de ses bouteilles et 159 de ses canettes …
Bref, encore un exemple de ce développement à deux vitesses tant dénoncé par les associations du monde entier. Moi, nous (je vous inclus, vous permettez ?), on se retrouve un peu au milieu (même millieu haut), un peu comme des cons. Visant plus haut, espérant autre chose, mais quand on se retourne on se dit qu’on est quand même pas mal lotis.
Cette note ne finit pas très joyeusement mais c’est venu comme ça, à l’écriture. Les choses écrites sur le coup sont toujours plus intéressantes. Ce changement de perspective que j’ai découvert en passant d’un pays très riche à un pays ("seulement") riche me fait penser qu’il reste décidemment encore beaucoup de travail avant que les vrais pays pauvres puissent espérer nous rattraper ...