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Vous vous souvenez sans doute de Caroline Wozniacki, la joueuse danoise victorieuse de l'Open d'Australie en 2018, son seul titre du Grand Chelem, et qui avant cela, était devenue en 2010 la vingtième numéro une mondiale de l'histoire au classement WTA. La native d'Odense, qui n'avait que vingt ans lorsqu'elle accéda à cette consécration, demeura pendant les dix années qui suivirent un cas à part sur le circuit, si bien que durant la longue période qui précéda son sacre à Melbourne en janvier 2018, les observateurs émirent des réserves quant à la place qu'elle occupait au classement. Wozniacki méritait-elle d'être numéro une mondiale alors que son palmarès en Grand Chelem était vierge ? Bien qu'elle parvint finalement à éteindre quelques critiques en soulevant la Coupe Daphne Akhurst après sa victoire contre Simona Halep (qui lui permit par la même occasion de retrouver le rang qu'elle avait perdu entre-temps), la danoise, retraitée des courts depuis 2020 et qui mène aujourd'hui une vie de famille heureuse, est encore considérée par beaucoup comme l'une des membres du top 10 les plus surcotées de l'histoire de la discipline, malgré ses trente titres et ses vingt-cinq autres finales. L'argument de la surcote peut être ici étayé en établissant une comparaison avec l'actuelle patronne du tennis féminin. À vingt-et-un ans, Iga Swiatek possède onze titres, soit quasiment autant que Caroline Wozniacki lorsque cette dernière devint numéro une pour la première fois. Dans ces onze titres, on compte quatre tournois WTA 1000 et surtout trois tournois du Grand Chelem (Roland Garros 2020 et 2022, US Open 2022), sachant que la polonaise a connu un pic de victoires l'an dernier avec un total de huit titres et une série remarquable de trente-sept succès consécutifs interrompue à Wimbledon. Il ne fait donc ici aucun doute que Swiatek mérite amplement son rang. Mais alors, comment des joueuses comme Caroline Wozniacki ont pu accéder au top 10 de la WTA sans obtenir des résultats comparables à ceux d'Iga Swiatek ? Car, la danoise est loin d'être un cas isolé. C'est d'ailleurs simple, il suffit de regarder attentivement le classement actuel (établi au 16 janvier, juste avant l'Open d'Australie) pour se rendre compte de certaines incohérences particulièrement frappantes. Oui, nous sommes en mesure d'affirmer avec certitude que plusieurs joueuses qui composent ce top 10 n'ont tout bonnement rien à y faire. Pourtant, elles sont là, mais pourquoi ? La faute revient surtout à un règlement absurde remontant pour ainsi dire à la nuit des temps. C'est vers le milieu des années 70 que la WTA a commencé à informatiser son système de classification avant d'y apporter au fil du temps quelques retouches qui nous amène aujourd'hui à un comptage de points devenu obsolète, à savoir la prise en compte des résultats d'une joueuse sur une période de cinquante-deux semaines, déterminés dans seize tournois maximum. Concrètement, cela veut dire que le système prend en considération les meilleurs résultats d'une joueuse dans les tournois auxquels elle a participé sur les cinquante-deux semaines écoulées, avec à chaque fois l'obligation de prendre en compte les quatre tournois du Grand Chelem, les WTA 1000, WTA 500 et les Masters féminins. Cela fait trop longtemps que ce système est caduque, déchaînant à chaque fois l'ire de certains professionnels du milieu, et des autres passionnés de tennis, qui en demandent une refonte complète, voire sa disparition pure et simple, pour le remplacer par un système équivalent à la Race (prise en compte des résultats en temps réel sur une saison calendaire) ou pourquoi pas le remplacer par la Race elle-même dont le classement correspond sans doute plus à la réalité.
C'est maintenant là que nous nous heurtons à une problématique qui fait débat depuis longtemps. En l'état actuel des choses, l'on constate que seules deux joueuses du top 10 sont des championnes de Grand Chelem (toujours selon le classement enregistré au 16 janvier, elles seront trois à compter du 30 janvier avec Elena Rybakina). Cela implique-t-il que les huit autres sont surcotées et n'ont pas leur place dans ce haut du classement ? Pas nécessairement si l'on étudie bien les choses. Essayons de voir précisément si la place occupée par chacune est méritée ou pas.
1. IGA SWIATEK (Pologne) :
Pas de discussion possible ici. En connaissance de tous les résultats évoqués plus haut et de son année 2022 qui restera gravée dans les annales tennistiques, la joueuse polonaise, qui n'a sans doute pas fini de nous surprendre, mérite très largement son rang de numéro une mondiale. Fin de la discussion.
2. ONS JABEUR (Tunisie) :
Le cas de la tunisienne est particulier étant donné qu'elle n'a pas gagné de tournoi du Grand Chelem à ce jour (bien que cela pourrait changer cette année). Certes, sa contre-performance à l'Open d'Australie fait tâche (premier tour poussif puis, défaite au deuxième tour) mais, c'est sur son année 2022 qu'il faut se concentrer puisqu'elle a participé à deux finales de Grand Chelem successivement (Wimbledon et US Open), a gagné un WTA 1000 (Madrid, sur terre battue), un WTA 500 (Berlin, gazon), et a joué deux autres finales à Charleston (WTA 500) et Rome (WTA 1000). Enfin, n'oublions pas que ses brillants résultats l'ont amené jusqu'aux Masters. En résumé, 2022 étant son année la plus prolifique en points, il n'est en conclusion pas étonnant de la voir dauphine de Swiatek (elle ne le sera plus demain).
3. JESSICA PEGULA (États-Unis, photo ci-dessus), SURCOTÉE :
Voici sans doute l'exemple type de la joueuse qui s'est incrustée sans foi, ni loi dans le top 10 alors qu'elle n'a strictement rien à y faire. Pegula n'a joué que deux finales en 2022. Oui, deux. Une à Madrid (WTA 1000), qu'elle a perdu, et une autre à Guadalajara (WTA 1000), qu'elle a gagné en battant des joueuses comme Elena Rybakina, Victoria Azarenka et Maria Sakkari. La native de Buffalo est également parvenue à trois reprises en quarts de finales dans les tournois du Grand Chelem, et encore une fois il y a quelques jours à l'Open d'Australie. Seulement voilà, celle qui assurait récemment en public être capable de battre n'importe quelle joueuse s'est de nouveau crashée contre ce mur infranchissable des quarts en montrant très clairement les limites de son tennis face à Azarenka. C'est là que les choses sont intéressantes : je ne parle pas uniquement de ses résultats mais, de son style de jeu en lui-même, trop limité et sans véritable plan de rechange dès qu'il s'agit de s'attaquer à du très lourd. Disons-le sans détour, Jessica Pegula est l'une des numéros trois les plus surcotées de l'histoire du tennis.
4. CAROLINE GARCIA (France) :
La numéro une française a surtout pesé durant la deuxième moitié de saison alors que cela avait plutôt mal commencé pour elle (elle n'était que soixante-quinzième mondiale lorsqu'elle l'a emporté au tournoi de Bad Homburg contre Bianca Andreescu, à la fin du printemps dernier). Après que la machine se soit enfin mise en route, Garcia a retrouvé un statut digne d'elle. Victoire à Varsovie (WTA 250), avec au passage un succès sur Iga Swiatek, victoire à Cincinnati (WTA 1000) en passant par deux tours de qualfication et en accrochant à son tableau Maria Sakkari, Jessica Pegula (encore battue en quarts), Aryna Sabalenka et Petra Kvitova, demi-finaliste de l'US Open et enfin victorieuse du Masters féminin en battant encore Sakkari et Sabalenka. Au bout du compte, on peut estimer que la française est parfaitement à sa place.
5. ARYNA SABALENKA (Biélorussie) :
Il était moins une que je fasse de la native de Minsk une joueuse surcotée. Il faut dire que 2022 fut une année compliquée pour elle, vierge de titre, avec des défaites en finale (Masters, 's-Hertogenbosch, Stuttgart), en demi-finales (Rome, Cincinnati, US Open). Heureusement, son début d'année 2023 stratosphérique (victoire à Adélaïde, premier Grand Chelem à l'Open d'Australie, onze victoires de suite série en cours) est en train de changer la donne. Elle sera d'ailleurs nouvelle dauphine de Swiatek demain. J'ai tout de même envie de voir ce qu'elle va nous proposer pour la suite, étant donné qu'elle est actuellement sur son petit nuage et qu'il va falloir tôt ou tard qu'elle en redescende.
6. MARIA SAKKARI (Grêce), SURCOTÉE :
Bien sûr que la grecque est surcotée, c'est évident. Elle a beau avoir participé aux Masters l'année dernière (demi-finaliste), c'est l'olivier qui cache le désert. Quatre finales perdues sur le circuit WTA en 2022, des performances calamiteuses en Grand Chelem (pas mieux qu'un huitième de finales à l'Open d'Australie, dont elle s'est faite éjecter dès le troisième tour par la chinoise Zhu Lin cette année), pas un titre à se mettre sous la dent, une joueuse qui se bat plus contre elle-même que contre l'adversaire qu'elle a en face d'elle. L'athénienne est clairement une anomalie dans le top 10.
7. COCO GAUFF (États-Unis), SURCOTÉE :
Gauff est encore jeune et a encore beaucoup à apprendre (elle le reconnait d'ailleurs elle-même, ce qui montre l'étonnante maturité dont elle fait preuve pour son âge). Ce qui est intolérable ici est de la voir évoluer dans le top 10 alors qu'elle n'a gagné que deux tournois WTA 250 depuis 2021 auxquels il faut ajouter sa finale perdue à Roland Garros l'année dernière contre Iga Swiatek. De plus, sa sortie à l'Open d'Australie il y a quelques jours face à Jelena Ostapenko fut piteuse et a mis au jour un mal plus profond qu'il n'y parait et qu'on avait déjà fortement ressenti l'année dernière, surtout aux Masters (trois défaites en trois matches). Coco Gauff est surcotée, aucun doute là-dessus.
8. DARIA KASATKINA (Russie), SURCOTÉE :
Daria Kasatkina surcotée ? Définitivement oui, et pas qu'un peu. Alors oui, l'on sait pertinemment que son style de jeu particulier (avec son toucher à l'espagnol) peut rendre chèvre n'importe quelle joueuse du circuit. En fait, elle est surtout là parce qu'elle avait plutôt bien débuté sa saison 2022 en atteignant deux fois les demi-finales à Melbourne et Sydney, avant l'Open d'Australie, parce qu'elle a fait une bonne saison sur terre en allant en demi-finales à Rome et à Roland Garros (dans un tableau qui l'avait relativement épargnée avant qu'elle ne tombe face à Swiatek) et parce qu'elle a produit une très bonne tournée sur dur américain en gagnant à San José (WTA 500) et Granby (WTA 250) avant de se ramasser au premier tour de l'US Open (déconvenue qu'elle a compensé en se qualifiant pour le Masters). À part ça, où sont les victoires claquantes, les tours de prestige et les gros trophées ? Nulle part. D'ailleurs, son début de saison 2023 laisse pour le moment présager du pire.
9. VERONIKA KUDERMETOVA (Russie), SURCOTÉE :
J'étais de ceux qui déclaraient qu'il allait falloir surveiller la russe à l'Open d'Australie. J'avais même envisagé l'espace d'un instant qu'elle était tout à fait en mesure de gagner un tournoi du Grand Chelem, pourquoi pas cette année ou l'année prochaine. Pauvre de moi, je suis bêtement tombé dans le piège de la surcote. Elle s'est finalement prise les pieds dans le tapis au deuxième tour de l'Open d'Australie, battue par l'américaine Katie Volynets. Encore mieux : pas de titre à se mettre sous la dent en 2022 malgré trois finales disputées (son dernier titre, le seul à ce jour, remonte à près d'un an à Charleston). Serait-ce trop demander de savoir ce qu'elle fait dans le top 10 ?
10. BELINDA BENCIC (Suisse), SURCOTÉE :
Oui, je sais, c'est dur de dire d'une championne olympique qu'elle est surcotée mais, il faut bien prendre les choses en considération. Hormis ramener des titres pour son pays (Jeux Olympiques de Tokyo, Billie Jean King Cup), que vaut réellement Bencic ces derniers mois sur le circuit WTA ? Ben, pas grand chose car, la suissesse a tendance à ramer et à manquer de solutions lorsque la joueuse en face d'elle la fait bouger, et ce malgré sa victoire à Charleston (WTA 500) l'année dernière contre Ons Jabeur et son succès cette année à Adelaïde (WTA 500) avant que l'Open d'Australie se solde par une nouvelle déception qui montre clairement les possibilités limitées qu'elle a face à des joueuses mieux classées qu'elle. C'est cruel, oui mais, Bencic est vraiment surcotée.