Avec quatorze joueuses, les États-Unis sont la nation la plus représentée dans le top 100 de la WTA, loin devant la République Tchèque, avec neuf joueuses, et la Russie, huit (classement arrêté au 28 janvier 2023). C'est beau, n'est-ce pas ? Oui mais, voilà. Cette Amérique en apparence souveraine est en réalité vieillissante, avachie, au bout du rouleau et se fait dévorer toute crue par une Europe qui, en terme de résultats, domine le tennis féminin de la tête et des épaules. En 2022, cinquante des soixante-quinze tournois du circuit WTA (en comptant le Masters) ont été gagnés par des européennes pendant que les américaines n'en glanaient que onze (en majorité des WTA 125 ou WTA 250), tandis qu'en Grand Chelem, ces dernières ont échoué à deux reprises en finale (Open d'Australie et Roland Garros) et n'ont pu faire mieux que les quarts de finales à Wimbledon et à l'US Open.
Oui, le géant américain s'endort, c'est un fait. Au-delà des performances de chacune, et d'un Open d'Australie 2023 au goût d'inachevé, le problème est avant tout d'ordre générationnel. Neuf des quatorze américaines du top 100 ont entre vingt-sept et trente deux ans, une seule a moins de vingt ans, les quatre autres étant des joueuses âgées de vingt-et-un à vingt-deux ans engluées dans le ventre mou du classement. C'est là que nous entrons au cœur de l'intrigue. Entre la génération vieillissante (celle des trentenaires ou proches de l'être) et la nouvelle (que représente seule Coco Gauff), on trouve des joueuses comme Amanda Anisimova, Claire Liu, Cathy McNally ou Alycia Parks, qui étaient extrêmement prometteuses en sortant des Juniors mais, qui depuis, tardent à éclore. En élargissant notre champ de vision, il est d'ailleurs inquiétant de voir que l'immense majorité des joueuses américaines nées en 2001-2002 sont essentiellement des pensionnaires de seconde zone, plus habituées aux tournois Challengers que WTA. Il existe donc des cassures qui se sont produites entre les générations, ce qui a tendance à déboucher sur des projections très floues quant à l'avenir de la discipline au pays de l'Oncle Sam.
L'Open d'Australie qui va s'achever dans quelques heures est un révélateur alarmant de ces fractures. Les espoirs placés en Jessica Pegula, sans doute une des numéros trois mondiales les plus surcotées de l'histoire, et Coco Gauff, dont les épaules sont encore trop frêles pour supporter le poids de tout un pays en quête d'un devenir tennistique, ont vite fondu sous la chaleur australe, pendant que chez les Juniors, aucune américaine n'est parvenue à franchir le cap du deuxième tour, alors qu'il y avait quelques raisons de croire que des filles comme Tatum Evans, Ashton Bowers, Theadora Rabman ou Anya Murthy auraient pu se frayer un chemin au moins jusqu'en huitièmes de finales malgré les absences remarquées de Liv Hovde, Clervie Ngounoue ou Kaitlin Quevedo.
Le mal est donc là et il est sans doute plus profond que ce à quoi l'on s'attendait. Existe-t-il un remède, docteur ? Y-a-t-il une solution miracle pour sortir le tennis américain féminin de l'ornière ? Les plus pessimistes vous répondront sans doute que la maison est en flammes et que rien ne pourra éteindre l'incendie. Les optimistes, eux, dont j'ai tendance à faire partie, diront que l'espoir réside dans la jeune génération. Coco Gauff n'a pas fini de grandir même si elle paraît déjà très mature pour son jeune âge. La finaliste de Roland Garros 2022 aura sans nul doute son mot à dire cette année, bien qu'elle doive mesurer le travail colossal à effectuer après sa désillusion à Melbourne. De plus, Gauff apparaît esseulée dans cette jeune génération qui tâtonne. Elle est le maillon qui doit relier les ponts pour apporter la cohésion à une nation qui se fissure. Cependant, elle ne peut accomplir seule ce travail de titan qui pourrait durer toute une vie et la priver de ses forces. Vers qui se tourner alors ?
Alanis Hamilton, après la pluie le beau temps ?
C'est sans doute vers les joueuses nées en 2007 qu'il faut regarder. Iva Jovic, par exemple, a connu une progression fulgurante en 2022 qui lui a permis de tutoyer le top 30. Avant cela, sa victoire au prestigieux tournoi de l'Orange Bowl l'année précédente, dans la catégorie des moins de quatorze ans, était tout sauf un feu de paille. Alors qu'elle rentre dans une saison charnière qui peut conditionner la suite de sa carrière sur le circuit ITF Juniors, on attend logiquement d'elle une percée dans les tournois du Grand Chelem de sa tranche d'âge afin qu'elle voit plus loin que le troisième tour qu'elle avait atteint à l'US Open l'an dernier. Plus surprenant mais, néanmoins intéressant, Alanis Hamilton fait également partie de cette génération des 2007 dont il va falloir suivre la progression avec attention. Victorieuse l'année dernière de son premier tournoi sur le circuit Juniors, à Daytona Beach, puis présente dans le tableau principal de l'US Open après être passée par les qualifications, elle a opéré une ascension époustouflante qui l'a vite amené dans le top 150. Elle aussi arrive donc à un moment crucial de sa jeune carrière, d'autant plus qu'elle a su montrer très récemment de remarquables facultés d'adaptation au niveau supérieur en intégrant le tableau final d'un tournoi W25 joué en Floride, tout en passant victorieusement par deux tours de qualifications.
Le temps presse pour les américaines. Face à l'émergence d'une nouvelle génération tchèque, la confirmation d'un renouveau du tennis russe et la résilience d'un Japon qui se reconstruit patiemment, la marge de manœuvre est de plus en plus étroite et l'avenir passe obligatoirement par un travail de détection et de formation très approfondi sans pour autant laisser de côté celles dont les objectifs de carrière (Gauff, Parks, Anisimova, McNally) sont encore à construire. L'équilibre est ici précaire et consiste à évoluer sur un fil aussi fin qu'une lame de rasoir.