Je ne sais pas pourquoi j'ai eu l'élan si fort de m'intéresser à toi. Mais je sais que je suis faite de ce qui me précède, tissée de liens venant de loin. Je n'émerge pas du néant, je viens de ce terreau passé.
Douna Loup parle ici de son grand-oncle, Boris Weisfeiler. qui a disparu au Chili en janvier 1985, à quarante-trois ans. Ce grand mathématicien d'origine juive, né en Russie, a quitté l'Union soviétique en 1975 parce qu'il lui était difficile d'y exercer son métier.
Boris émigre aux États-Unis où il enseignera à l'université de Pennsylvanie et sera naturalisé en 1981. Au cours de son récit, l'auteure cite des extraits de ses carnets de voyage au Canada en 1981 et 1984 où il se révèle grand randonneur, comme il l'était en Sibérie.
L'auteure décide en 2018, en sortant d'un concert 1, de faire des recherches sur sa disparition. Un an plus tard elle se rend avec ses filles à Boston, où elle se casse le tibia et le péroné à la patinoire et où elle rencontre pour la première fois des membres de cette parentèle.
Ses recherches la conduisent sur les pas de Boris, à Boston, New York, Asheville, puis au Chili, à Santiago, Chillàn, San Fabian, enfin sur les lieux de sa disparition, près des rivières El Ñuble et Los Sauces, à proximité de la Colonia de Paul Schaefer, une secte nazie.
Douna Loup est bien faite de ce qui la précède:
Je vois, à mesure que j'avance sur ses pas, que depuis mon premier roman où l'on retrouve
un homme mort dans la forêt
jusqu'au dernier où une soeur part en quête de son frère inconnu,
il y a souvent la mort qui rôde.
ou des disparus ou des quêtes.
Ses voyages de 2019 2, comme celui à Moscou en 2020, n'auront pas été inutiles, même si les questions sur la disparition de Boris semblent sans fin. Douna Loup est bien tissée de liens venant de loin, de liens invisibles qui la rassurent dans cette toile immense et vivante:
et je vois comme j'ai été heureuse
de me mettre en mouvement jusqu'aux confins du Sud chilien
de déceler en moi des racines de sang
et des peurs inconnues,
d'être vivante
au milieu de
tout ce réel
Francis Richard
1 - Je viens d'entendre la chanson Vino del mar, dédiée à Marta Ugarte, jeune femme militante de gauche, torturée puis jetée à la mer d'un hélicoptère par des soldats de Pinochet en 1976.
2 - Au retour à Paris, elle peut dire: Je boitille, mais je suis debout.
Boris,1985, Douna Loup, 160 pages, Zoé
Livre précédent chez Zoé:
Déployer (2019)
Les printemps sauvages (2021)
Livres précédents au Mercure de France:
L'embrasure (2010)
Les lignes de ta paume (2012)
L'oragé (2015)