Les mois lunaires sont plus courts que les mois solaires. Pour synchroniser les deux calendriers, il faut donc ajouter un mois solaire toutes les six années. C'est le treizième mois - sans aucun rapport avec un quelconque salaire.
Dans le Veda, un hymne à Varouna décrit le dieu comme celui qui suit le rituel parfait. Ce rituel est le grand cycle de l'année. Varouna connait les douze mois qui apportent la prospérité. Et surtout, il connait le treizième mois qui apparaît dans l'intervalle (Rigveda, I, 25, 8) : veda māso dhṛtavrato dvādaśa prajāvataḥ | vedā ya upajāyate || "Dévoué (à ceux) qui lui sont dévoué, il connait les douze mois (et) leur fécondité, lui qui connaît (aussi le treizième mois) engendré secondairement". Ce treizième mois naît "de soi-même" (svayam evotpadyate)
Ce treizième mois est l'intervalle où se révèle le soleil véritable, source des douze soleils, des douze mois de l'année.
Dans le contexte du Tantra, Abhinava nous dit que la déesse Conscience habite aussi "au plan objectif sous la forme des mois de l'année, des signes du zodiac, etc." (Tantrâloka, IV, 146b)
Le soleil est le symbole de la lumière de la Conscience, "omnisciente", qui illumine toutes choses en s'illuminant elle-même. "Quand il brille, tout brille à sa suite". Elle est le soleil ultime, notre conscience (svasamvit paramâdityah, Cincinîmatasâra, VII, 15b).
L'enseignement du soleil au cœur du soleil est au cœur du Tantra dans sa tradition la plus ésotérique, la tradition de Kâlî (différente de la déesse populaire) : "Le soleil à l'intérieur du soleil illumine/fait apparaître le monde entier" (ib. VII, 12a).
Mais ce qui est encore plus intéressant est que cet enseignement de l'existence d'un treizième mois source des douze autres est associé à Varuna et Mitra. Or, ces deux dieux apparaissent dans le Veda des hymnes, l'un des plus anciens textes spirituels qui nous soient parvenus. Et ils sont par ailleurs nommés dans une lettre entre un roi du Mitanni et un roi Hittite vers -1380. C'est-à-dire dans l'actuelle ... Syrie ! Un peu avant le règne du pharaon Toutânkhamon. Varouna a été rapproché d'Ouranos. Les deux sont dieux du Ciel, dieux qui enveloppent (-vr comme dans vritti). Cette présence des dieux du Veda, sous leur forme sanskrite, au Moyen-Orient (royaume de Mitanni) il y a plus de trois mille ans, est un mystère fascinant. De plus, nous savons que l'une des principales célébrations des habitants de cet énigmatique royaume était le solstice, vishuva, l'intervalle entre les grandes phases des cycles temporels, dont le pendant microcosmique est l'intervalle entre les respirations. Dans le Tantra, la déesse Laksmî-Kâlî "est présente entre les mouvements de l'expir et de l'inspir" (Kulakaulinîmata, XV, 270).
Dans l'hymne à Varouna cité plus haut (Rig-veda, verset 7), son omniscience est suggérée quand il est célébré comme vedā yo vīnām padam antarikṣeṇa patatām | veda nāvaḥ samudriyaḥ || , "celui qui connait le chemin des oiseaux dans le ciel et qui connait le chemin des navires dans l'océan". Il est l'espace de la Conscience qui contient tout et qui, donc, "connait" (veda) tout.
Tout ceci suggère une extraordinaire continuité entre le dieu indo-européen d'Asie centrale, et l'enseignement du Tantra, même dans ses traditions les plus "ésotériques", comme le Kâlî-krama. La continuité n'est jamais entièrement rompue. La théorie d'un Tantra "dravidien" opposé à un Veda "indo-européen" ne tient donc pas.
Le treizième mois est simplement l'émerveillement à la fin de l'expir. A travers les millénaires et les lieux, la tradition se joue des ruptures.