Connaissez-vous Alice Ceresa (1923-2001)? Cette auteure suisse-italienne a publié une trilogie sur la vie féminine. Bambine en est un des volumes, paru en Italie en 1990 et traduit pour la première fois en français chez Zoé, il y a trente ans, sous le titre Scènes d'intérieur avec fillettes.
Est-ce un roman? Oui puisqu'il s'agit d'une oeuvre de fiction. Non parce qu'il n'y a pas à proprement parler d'histoire. Deux soeurs en sont les protagonistes, mais on ne sait pas leurs prénoms, non plus que ceux de leurs parents, et elles n'apparaissent que dans des scènes significatives.
Ces scènes, prises dans l'enfance jusqu'à la puberté, constituent, plutôt qu'un roman, une sorte de documentaire 1 sur la vie féminine à une époque indéterminée du XXe siècle, mais qui doit correspondre vraisemblablement à celle vécue par l'auteure, d'où son intérêt anthropologique.
Ce qui frappe en effet le lecteur, c'est la distanciation avec laquelle l'auteure parle de ces deux fillettes, qui ont un an d'écart et qui sont deux facettes de l'enfance féminine de ce temps-là. Elle se garde de juger, de revendiquer; elle expose des faits qui se suffisent à eux-mêmes.
Un de ces faits, observés dans le petit noyau familial, c'est la position du père qui dit être le seigneur et maître de la maison, ce qui n'en fait pas un monstre, alors que la mère ne dit rien mais s'exprime peut-être totalement dans ses gestes, ce qui n'en fait pas pour autant une sainte.
Cohabitent deux groupes séparés au sein de ce noyau: les parents d'un côté, les enfants de l'autre, ce qui se concrétise par deux chambres distinctes, la chambre matrimoniale étant un lieu interdit aux fillettes (ce qui le rend attractif) et transgressé différemment par l'une et par l'autre
Pendant ces années de l'enfance, l'aînée, tout comme la cadette, prétend ne pas avoir nourri d'intérêts ou de pensées potentiellement liés ne serait-ce que lointainement à la question du sexe: À cela nous pouvons sans autre nous tenir, étant donné surtout l'impossibilité de faire autrement.
À la puberté, elles restent telles quelles, à tout le moins en ce qui concerne leur intelligence des choses en particulier et en général, si elles accueillent et suivent avec beaucoup plus d'intérêt les transformations inaugurales de leur apparence: on peut ici difficilement leur donner tort.
Les deux soeurs n'y réagissent pas de même et se querellent à propos d'habillement ou de coiffure. Le changement d'attitude du père à l'intérieur et celle de la gent féminine à l'extérieur les angoissent. La figure du père leur dictera une attitude différente à l'égard de la gent masculine...
Francis Richard
1 - L'auteure emploie le terme de conversation.
Bambine, Alice Ceresa, 160 pages, Éditions La Baconnière (traduit de l'italien par Adrien Pasquali, traduction révisée par Renato Weber)