Une boutique et un homme pour l’éternité

Par Abdesselam Bougedrawi @abdesselam

Il y a un aspect de la vie de Safi que ne connaissent que certaines personnes qui ont une affection particulière pour la ville. Cela se passe le soir, à la tombée de la nuit. Les rues vivantes le jour, prennent un aspect morne et se teintent d’une certaine désespérance.

Du fait des lumières jaunes et faibles, les façades des constructions, des magasins, prennent un aspect triste, sombre comme issu d’un monde étrange. Ceux qui remarquent cet aspect de la ville sont en général fascinés par ce genre de métamorphose.

Et ce qui augmente encore le tragique de cette atmosphère, est la présence de quelques magasins encore ouverts. Magasins où n’il y a pratiquement aucun client, ne persiste que le vendeur dans l’attitude silencieuse de la solitude.

Parmi les commerces que je remarquais, justement, dans cette aura particulière de ma ville, une boutique où on vendait les choses essentielles : sucre, huile, farine, thé.

Ce genre de commerces existe partout au Maroc, beaucoup y font leurs courses durant la journée.

Je me souviens parfaitement d’un homme que je voyais toujours à l’intérieur de sa boutique. Et bien que beaucoup d’années fussent passées, je le revois encore dans sa blouse grise, sur sa tête un couvre-chef traditionnel, toujours rasé de près.

Il est toujours là, répondant à un cri irrésistible de sa boutique qui lui demande de ne point l’abandonner.

Il obéit à un rite immuable, quelles que soient les saisons, quels que soient les temps qui passent. Il arrive le matin, je ne saurais dire à quelle heure, pour commencer à fournir ses clients. Vers 13 heures, il repart chez lui. Certainement pour le déjeuner et la sieste.

Mon journal démodé, que j’avais intitulé initialement, mémoires d’un homme du passé, reflète mes états d’âme et mes pensées. Celles d’un homme qui regarde l’univers qu’il a connu s’écrouler lentement et inexorablement.
Je ne sais si des personnes lisent encore ce genre de textes. Probablement, mes écrits toucheront la sensibilité de quelques hommes et de quelques femmes, qui comme moi, se trouvent égarés au sein d’un monde qui ne veut plus d’eux. C’est, me semble-il, le fait marquant des bouleversements de notre époque.

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Il revient à sa boutique vers 16 heures où il demeure jusqu’à la tombée de la nuit, en général 20 heures ou 21.

Même s’il aurait pu partir plus tôt, parce que les clients se font rares à partir de 19 heures, il reste assis à regarder dans le vide.

Sa fille, probablement âgée de 10 ans ou 12 ans, lui amène le dîner. Une assiette blanche, couverte par une autre assiette blanche. Sa fille, elle-même a un visage ingrat, une allure austère. Mais, elle est d’une désespérante ponctualité.

Après avoir mangé, il s’assit et devient immobile. Il y a sur son visage une expression de tristesse, de morosité, et de mélancolie. Je crois que, autant que je m’en souvienne, je ne l’ai jamais vu sourire.

Le lendemain, répondant au cri de sa boutique, il revient pour répéter exactement la même journée. Dans une certaine mesure, les journées portent pour lui le même nom.

Je me suis souvent demandé pourquoi cet homme accepte dans la résignation cette vie monotone, où il ne se jamais rien.

Je crois, qu’il s’agit là, d’une personne qui est en dehors du temps, oubliées par les philosophes, les poètes et les penseurs.

Que peut-on dire d’un homme qui défie la patience des plus vertueux stoïciens ?

Quelle espérance possède-t-il ?

Quels sont ses rêves le soir lorsqu’il s’endort ?

Et puis il y a le temps qui passe et lui qui vieillit.

Je vois encore, après plusieurs années, quelques rides qui traversent son visage placide.

Et puis, un jour, il ne reviendrait plus, à sa place son fils jeune enthousiaste, plein de de vie et plein de sourires.

Mais, avec les années qui le traversent, il redeviendra, comme son père, morose, triste, mélancolique et en dehors du temps.

MON PETIT JOURNAL DÉMODÉ. HIER ET AUJOURD’HUI

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