" Kevin, 10 ans, Dimitri, 8 ans, Jonathan, 6 ans et Dylan, 4 ans, les garçons de la famille Delay, ont été placés en famille d'accueil en raison d'épisodes de violence de la part de leur père. En sécurité auprès de leur "tata", ils révèlent que leurs parents, ainsi que des habitants de la Tour du Renard à Outreau, abusent régulièrement d'eux. " (Début du résumé de la série).
La semaine dernière, le mardi 17 janvier 2023 sur France 2, ont été diffusés les deux premiers épisodes d'une série documentaire très particulière, réalisée par Olivier Ayache-Vidal et Agnès Pizzini. La suite, les deux derniers épisodes, sont diffusés ce mardi 24 janvier 2023 sur France 2 également. Cette nouvelle série télévisée, intitulée sobrement " L'Affaire d'Outreau", revient sur un véritable fiasco judiciaire, aussi terrible que L'Affaire d'Outreau (documentaire télévisé).
Lycée Toulouse-Lautrec (série télévisée).
À votre écoute, coûte que coûte ! l'Affaire Grégory une quinzaine d'années plus tôt : la justice et la presse ont fait un travail de sape.
Car l'affaire d'Outreau a révélé deux scandales absolument abominables : le premier scandale, c'est que plusieurs adultes (quatre ont été reconnus coupables) dans une cité de la banlieue de Boulogne-sur-mer ont abusé sexuellement d'enfants parfois en très bas âge (douze enfants au total) ; le second scandale, c'est que treize personnes ont été accusées à tort et incarcérées pendant trois ans dans cette affaire alors qu'elles étaient innocentes. Le 5 décembre 2005, quelques jours après leur acquittement (le dernier verdict a été prononcé le 1 er décembre 2005), le Président de la République Jacques Chirac a présenté les excuses de la France pour cette insupportable erreur judiciaire. Une commission parlementaire allait ensuite enquêter pour comprendre les causes de ce fiasco, sur le fonctionnement de la justice mais aussi sur la trop grande importance apportée aux "experts".
Placés dans une famille d'accueil à partir du 25 février 2000 en raison des violences commises par leur père et dénoncées par leur mère, les quatre enfants cités plus haut ont dénoncé leurs parents d'incestes et de violences sexuelles le 5 décembre 2000 (leur mot était : "ils nous font des manières"). À partir de ces premiers témoignages, la machine judiciaire mais aussi médiatique s'est emballée.
Principal mis en cause, le juge Fabrice Burgaud, qui avait 29 ans à l'époque de l'affaire, désigné le 22 février 2001, a mené l'instruction sans écoute réelle, même de ses collègues (on parlait de photocopieuse en panne ou d'assistante en congé pour empêcher de transmettre le dossier de l'instruction), restant dans sa tour d'ivoire et voyant l'affaire du siècle.
La principale accusatrice était la mère des enfants qui a commencé à mettre en cause de nombreuses personnes parmi ses voisins, pensant que c'était ce que le juge attendait d'elle pour obtenir sa clémence. Ces délires accusatoires n'ont été étayés par aucunes preuves, la police n'a même pas fait d'enquête de voisinage près des lieux supposés de ces violences sexuelles, etc. La mère des enfants a attendu son procès en appel le 18 novembre 2005 pour enfin le reconnaître : " Rien n'est vrai. Je suis une malade et une menteuse ! ".
Parallèlement, les médias se sont emparés de l'affaire, et, dans la présentation qu'en fait France Inter de la série, il est souligné : " Hervé Arduin de France 3 évoque par exemple un détail qui a eu une importance capitale : l'utilisation du terme "notables" pour évoquer les personnes inculpées. L'expression de notables laissait penser qu'il y avait un réseau. Cette idée a infusé l'opinion publique. En quelques semaines, ce qui était initialement une affaire d'inceste se transforme alors en réseau pédophile international. ".
La forme du documentaire est très originale et fera sans doute date pour ce genre de sujet très difficile à traiter. Il ne s'agit pas d'une simple fiction avec des acteurs. Il ne s'agit pas non plus d'un documentaire malgré des images d'archives et des interviews récentes de certains protagonistes. Il s'agit d'un mélange des deux, mais sans volonté de tromper comme c'est beaucoup trop le cas maintenant dans de nombreuses docu-fiction où l'on ne sait plus où est le vrai et le faux.
Pour cette série, au contraire, le choix a été délibérément de montrer les comédiens et leurs modèles, les personnages réels. Dans un immense plateau de télévision, on voit les différentes salles (interrogatoires, tribunal, prison), on voit même les perches pour le son, les caméras pour la prise d'images... On voit surtout certains comédiens qui discutent dans leur loge avec leur personnage réel pour tenter de jouer au mieux leur rôle...
A priori, ce choix pourrait étonner mais il est très efficace : l'émotion arrive tout de suite. Car l'enfant qui joue le rôle d'un des enfants accusateurs... se retrouve face à un homme d'environ 25 ans maintenant, et c'est là où le vertige arrive. Car ces enfants ont été complètement traumatisés et le restent encore vingt ans plus tard, non seulement d'avoir été abusés sexuellement mais aussi d'avoir été mis dans une situation de mensonge. Ou alors, des enfants de personnes accusées à tort, qui ont subi la vindicte partout, à l'école, dans leur quartier, etc. alors que leurs parents n'avaient rien fait de mal, que leur famille était paisible et qu'ils avaient de bonnes notes à l'école.
La chronique de France Inter explique ce choix de réalisation : " Un procédé théâtrale, inédit et bouleversant. Bouleversant parce que l'affaire tout à coup nous éclate au visage. Nous sommes plus que spectateurs. Nous vivons l'événement. Jamais un tel procédé n'avait été mis en place dans un documentaire. Ce n'est pas un gadget, ou un effet de style. Il s'agit de se servir du faux, de la fiction, pour approcher au mieux une vérité. Voilà l'ambition de cet objet hybride, fruit d'une enquête magistrale. ".
Cette affaire a entraîné la mort d'une des personnes mises en cause. François Mourmand (ferrailleur de 32 ans), interpellé le 6 mars 2001 pour avoir participé au supposé viol d'une petite fille belge (qui n'a jamais existé), s'est suicidé d'une overdose de médicaments le 9 juin 2002 dans sa cellule de la maison d'arrêt de Douai (un non-lieu a clos le 11 juin 2003 l'instruction d'une autre affaire concernant une petite fille morte qui n'avait jamais existé).
Une commission d'enquête parlementaire présidée par le socialiste André Vallini et rapportée par l'UMP Phlippe Houillon a passé plus de 200 heures en auditions du 10 janvier au 12 avril 2006, pour la plupart retransmises en direct à la télévision pour tirer au clair les dysfonctionnements. En particulier l'audition du juge Fabrice Burgaud le 8 février 2006 (pendant plus de sept heures) a laissé un goût très froid de l'idée qu'il se faisait de son métier, sans avoir présenté d'excuses ni de regrets, se contentant d'affirmer sans avoir convaincu qu'il avait " effectué honnêtement son travail sans aucun parti pris d'aucune sorte ".
Il n'a eu que la plus faible des sanctions, une "réprimande avec inscription au dossier" le 24 avril 2009 par le Conseil supérieur de la magistrature (décision devenue définitive le 13 juillet 2009), mais il a poursuivi sa carrière sans accroc, jusqu'à être promu le 21 décembre 2017 avocat général référendaire à la Cour de cassation, affecté à la troisième chambre civile, ce qui a provoqué certaines critiques sur le fonctionnement de l'institution judiciaire refusant d'admettre ses erreurs.
Quant à la commission d'enquête, elle a proposé, dans un rapport remis le 6 juin 2006, un certain nombre de mesures pour éviter à l'avenir le renouvellement de ce genre de fiasco judiciaire, comme des procédures particulières pour recueillir la parole des enfants, accéder au dossier d'instruction, rendre collective les décisions judiciaires pendant l'instruction, etc. L'ambition de la réforme que les parlementaires proposait avait ce but : " Il faut réfléchir à une sorte de partenariat entre défense d'une part, et accusation, instruction et jugement d'autre part, plus qu'à une situation d'affrontement ou de rapport de force qui prévaut dans notre système actuel non rénové. ".
Les troisième et quatrième épisodes de la série "L'Affaire d'Outreau" sont diffusés le mardi 24 janvier 2023 sur France 2 en première partie de soirée.
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Sylvain Rakotoarison (21 janvier 2023)
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