J’ai reçu le diagnostic d’insuffisance surrénalienne primaire (maladie d’Addison) le 30 novembre 2018… Quand j’ai vu mon médecin de famille deux semaines plus tard, il était surpris… carrément sceptique en fait, parce que je n’avais pas une présentation classique de la maladie.
Un petit secret : ce qui est enseigné comme présentation classique n’est pas la seule présentation possible et beaucoup de patients font face à un délai diagnostique entre autres à cause de ça. 2e secret : plus tu as des problèmes de santé, moins tu risques de coller à la fameuse présentation classique.
Mais vu ma présentation inhabituelle (principalement parce que je n’avais pas les gencives ou les plis de peau plus foncés), mon médecin de famille doutait du diagnostic. C’est quand même fascinant : si moi, je doute (d’un diagnostic ou traitement), rarement le médecin va-t-il douter du spécialiste… c’est bien sûr moi qui est dans le champ! Mais il peut y avoir un diagnostic établi depuis des décennies et confirmé par plusieurs experts, si ça ne colle pas à sa définition, le médecin va remettre le diagnostic ou le traitement en doute. Mon médecin a donc demandé un 2e avis. Je n’avais rien à perdre (pensais-je), c’était un diagnostic majeur, alors j’ai accepté de voir un nouvel endocrinologue pour confirmer le tout. Je précise par contre que je n’avais personnellement aucun doute, autant parce que ça collait avec l’ensemble de ma situation que parce que la médication faisait effet!
Mes bracelets d’alerte médicaleLe rendez-vous
J’ai eu rendez-vous quand même rapidement, en mars 2019 (moins de 3 mois pour voir un spécialiste, c’est rapide!).
Après plusieurs mois à m’informer sur la question, à faire un journal de symptômes pour distinguer ce qui était un signe de bas cortisol de mes autres symptômes, et à discuter avec d’autres personnes atteintes dans un groupe de soutien, je comprenais bien l’insuffisance surrénalienne (IS). Je connaissais le fonctionnement biologique de la maladie et de la médication, les meilleures pratiques, les informations essentielles, etc.
Ça a mal commencé, parce que je ne savais même pas quel médecin me verrait… j’allais voir le médecin qui s’occupait des nouveaux cas ce jour-là à la clinique d’endocrinologie. En prenant le rendez-vous, j’avais pu constater qu’il était difficile d’avoir rendez-vous, impossible de contacter le médecin directement. Et je savais que beaucoup de patients avec une IS se font conseiller de contacter leur médecin au moindre signe d’infection, ou en cas de malaise, pour avoir des conseils sur les choses à faire (par exemple de doubler la médication en cas d’infection). Mais comment pourrais-je contacter ce médecin si la seule façon de le faire était de laisser un message à une secrétaire durant les heures de bureau? Aurais-je le même médecin pour tout mon suivi, ou si j’aurais celui de garde à chaque rendez-vous? Comment avoir un bon suivi et être en sécurité dans un tel contexte?
La résidente
Puisqu’il s’agit d’un hôpital universitaire, j’ai débuté par la rencontre avec une médecin résidente. Qui tout de suite a déclaré que la dose d’hydrocortisone (HC) que je prenais était beaucoup trop élevée et que c’était évident à me regarder (autrement dit, parce que j’étais grosse). Elle ne m’a pas demandé si mon endocrinologue avait expliqué pourquoi mon dosage était plus élevé que le 25mg/jour qui était recommandé. J’aurais pu lui répondre que mon endocrinologue avait préféré commencer avec une dose un peu plus élevée puis diminuer plutôt que risquer la crise. J’aurais aussi pu lui expliquer que puisque le besoin du corps en cortisol est augmenté lors de stress, étant souvent blessée avec mon syndrome d’Ehlers-Danlos, ayant des crises de douleurs, et des migraines, j’avais un besoin plus grand en cortisol qu’une personne ne souffrant que d’IS.
Elle ne m’a pas demandé si mon poids avait augmenté depuis que j’avais commencé à prendre le médicament (la réponse aurait été non! J’étais déjà en surpoids).
Je connaissais bien les symptômes de Cushings (excès de cortisol) et j’ai plusieurs fois pu constater le « moon face » (visage rond) causé par cet excès. J’avais un double menton, pas un visage lunaire.
Dosage circadien
Après quelques semaines, j’étais passée à ce qui s’appelle le dosage circadien, qui tente de mieux suivre la quantité de cortisol naturellement produite par le corps dans une journée (on en a beaucoup plus le matin qu’en soirée, et on est au plus bas autour de 4-5 heures du matin). J’avais l’accord de mon endocrinologue, qui disait en gros « prends le médicament de la façon qui te va le mieux, tant que tu prends ce qui est prescrit au total » (il s’inquiétait surtout que je n’en prenne pas assez!)
Au départ j’avais simplement divisé la 2e dose : par exemple, au lieu de prendre 20 mg le matin, puis le 10 mg restant au souper, je coupais le 2e comprimé en deux et je prenais 5mg en après-midi, puis 5mg en début de soirée. J’ai fait ce changement parce que j’ai noté que j’avais des symptômes de bas cortisol chaque jour après le dîner… qui ont cessé une fois que j’ai pris la médication en trois doses au lieu de deux.
Mais je manquais souvent de cortisol en fin de soirée, ou ça me réveillait la nuit. J’ai donc utilisé un site web pour m’aider à déterminer combien en prendre et à quel moment pour suivre la courbe naturelle le plus possible. J’ai bien sûr modifié au fil du temps, selon mes symptômes (ajustant chaque dose et l’heure), mais je prenais donc ma médication 5 fois par jour. Avec tous mes autres médicaments, ça changeait peu de choses. La plus grande différence était de me réveiller à 4h du matin pour en prendre. C’est à peine si ça me réveillait, et ça a été la fin des réveils en début de crise surrénalienne (il arrivait que mon conjoint doive me mettre le comprimé dans la bouche tant j’étais en train de glisser dans l’inconscience).
Quand la résidente a entendu que je divisais ma dose en 5, elle n’en revenait pas. C’était clairement exagéré!
…ce n’était pas rassurant de voir une future endocrinologue, en cours d’études, ne pas connaître le dosage circadien. Ce n’est pas une théorie folle, c’est quelque chose de documenté dans la littérature! C’est une recommendation qu’on trouve sur la majorité des sites d’associations de patients, et des formes d’hydrocortisone à libération prolongée existent justement pour cette raison! Mais bien sûr, aucun de ceux-ci ne sont disponibles ici.
Elle m’a dit qu’elle doutait que mon IS soit primaire, convaincue que c’était plutôt secondaire à la prise d’opioïdes. Mon endocrinologue, tout comme mon généticien, étaient convaincus de la cause autoimmune en raison du fait, principalement, que je ne produisais pas d’aldostérone ni de DHEA et que ma thyroïde semblait aussi en voie de cesser de fonctionner. Mais la résidente a seulement pris en considération le fait que je prenais de la morphine et que mon résultat de prise de sang était inhabituel (l’ACTH était dans la normale, ce qui n’est pas un signe d’IS primaire… cependant en IS secondaire les glandes fonctionnent… et pas les miennes).
Quand j’ai fait remarquer que je n’avais pas pris la morphine depuis longtemps, et que je n’en prenais pas du tout quand les symptômes ont commencé (en 2016!), c’est comme si je parlais dans le vide. Aucune remise en question de sa part.
L’endocrinologue
Comme c’est l’habitude, elle est allée discuter de mon cas avec l’endocrinologue, puis elles sont revenues dans le bureau.
La médecin a dit qu’elle était d’accord avec la résidente et que clairement la dose d’hydrocortisone que mon endo avait prescrite était trop élevée.
Elle m’a carrément dit que c’était inutile de diviser ma dose en plusieurs fois. Quand j’ai essayé de lui expliquer la raison, elle m’a coupé la parole (considérant visiblement que j’étais juste une patiente qui n’y connaît rien!) pour dire que, coudonc, si ça me plaisait de passer ma journée à prendre des médicaments et me réveiller la nuit, c’était mon problème.
Comme j’avais expliqué que je devais parfois prendre du HC en extra (en anglais on parle de « updosing »), elle m’a questionné intensément sur un ton accusateur : « quels symptômes font que vous pensez manquer de cortisol? » Ma réponse mentionnait des symptômes habituels de manque de cortisol, mais on aurait dit qu’elles n’avaient jamais entendu parler de ça. Quand j’ai mentionné la douleur au bas du dos, au bas des jambes et le mal de tête, la médecin m’a répondu « mais faut pas prendre ça [le HC] pour la douleur! ». Je l’ai regardée sans comprendre (ou plutôt, comprenant très bien son préjugé envers moi!). J’ai dit que j’aimerais bien que le HC soulage la douleur, mais que ça soulage juste si la cause est le manque de cortisol! À quoi elle a fait la moue, avant de me dire « Vous savez, il y a des gens qui utilisent l’hydrocortisone de façon récréative… » laissant le sous-entendu planer que je prenais des doses « extra » pour le fun! Je n’en revenais pas! Non seulement je n’ai jamais entendu une telle chose, mais c’était un jugement complètement gratuit.
J’ai vraiment senti que je n’étais pas une patiente humaine et intelligente à leurs yeux. J’ai senti dans leur comportement qu’elles me voyaient juste comme une grosse madame, dépendante aux opioïdes, et donc responsable du malheur qui m’arrivait.
Cette endocrinologue bien sûr m’a elle aussi dit être certaine que mon IS était secondaire à la prise d’opioïdes, malgré le fait que ça ne colle pas à ma réalité. Elle m’a prescrit un test urinaire (qui, à son avis, allait montrer à quel point je prenais trop de HC), m’a répété de ne pas prendre cette médication pour la douleur (sans tenir compte de ce que j’avais répondu plus tôt), m’a refait une prescription pour une dose quotidienne beaucoup plus faible (sans me dire de diminuer très graduellement… chose absolument essentielle pour ne pas tomber en crise surrénalienne) et m’a redonné rendez-vous quelques mois plus tard. Elle a finalement mentionné que je n’étais pas obligée de retourner la voir, bien sûr.
PENSES-TU? Je ne voulais plus jamais la voir!
Précision, et suite
Je tiens à préciser qu’il n’y a absolument aucune honte ni aucun problème à avoir une IS secondaire (en fait, on dit techniquement tertiaire quand c’est suite à la prise d’opioïdes, puisque « secondaire » signifie que le problème vient de l’hypophyse, alors que « primaire » est causée par le dysfonctionnement des glandes surrénales elles-mêmes).
Mon problème était dans leur façon de sauter à cette conclusion, surtout d’ajouter les commentaires clairement biaisés.
Ultimement, la seule chose sur laquelle on s’est entendues, c’est que « primaire » ou « secondaire » ne changeait pas grand chose, puisque le traitement et les conséquences sont les mêmes. Une différence est que quelqu’un avec une IS primaire doit en général prendre aussi de la fludrocortisone, et selon certaines études, le risque de complications est plus élevé (parce que le débalancement des électrolytes est pire, je crois). Mais c’est pas mal tout. Je prenais déjà du Florinef depuis 2010 pour mon hypovolémie, alors j’ai seulement dû augmenter la dose.
J’essaie de toujours garder l’esprit ouvert et faire preuve d’humilité, de douter sainement… alors j’ai fait le test d’urine. Qui a montré un taux de cortisol normal sur 24 heures : je ne prenais pas trop de médication. Je n’ai donc pas suivi la recommendation de l’endocrinologue de diminuer la dose.
J’ai cependant pu constater rapidement qu’alors que je pensais ne rien avoir à perdre avec un 2e avis, finalement j’avais à perdre… le fait que les notes de ce médecin se retrouvent dans mon dossier hospitalier m’a causé beaucoup de difficultés depuis, ça a même mis ma vie en danger, entre autre parce que pour beaucoup de professionnels de la santé qui ne s’y connaissent pas, « insuffisance surrénalienne secondaire », c’est « secondaire », comme dans « moins grave ». Et bien sûr, le préjugé qui accompagne la prise d’opioïdes, surtout si en plus ça t’a causé une complication… ça aussi m’a suivi.