Florès. «En 2023, Emmanuel Macron va-t-il de nouveau se tromper d’époque en s’illustrant comme président des riches?» Ainsi débute la dernière chronique de l’économiste Thomas Piketty, dans le Monde de la semaine dernière. Et il ajoute: «C’est malheureusement ce qui se profile avec la réforme des retraites. Lors de son premier mandat, il avait déjà choisi de tout miser sur les “premiers de cordée” et la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune. Avec à l’arrivée un puissant sentiment d’injustice qui avait conduit au mouvement des gilets jaunes.» Quelques jours plus tard, dans le même journal, une autre chroniqueuse affirme que l’une des formules chocs de Piketty avait «de grandes chances de faire florès», surtout dans le contexte explosif de la contre-réforme des retraites, tandis que la gauche se trouve «sur le pied de guerre» et assumerait sa «nostalgie de Mitterrand» (sic) en prônant, assez unanimement, le retour du droit au départ à 60 ans. Nostalgie mitterrandienne? On croit rêver, mais passons. Revenons plutôt à la phrase de Piketty: «Le gouvernement peut chercher à maquiller les choses: la réalité est qu’il a inventé l’impôt régressif pesant exclusivement sur les moins diplômés.» Directement visé, Mac Macron II. Entre-temps, la première sinistre a présenté le projet. Et nous savons désormais ce qu’il en coûtera sur nos vies dans le seul but d’économiser 20 malheureux milliards par an d’ici à 2030…
Impact. Thomas Piketty, avant même les annonces, et avec une malice que le bloc-noteur ne saurait lui reprocher, pointait déjà un phénomène peu connu. L’économiste atteste en effet que les 20 milliards en question pèseront «entièrement sur les plus modestes». Petit rappel un peu technique: actuellement, pour toucher une retraite à plein taux, il y a deux conditions. Avoir l’âge légal de 62 ans et la durée requise de cotisations, soit 42 annuités pour ceux nés en 1961-1962 (elle passera graduellement à 43 d’ici à la génération 1973). Piketty explique: «Prenons une personne née en 1961 et qui aura donc 62 ans en 2023. Si elle a fait des études de niveau master et a commencé à travailler à 23 ans, il lui faut d’ores et déjà attendre 65 ans pour atteindre les 42 annuités.» Avant d’ajouter: «Autrement dit, la réforme consistant à repousser l’âge légal à 64 ou 65 ans n’aura par définition aucun impact sur ces personnes. Sur les 20 milliards, les plus diplômés contribueront exactement zéro centime. Par construction, ces milliards seront prélevés intégralement sur le reste de la population, notamment sur les ouvriers et employés.» Voilà exactement où nous en sommes avec le projet gouvernemental.
Riches. Sans perdre de vue son sujet, Thomas Piketty enfonce le clou en parlant du besoin de justice et de transparence. «Il suffit d’ouvrir un magazine pour savoir que les millionnaires et les cadres dirigeants se portent à merveille, écrit-il. En France, les 500 plus grandes fortunes sont passées en dix ans de 200 milliards à 1 000 milliards. Il suffirait d’imposer à 50% cet enrichissement exceptionnel pour rapporter 400 milliards.» Évoquant par ailleurs «l’ampleur de la réserve fiscale disponible», l’économiste n’oublie pas qu’elle serait «encore plus importante si l’on élargissait la focale aux 500 000 contribuables les plus riches (1 % de la population) ou aux 10 % ou 20 % les plus riches». Ce n’est pas tout. Sans doute passera-t-il pour un maudit révolutionnaire exalté, quand il lâche également: «Chacun connaît aujourd’hui ces réalités et ces injustices, au moins aussi bien qu’à l’époque de la Révolution et des privilèges de la noblesse. Prétendre qu’il n’y a rien de substantiel à attendre de ce côté-là n’a aucun sens.» Pour lui, en résumé, les moyens existent pour éviter cette contre-réforme des retraites. Il l’affirme tout simplement: «Espérons que les députés et le mouvement social sauront en convaincre le pouvoir en place.»
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 13 janvier 2023.]