XIX - L’Enfant seul…ou la relativite remise en cause

Publié le 15 août 2008 par Marwan

“T’es l’enfant seul, je sais que c’est toi. Viens tu des bas fonds ou des quartiers neufs? Bref, au fond, tous la meme souffrance…”
Oxmo Puccino, 1998

Seul, je l’ai ete depuis le premier instant ou j’ai ete capable d’en prendre conscience. Seul dans cet avion qui m’enmenait en Egypte, un badge portant mon nom autour du cou et un cahier de coloriage a la main. Seul sur un banc dans la cour de recre jusque tres tard le soir pendant que mes parents se disputaient ma garde au tribunal. Seul, au fond de la classe, comme en quarantaine, exclu des bons enfants de Dieu dans les ecoles catholiques ou j’ai fait une partie de mes etudes. Seul, meme au milieu d’une foule, comme etranger a ce monde dans lequel j’ai grandi. Changements d’ecole, changements de pays, de maison ou de vie. Ca laisse vite une empreinte indelebile dans l’imaginaire d’un enfant, de se dire que le milieu dans lequel il vit n’existera que pour un temps. Ce pincement a l’estomac qui surgit en nous les premiers jours d’ecole, quand les parents s’en vont et qu’on fait face a l’inconnu, je l’ai ressenti chaque jour de ma vie. Les enfants seuls se reconnaissent entre eux, ils ont cette lueur triste dans le regard et ce coeur sans fond que Dieu leur a fait. Peu le remarquent mais eux le savent. Lui faisait des tours de velo autour du Lac d’Annecy pour echaper au regard dur des autres enfants. Elle avait construit un monde imaginaire pour s’evader de son HLM a Noisy le Grand. Quant a moi, je preparai la guerre contre ce monde qui ne m’aimait pas. Contre les garcons populaires que tout le monde appreciait. Contre les professeurs qui me mettaient a l’ecart. Contre la France qui ne voulait pas de moi, tant et si bien qu’a la fin, moi non plus je ne voulais plus d’elle. Je considere depuis ma carte d’identite francaise comme une carte orange, qui facilite mon passage aux frontieres et reduit les delais d’attente a l’aeroport. Ni plus, ni moins. Mis a part les hommes et les femmes qui s’y trouvent et qu’elle broient chaque jour pour les defaire de leur indentite, les renvoyants au besoin s’ils ne sont pas solubles dans la nouvelle “identite nationale” du pays, la France ne veut ni ne peut plus dire grand chose depuis qu’elle a crache sur sa propre devise:

Liberte d’etre oppresse par un etat policier, ou de quitter le territoire si on n’est pas d’accord avec le chemin propose. Chaque morceau de la vie quotidienne est reglemente (controle et au besoin reprime), des emplacements de parking a la nounou des enfants. Rien n’est laisse au choix des citoyens, qui doivent marcher au pas et accepter toutes les concessions, sous peine d’etre jetes du train de la croissance, du progres et (donc) de la prosperite. Liberte d’insulter les parias de la societe, mais pas de critiquer les proprietaires de la societe, surtout si elle est anonyme voire generale. Liberte de dire les verites vides et d’enfoncer les portes ouvertes, tant qu’on ne vient pas deranger l’ordre dominant, donc liberte de la presse tant qu’elle reste en zone autorisee. Liberte de traiter les Musulmans comme des terrorristes, mais pas de traiter Israel comme un etat terrorriste, qui assassine et affame les Palestiniens. Liberte de traiter Tariq Ramadan d’intellectuel musulman, mais pas Bernard Henri Levy d’intellectuel juif. Liberte d’acheter, de consommer, de s’endetter, mais surtout pas de remettre en cause le mode de vie productiviste et individualiste dans lequel nous nous effondrons, sous peine d’etre exclu du cercle de ceux qui ont acces au micro, donc de ceux qui ont le droit a la parole, ou du moins qui on le droit a ce que leur parole soit entendue. Liberte d’etre performant et d’avoir de l’ambition, donc liberte de se soumettre a l’entreprise, puis liberte d’accepter sa servitude a la societe, a la mode, a son patron, a son proprietaire. Liberte sexuelle, donc liberte d’assassiner la cellule familiale et le cadre d’education des enfants. Liberte des capitaux, donc liberte des delocalisations, puis liberte des suppressions de postes pour garantir la liberte du paiement de dividendes aux actionnaires. Liberte de plonger dans la depression quand la vie est accidentee, puis liberte de prendre des drogues et des antidepresseurs pour ne plus la voir telle qu’elle est. Liberte de se debarrasser de ses parents en maison de retraite, pour etre libres de ne pas les soigner et qu’ils aient la liberte de mourir seuls, en gardant leur souffrance pour eux. On pleurera leur mort en mettant des habits noirs pour l’occasion. On les enterrera dans des cercueils dont ils auront choisi les decorations un apres midi de printemps, mais ils ne reposeront en paix que pour un temps, car les concessions des cimetieres francais ne sont pas indefinies et ils devront un jour demenager. Liberte d’etre un esclave de plus au service de ce systeme que la France erige en modele, pour notre propre destruction et celles de nos enfants.

Egalite a geometrie variable, entre des classes economiques differentes, entre des classes de citoyennete dont certaines sont plus legitimes que d’autres… le Francais de souche, le Francais, le Francais depuis plusieurs generations, le Francais issu de l’immigration, le resident, le travailleur immigre, le travailleur sans papier, le clandestin. Tous ont droit a un traitement different, car tous ont une legitimite differente dans l’imaginaire collectif. Certains ont des droits, d’autres ont des quotas. Dans le meme espace geographique, la police republicaine est chargee de proteger les uns et de traquer les autres, desormais avec des objectifs chiffres. Le mot “rafle” reprend tout son sens, depuis qu’on boucle des stations de metro ou qu’on encercle des “camps” pour arreter les indesirables etrangers. Ne sont ils pas des hommes et des femmes comme nous? Le meme sang ne coule-t-il pas dans nos veines? Faut il que plus de mamans chinoises ou africaines se jettent par la fenetre lors des rafles organisees par la police et se fracassent le crane sur les trottoirs paves de la mairie de Paris pour le demontrer de maniere empirique? Quant aux “quartiers sensibles”, aux “banlieues”, aux “cites” et a tous ces autres endroits qu’on est obliges d’ecrire entre guillemets ou en italique pour eviter de dire qu’ils ne sont pas une part du territoire comme les autres, je doute qu’ils aient un service municipal aussi personnalise que celui de mes anciens voisins dans le 16e arrondissement de Paris, ni que leurs ecoles beneficient des memes moyens. Comment parler d’egalite des chances quand on ne part pas du meme endroit, que les uns font une course d’obstacles avec un temoin sur le dos tandis que les autres sont a cheval sur une pelouse fraichement tondue… Maxime le Forestier demandait dans une de ses morceaux “Est ce que les gens naissent egaux en droits a l’endroit ou ils naissent? Est ce que les gens naissent pareils ou pas?” (et la des Africains chantaient des trucs en africain, pour dire et montrer que c’etait un peu une chanson oekoumenique avec un message gentil, en plus de vendre des disques). Egaux, les gens ne le sont ni en droits, ni en chances, ni en moyens. Pareils, on fait tout pour qu’ils essaient de le devenir, avec plus ou moins de succes…

Fraternite, car, quelle que soit notre couleur et notre religion, nous sommes tous freres devant notre banquier (suisse si possible). A defaut d’en avoir un (banquier suisse), un gestionnaire de fortune ou un conseiller en patrimoine fera l’affaire. Pour les autres, rassurez vous, on trouvera bien un lien entre freres-consommateurs, freres-telespectateurs, freres-fans-de-football, freres-endettes, etc… Plus le modele capitaliste et individualiste se repand dans notre vie, plus la definition de l’alterite se fait “aux depens de” plutot que “avec” les autres, renforcant ainsi la competition plutot que l’entraide et la fraternite. Sans meme revenir a la question de l’asservissement des peuples en Afrique et dans le reste du monde accessible (donc exploitable), l’Autre de ce cote de la Mediterranee (a l’interieur du territoire donc) n’est plus le frere en citoyennete mais l’adversaire, le concurrent, le faire valoir (sur lequel nous reviendrons un peu plus tard), le voisin inconnu qui jete des megots dans l’escalier, le collegue ennemi qui recoit les compliments du chef tant convoites. Dans l’identite francaise, la fraternite est devenue un mythe revolutionnaire qu’on entrevoit sur des fresques au drapeau brandi. On espere la voir ressurgir lors du chant des hymnes qui precede les matchs de football mais, allez savoir pourquoi, les noirs et les arabes -meme Francais et meme rinces par l’argent du football- ont un probleme avec ce chant guerrier et sanguinaire que les colons entonnaient avant d’aller massacrer leurs peres…

Etre un enfant seul, pour moi, c’etait d’abord etre seul contre tous. Les etudes ont tout simplement ete le champ de bataille le plus efficace que j’ai trouve pour canaliser ma rage contre le systeme. Je voulais faire mieux que les autres, plus fort et plus vite. Je voulais battre la concurrence a plate couture, surtout dans la discipline maitresse que representaient pour moi les mathematiques. Les annees passaient et j’avais de moins en moins besoin de competition, m’appropriant au fur et a mesure le choix de mes matieres preferees. Ce processus etait renforce par la construction de mon identite de petit garcon musulman, ne en France avec des racines en Egypte et en Algerie, ainsi que la fierte d’appartenir a l’heritage grandiose de l’Islam, dont la belle contribution aux mathematiques n’est qu’une des emanations. C’est le glissement d’un systeme de valeurs relatives vers un systeme de valeurs absolues: je ne veux pas faire mieux que les autres, je veux tout simplement bien faire. Je ne veux pas reussir contre les autres, mais je veux reussir. Selon une echelle de valeur qui depasse les nations, les ethnies, les individus.

Se definir par l’alterite a ses limites.

“Je suis ce que l’Autre n’est pas” semble etre le paradigme de l’identite europeenne, magma de peuples et d’imperialismes belligerants jusqu’a ce qu’ils trouvent, dans l’opposition a l’Islam lors des Croisades, un facteur d’unite et le ciment de leur appartenance a un seul et meme peuple, a une seule et meme identite europeenne qui se degrade a mesure qu’on se deplace vers le Sud et l’Est… Bien sur, cette vue a ses limites, mais on voit bien depuis quelques annees comment les intellectuels professionnels du monde occidental civilise (etats unis + union europeenne + amis) se gargarisent d’une unite fictive autour des “valeurs universelles” qui, disent-ils, les differencient de la “barbarie et du fondamentalisme” (les Musulmans-fondamentalisterrorristes + les autres mechants).

“Je suis comme l’Autre, mais mieux…” est ce qui caracterise l’individuplouc moyen. Pour tout individuplouc, il existe un “plus mediocre que lui”. Avoir un “plus mediocre que soi” dans un systeme d’evaluation relative comme le notre, c’est toujours etre sur de valoir quelque chose. Mon “plus mediocre que moi”, c’est le collegue qui touche un peu moins que moi, ou le voisin qui a une voiture moins luxueuse: suffisament proche pour pouvoir me comparer a lui, suffisament mediocre pour que je puisse le depasser. L’idee de competition implique l’idee de reussite relative et non absolue. On veut reussir mieux que les autres.

Le classement des eleves des la primaire participe a cette logique de mediocrite collective, y compris la remise des prix en fin d’annee par ordre de succes. Quelques annees plus tard, dans un lycee par exemple, on peut prendre les premiers de deux classes de terminale A et B pour les deux meilleurs eleves de terminale. Pourtant, il se pourrait que le deuxieme eleve de la classe A soit meilleur que le premier de la classe B, mais que ce dernier profite de la mediocrite relative de sa classe pour briller injustement, tandis que le deuxieme de la classe A est cantonne au rang de deuxieme, ce qui equivaut un peu a une defaite sociale dans l’environnement competitif qu’est le lycee. Cette difference serait sans objet dans un systeme de valeur absolue, tandis qu’elle cause un prejudice a l’un et recompense “injustement” l’autre dans un systeme de valeur relative.

Dans l’entreprise, c’est a un veritable eloge de la mediocrite que l’on peut assister. Pour reussir, il ne faut pas etre bon. Il faut etre un tout petit peu meilleur que les autres. Un peu de pratique pour fixer les idees:

Il est 15h30 et c’est l’heure de la reunion “pipeline” dans les bureaux parisiens de BCHS. Le pipeline (prononcer payplayn), c’est la reunion hebdomadaire ou on “fait le point” sur les “dossiers” en cours, que l’on enumere les uns apres les autres en attendant que les presents fassent des commentaires, le plus eclaires possibles, ce qui a 15h30 est une gageure intellectuelle, avant finalement de definir les “next steps”, c’est a dire la liste des choses a faire avant le prochain pipeline.

Dans la salle, toute l’equipe est reunie, bloc note sous le bras et cafe/stylo a la main. Le boss et le superboss sont la aussi.

Avant d’ouvrir la bouche, un peu de strategie. Dans la salle, certains sont des concurrents, d’autres sont des allies, d’autres enfin sont des cibles. Mes collegues directs sont a la fois des concurrents et des allies. Je dois etre amical envers eux, mais je dois aussi me demarquer pour briller aupres du boss et du superboss. Le boss est le boss, mais lui aussi essaie de briller aupres du superboss, donc ma strategie ne doit pas lui causer du tord explicite aupres du superboss, sous peine de voir le boss me voir comme une menace et se servir de son autorite arbitraire pour me rabaisser ou m’ecclipser definitivement. Le boss et le superboss brillent de leur poste en direction de leur boss et de leur superboss respectifs, mais ils tirent aussi leur legitimite de leurs soufifres comme moi, donc ils on aussi un interet a ce que je brille a mon niveau sans toutefois leur faire de l’ombre.

La reunion commence. Le boss est en fait une boss, Marie Laure-78 kE brut, qui egrenne les dossiers les uns apres les autres.

“Amicale des medecins de Maghrebie occidentale!” lance-t-elle avec un sourire pince, en suivant par un regard furtif et involontaire dans ma direction.

Traduction entre les lignes subconscientes de cette prise de parole: “l’Amicale des medecins de Maghrebie occidentale nous a contacte il y a quelques semaines pour qu’on leur cree un fond de placement destine a epargner pour leur retraite. Bon, je sais bien que personne n’en a rien a faire puisque ca ne rapporte pas trop et que les retombees en terme de portefeuille client ne sont pas grandes, mais si l’un d’entre vous a une idee, voire un commentaire general a faire sur la meteo en Maghrebie occidentale, qu’il s’exprime. Bon, moi vous savez que mon grand pere est de Maghrebie orientale (si vous savez pas ca m’arrange). Deja que je me teinte et me defrise les cheveux pour nier son heritage genetique, si en plus on m’associe a ce marche, ca va pas le faire. Tiens, Marwan, lui, il est un croisement entre un Alexandrin et une sauce tomate centromaghrebine, il doit bien savoir comment leur concocter un produit financier qui tient la route, regardons dans sa direction sans trop faire expres…”

Tout le monde se regarde en esperant qu’il y en ait un qui prenne la parole, sachant que repondre trop vite serait un peu trop gourmand. Alan-65 kE brut, prend la parole, l’air de vouloir rendre service: “C’est marrant, cette demande, ca me fait penser a celle de l’assoc des professeurs de Navarre…, on pourrait peut etre reprendre notre propal (proposition commerciale) de l’epoque?”

Silence.

Le silence est en general insupportable dans une reunion comme celle ci, alors Marie Laure-78 kE brut aquiesce et enchaine rapidement sur les autres “sujets” (un sujet est le mot gentil pour dire “probleme”). Tout le monde essaie de lancer un commentaire bien place, ou une analogie qui montre une bonne comprehension du dossier, en essayant si possible de paraitre faire bouger les lignes tout en cirant les pompes de la boss et du superboss. Exemple:

Cadrendevenir- 43 kE brut: “Je suis pas sur qu’on prenne la bonne direction avec ce produit. Comme disait Marie Laure-78 kE brut, l’autre fois sur le dossier Banque centrale de Manchourie, il faut avoir une echelle de frais de gestion qui tienne la route (ce que Marie Laure n’a pas dit). Il faut reprendre la proposition Target Neutral faite par Annie-stagiaire-14 kE brut en conges maladie, de A a Z pour updater la strategie et corriger les erreurs (que Annie n’a pas faites).”

Marie Laure-78 kE brut: “Excellent, tu peux coordonner et definir les next steps pour le prochain pipeline?”

ou encore

Cadreambitieux-51 kE brut: “J’ai essaye de reflechir a une facon de dynamiser le produit (dynamiser=rendre plus risque) et finalement j’ai trouve quelques idees.”

Marie Laure-78 kE brut: “Ah oui? avec la meme volatilite et le meme ratio de Sharpe?” (interrogation qui montre que Anne Laure-78 kE brut ne comprend rien, car quand le produit est plus risque, la volatilite dont elle nous rince les oreilles devrait augmenter….)

Cadreambitieux-51 kE brut: “Oui, le ratio de Sharpe est meme meilleur. (Cadreambitieux-51 kE brut comprend que Anne Laure-78 kE brut ne comprend rien, mais il ne veut pas la froisser alors il dit lui aussi n’importe quoi). En fait il suffit de faire le produit en pur alpha, en implementant la strategie avec des options et en augmentant le leverage.”

Marie Laure-78 kE brut: “Ah….” (elle ne comprend vraiment rien)

Cadrerageux-36 kE brut: “T’es sur de ton truc, la? Parce que ca me semble un peu bizarre une strategie ou tu augmente le levier sur les options, donc le risque pris, et ou tu te retrouve avec une volatilite identique a la fin. Ca me parait un peu louche, mais meme si c’est le cas, ca dynamise pas forcement le produit…” (bim dans les dents. Cadrerageux-36 kE brut a identifie que Cadreambitieux-51 kE brut et Marie Laure-78 kE brut etaient en train de raconter des patates, donc il saute sur l’occasion et attaque Cadreambitieux-51 kE brut de maniere frontale, ce qui deteint de maniere indirecte sur le reste de l’equipe et sur Marie Laure-78 kE brut, qui n’a pas releve. Un coup de maitre…)

Reussir dans l’entreprise est un travail de sape. Si on n’est pas capable de se faire remarquer comme un element exceptionnel, alors il faut progressivement descendre les autres pour pouvoir exister dans la perception des managers. Lentement, patiemment. Vipere des machines a cafe, cafard de reunion-projet, requin de salle de marches, chacun son animal fetiche pout trouver l’inspiration et pleinement accomplir son potentiel de nuisance professionnelle. Le travail que l’on realise n’a qu’une participation toute relative a notre succes. Plus importante est la perception qu’en ont les autres. Ainsi, un bulleur professionnel qui sait bluffer peut etre assure d’etre promu regulierement sans trop se donner de mal. A chaque etape, la meme demarche organisee:

1) prendre conscience de la mediocrite des concurrents/collegues

2) identifier les managers qui controlent l’acces a l’etage suivant, ainsi que leurs objectifs personnels dans l’entreprise (qui determinent leurs criteres de decisions)

3) etablir une strategie de communication en direction des managers destinee a ce qu’ils percoivent notre travail (existant ou non) comme une contribution a l’accomplissement de leurs objectifs

4) ecarter la concurrence en choisissant soit une approche d’elimination agressive (valable quand on a un mental d’acier et du repondant lors des attaques), soit une approche de mediocre-amical, qui s’attire la sympathie des collegues tout en montrant au management qu’il est un tout petit peu meilleur que les autres (tres approprie quand la concurrence est forte)

Cette strategie paye. Testez la pour vous meme et voyez votre capital-sympathie augmenter aupres de vos collegues directs, a mesure que la perception qu’ont les managers de votre travail se construit, comme une legende professionnelle faite de “competence”, de “capacite d’adaptation”, de “reactivite”, de “sens des responsabilites”…

La regle ultime de notre systeme de vie, “Faible avec les puissants, fort avec les faibles“, s’applique a chaque rouage de l’entreprise, comme une devise que tout le monde endosse pour acceder a la “reussite”. Il faut des “plus faibles” pour qu’il puisse exister des “plus forts”.

Briller aux depens de son “plus-mediocre-que-soi” est une facon d’exister dans un rapport d’alterite. Batman etait en mal d’estime de lui meme, alors il a recrute un plus-mediocre-que-lui, un plus faible que lui: Robin. Batman court plus vite que Robin, saute plus haut que lui et se sent oblige de repondre a ses questions stupides qui le retardent toujours dans la poursuite des mechants. Mais bon… le role de Robin n’a jamais ete d’aider a attraper Joker et Double Face, mais de servir de faire-valoir a Batman, qui risquait serieusement de devenir un heros moyen portant cape et bas en nylon les soirs de pleine lune, ce qui peut parfois attirer quelques gestes d’animosite dans les grandes villes du monde civilise…

Dans Goldorak, Actarus avait Alcor pour plus-mediocre-que-lui, qui faisait toujours un excellent rageux, avec son petit vaisseau qui faisait pitie. Pour le remercier de sa persistante et tres utile mediocrite, Actarus lui a donne, ainsi qu’a Venusia, la possibilite d’avoir un vaisseau digne de ce nom, qui vient se greffer sur le super Goldorak quand la bataille gronde. Une sorte d’eloge du travail d’equipe, en somme…

MacGyver avait Pete Thornton, Cortex avait Minus, Don Quichotte avait Pancho Villa, etc… mais, plus interessant encore, analysons le cas de Rantanplan et Scoubidou.

Il est communement reconnu que Rantanplan et Scoubidou sont les deux chiens les plus stupides de la television (Pluto est plutot dans la moyenne sympathique, Tintin a l’intelligence belliqueuse du colon, Rintintin est un hero du coeur, Bell est le partenaire de tristesse de Sebastien, etc). Si on observe Rantanplan et Scoubidou pour ce qu’ils sont, on se rend compte qu’ils ont tres exactement le meme niveau intellectuel: ils posent les meme questions, font les memes erreurs, ont la meme obsession de dormir et manger. Pourtant, la perception qu’on a d’eux est tres differente. Chacun dans son contexte, ils jouent un role different. Rantanplan est le chien stupide qui suit Lucky Luke le cowbow reconciliateur, tandis que Scoubidou est le partenaire-mediocrite de Samy dans le dessin anime qui porte son nom. Il parait raisonnable de postuler que Samy est aussi stupide que Scoubidou, comme une espece d’alter ego humain a l’esprit interechangeable. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils se retrouvent toujours ensemble a deambuler dans des couloirs obscurs alors que les autres personnages (Daphne a lunette et les autres blonds) enquetent tous sur des pistes plus interessantes les unes que les autres. Rantanplan, de son cote, est un vrai boulet. Il fait parfois d’heureuse betises qui lui donnent un interet passager dans la serie, mais ca ne va jamais bien loin. Il parait tres bete a cote de l’autre animal emblematique de la serie, le cheval Jolly Jumper, mais si on le compare a Avrel, l’un des freres Dalton, il parait tout de suite dans la moyenne… les miracles de la relativite.

Conclusion cynique: si vous souhaitez reussir en entreprise, sachez vous entourer du meilleur plus-mediocre-que-vous possible et apprenez a utiliser votre mediocrite de la maniere la plus efficace qui soit pour grimper les echelons.

Morale gentille mais vraie: si vous souhaitez accomplir une vraie reussite dans votre vie, alors il va falloir apprendre a determiner des objectifs qui ne soient pas relatifs mais absolus, et probablement renoncer a la quete du pouvoir et de la popularite en entreprise.