D'abord les ambitions de l'organisateur qui, interviewé par, déclare : "J'avais envie de poursuivre le même but que la botellón de Genève [...] Permettre aux gens de se rencontrer, faire connaissance, en dehors d'un système consumériste."
Ensuite, les propos du municipal Jean-Christophe Bourquin, rapportés par Magali Philip dans le Journal de 12h30 du 12 août de la RSR, "[qui] déplore l'attitude qui consiste à s'approprier le domaine public sous prétexte que l'espace public appartient à tout le monde."
D'abord, disons-le tout net, je suis personnellement favorable à la réappropriation de l'espace public de la ville par ses habitants. Selon moi, la ville appartient à celle et ceux qui l'habitent. Et pourtant, une grande partie de la ville est consacrée à la voirie qui est pour la plupart du temps occupée par l'automobile. Les trottoirs sont très souvent envahis de panneaux publicitaires ou de caissettes de journaux gratuits. Les murs participent aussi à cette privatisation et à cette marchandisation de la ville.
Cet état de fait est d'ailleurs non seulement connu et reconnu des autorités politiques, mais constitue parfois aussi une source de fierté. C'est ainsi que, par exemple, la Municipalité de Lausanne a introduit le plus que discutable "city management" dont "Le but global [...] est d'augmenter l'attractivité de l'hypercentre comme lieu d'achats et de divertissement et d'y augmenter la valeur ajoutée commerciale." À Nyon, l'ex-syndic Alain-Valéry Poitry est encore plus direct puisqu'il a commandé une étude pour évaluer si le centre ville peut devenir un centre commercial à ciel ouvert.
Dans ce contexte, la revendication de se réapproprier le domaine public est une demande juste. Avoir pour ambition de permettre aux gens de se rencontrer, de faire connaissance en dehors d'un système consumériste est une démarche tout à fait respectable. La réappropriation d'une ville par ses habitants est au moins aussi légitime que l'appropriation de celle-ci par le commerce et la voiture.
Mais il y a un mais.
Si se réapproprier la ville est légitime, encore faut-il voir pour quel usage.
Pour des rencontres, pour faire des connaissances ? D'accord. Pour échapper au consumérisme. Oui. Mais est-ce vraiment le cas ? Pas tout à fait à en croire Diego Farnié de l'Université de la Sorbonne Nouvelle à Paris qui estime, en parlant des botellones espagnoles :
Une activité massive de ce type est bien évidemment alimentée par des intérêts économiques parfaitement organisés à plusieurs échelons ; ce sont, tout d'abord, les grandes marques internationales et nationales de boissons alcoolisées qui, par le biais d'un marketing agressif, poussent à la consommation d'alcool des populations de plus en plus jeunes (par exemple, en créant des sodas très faiblement alcoolisés au goût plus doux) et parviennent à contourner les interdictions en matière de publicité (en privilégiant la consommation de bière, moins soumise à de telles contraintes, et en créant des bières de plus en plus alcoolisées).
Ce sont ensuite les grandes surfaces, ravies de récupérer une part de l'argent de la nuit au détriment des bars et autres locaux nocturnes, encore plus ravies par l'interdiction récente de vendre de l'alcool après 22 heures adressée aux petits commerçants (ce qui implique plus ou moins que tous les botelloneros sont encouragés à réaliser leurs achats chez ces grands distributeurs). Ces grandes surfaces sont capables de proposer des promotions sur l'alcool vendu à des prix très concurrentiels, et sont traditionnellement moins regardantes sur l'âge de leurs clients que ne le sont les locaux nocturnes, beaucoup plus surveillés.
Il ajoute plus loin :
Le phénomène du botellón semble avant tout indiquer que ces jeunes ont parfaitement intégré le principe actif de cette société de consommation.
Il conclut son article ainsi :
Par ailleurs, ce phénomène s'intègre totalement dans la mouvance free, qui constitue une sorte de réaction à l'égard de la société de consommation et qui adopte certains de ces codes (la consommation) en en rejetant d'autres (l'industrie qui y encourage). Il semblerait donc qu'il s'agit d'une sorte de parodie d'un certain néolibéralisme, [...].
Autrement dit, et au-delà de tous les dommages collatéraux que l'on peut découvrir dans la presse, il semblerait que les botellones ne constituent qu'un avatar de la société de consommation. Mais en tout cas pas une alternative crédible à l'appropriation de l'espace public par les "marchands du temple".
Croire que les botellones permettent d'avoir des relations sociales en dehors du système consumériste est une erreur. Mais, accuser le botelloneros d'abuser du système aussi. Car ces beuveries, même si elles prétendent se soustraire à la société de consommation, s'inscrivent en fait dans sa droite ligne.
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Mots-clés : alcool, botellón, consommation, consumérisme