Ma réflexion sur l’euthanasie

Par Abdesselam Bougedrawi @abdesselam

S’il y a un débat qui tarde à s’installer en France, c’est bien celui sur l’euthanasie. La chose peut paraître surprenante, puisque, en même temps, d’autres débats se sont concrétisés conduisant à des changements de société : mariage homosexuel, reconnaissance de genres en dehors de masculin et féminin, mères porteuses…

Le mot euthanasie, en lui-même, porte quelques aversions. Même s’il y a une similitude entre la fin de ce mot, et le mot nazi, cela ne prête pas à conséquence chez une population intelligente et avertie. L’aversion est le fait de la froideur clinique de ce mot. Froideur que l’on retrouve également dans les expressions, aide à la mort, ou encore, mort intentionnelle.

Le terme définitif reste à trouver pour situer le débat dans un contexte humain. Dans la mesure où ce terme humain peut s’appliquer à la mort.

Il serait intéressant de connaître l’équivalent de l’euthanasie chez les arabes musulmans, puisque cela est devenu une tendance que de mépriser ce monde. En arabe, ce mot porte le sens de mort par miséricorde, par pitié ou par compassion. القتل الرحيم. Nous somme dans une autre dimension de pensée.

Le débat sur l’euthanasie a été lancé il y a plusieurs années par le professeur Léon Schwartzenberg, un éminent cancérologue. Toutefois, ici, l’euthanasie ne portait que sur les malades porteurs d’un cancer avancé. Leurs désespérances étaient telles qu’il fallait mettre fin à leurs souffrances par la mort. À dire vrai, cet argument n’est pas valable dans la mesure où il existe des médicaments pouvant soulager les douleurs.

Le débat devrait porter sur un élément d’ordre philosophique et éthique : le droit de disposer de sa vie pleinement. Par analogie, le comparer au droit à l’avortement qui repose sur un élément qui est le droit de disposer librement de son propre corps.

Disposer librement du droit sur sa propre vie, voilà, me semble-t-il, ce qui devrait être le vrai sujet du débat.

Il est important de rappeler une chose évidente que l’on oublie, la mort est notre destinée à tous. Du moins, dans l’état actuel de la connaissance scientifique. Donc, dans tous les cas de figure, l’euthanasie ne consiste qu’à anticiper quelque chose d’inéluctable.

Ma réflexion repose, je le rappelle donc, sur cette liberté fondamentale, à savoir, disposer pleinement de sa vie.

Je suis, comme le savent certains lecteurs, médecin spécialiste en médecine physique. C’est une jeune spécialité qui s’occupe des maladies de l’appareil locomoteur, qu’on peut appeler rhumatologiques. Auparavant, ma spécialité portait le nom de rééducation et réadaptation fonctionnelle. À ce moment-là, on s’occupait essentiellement de personnes handicapées. Parmi ces personnes, celles qui sont en fauteuil roulant au décours d’un suicide. Pour bien expliciter les choses, il s’agit de personnes, en général jeunes, si déprimées qu’elles choisissent de mettre un terme à leurs vies par le moyen le plus sûr, la défenestration.

Certains ratent leur suicide et se trouvent des blessés médullaires avec l’incapacité de marcher. Le seul moyen qui reste à leur disposition pour se déplacer est le fauteuil roulant.

On aurait pu penser que ces personnes réclameraient l’euthanasie, puisqu’à leur dépression précédente s’ajoute le handicap. Or, paradoxalement, ces personnes retrouvent la joie de vivre malgré leur état. Non seulement joie de vivre, mais également des projets pour l’avenir.

Ce qui voudrait dire, que le désir de mort, aussi intense soit-il, ne peut être que le reflet d’une situation particulière. Lorsque cette situation est levée, le désir de vivre revient et l’emporte sur la mort. Aussi, proposer l’euthanasie à des personnes déprimées susceptible de retrouver la joie de vie, peut s’apparenter à un crime. Même si elles réclament cette mort.

Un autre aspect de l’euthanasie, en tant que droit, est celui de la responsabilité envers les autres, et de la souffrance que provoquerait la disparition.

Lorsqu’une personne fait le choix de se marier et d’avoir des enfants, sa vie ne lui appartient plus. Son suicide assisté par autrui causerait, immanquablement, au-delà du deuil, une souffrance chez ceux qui l’aiment, plus important que celle qui a conduit à son euthanasie. Souffrance, et dépression qui peuvent conduire à des actes extrêmes tels que le suicide. On peut donc dire que l’euthanasie, si elle permet d’abréger la souffrance d’un individu, entraîne chez son entourage une souffrance encore plus grande. Devrait-on s’orienter vers une surenchère d’euthanasie : on met à mort, non seulement la personne, mais également son entourage !

Et que dire et quoi penser de l’euthanasie d’une personne qui est le support familial et financier de toute une famille. Famille qui se retrouverait du jour au lendemain dans le dénuement. En plus du désespoir. Devrait-on lui proposer le droit à l’euthanasie comme choix possible ?

Une question majeure est, qui procéderait à l’euthanasie ? Certainement pas, nous médecins. Cela ne fait partie ni de notre éthique, ni de notre mentalité, ni de notre formation. Notre métier nous prépare à la vie. L’euthanasie, si elle devait exister, devrait être confiée à des personnes spécialisées.

Si d’un point de vue strictement philosophique, l’euthanasie doit être permise en tant que droit humain essentiel, elle représente, d’un point de vue humain, un échec.

Rien n’est plus triste, rien n’est plus tragique que la mort par euthanasie d’une personne jeune.

Mais, il y a un point que je mets en avant dans mes analyses et essais : il y a toujours une différence entre un système, un concept, et les humains qui portent cette idée ou ce concept. La généralisation de l’euthanasie, comme choix de liberté, peut de façon directe ou indirecte créer des comportements nouveaux. Probablement, parmi ces comportements, la disparition du respect même de la vie en tant que chose sacrée.

Finalement, le lecteur aura compris que jamais réflexion ne m’aurait donné autant d’incertitudes.

Je suis partagé entre le respect des libertés et des choix individuels, et la souffrance, le désespoir que provoquent, justement, ces mêmes libertés concernant le suicide assisté.

Si, dans le cas des maladies graves, incurables, et chez certaines personnes âgées, le choix peut paraître simple, d’autant qu’il est fait en accord avec la famille, pour le reste le choix est difficile et triste. Le lecteur trouvera qu’il y a une contradiction entre le début de mon article et sa fin. Possiblement, je demeure, avant tout, un être humain.

En fait, pour que le choix de décider pleinement de sa vie et de sa mort puisse être une liberté individuelle indissociable de l’être humain, il faudrait créer une société avec d’autres humains où disparaîtraient, affection, amour, passion. Société dans laquelle je ne voudrais, certainement, jamais vivre.

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