Philippe Cornu fait remarquer ici dans le bouddhisme qu'un etre éveillé, un Bouddha, garde sa singuarité et ne se fond pas dans une conscience unique.
Il y a un fond unique - notre vraie nature - mais aussi une singularité de chaque etre éveillé.
Et il distingue cette perspective de l'advaita védanta où l'individualité s'anéantit dans le Soi.
Ainsi il y a une multiplicité de Bouddhas différents, manifestant chacun des qualités spécifiques de l'unique.
jlr
"Il faut que l’esprit conceptuel meure littéralement ou s’évapore dans l’expérience du méditant pour que se fasse jour cette dimension de l’esprit qui est inconnue habituellement. C’est une expérience proprement holistique. Alors, est-il propre à chacun ou est-ce un seul témoin partagé par tous ?
C’est là que le bouddhisme est vraiment très subtil parce qu’il explique bien que le flux de conscience qui nous habite n’a pas réellement de commencement ni de fin, en tant que flux de conscience, mais qu’il est singulier pour chacun. Ce flux de conscience est constitué de cet esprit conceptuel et confus d’une part, mais aussi de ce Fond ou de cette Base de claire lumière, qui est non-conditionné, et qui constitue son « fond sans fond », lequel est sa véritable nature. Un individu qui va cheminer va se dépouiller petit à petit de tout le fatras de conditionnements de son esprit ordinaire jusqu’à déboucher sur cet esprit non-conceptuel qui est sa véritable nature, et va parvenir ainsi à l’Éveil.
Mais quand un être s’éveille, s’il n’y avait qu’un seul esprit partagé ou réparti entre tous, cela voudrait dire que l’Éveil de l’un suffirait pour que tous les autres s’éveillent aussi, ce qui n’est pas le cas. Donc, quand on devient un Bouddha, on devient un Bouddha de plus, un être éveillé de plus, qui va déployer à partir de sa réalisation sa propre activité de compassion pour les êtres. Je ne peux pas transférer cet Éveil à quelqu’un d’autre. Il n’y pas d’ailleurs la notion de sauveur, dans le bouddhisme. Il n’y a que des êtres qui peuvent s’éveiller et qui peuvent aider les autres à trouver le chemin de leur propre Éveil. Il n’y a donc pas de perte de cette singularité, mais seulement celle de la croyance au moi, au petit moi.
C’est une différence avec certaines conceptions dans l’Hindouisme où l’ātman, le noyau ultime de l’être individuel, quand il se dégage de toute son ignorance, va rejoindre l’absolu Brahman qui est une expérience totalisante au-delà des individualités. Le bouddhisme s’est toujours gardé de ce genre d’interprétation. Peut-être que l’on parle de la même nature, mais la façon d’en parler philosophiquement n’est pas la même.
Le bouddhisme maintient cette distinction entre les courants de conscience, qui fait que, quand un courant de conscience mûrit, il n’est pas capable de faire que tous les courants de conscience instantanément retrouvent ce même mûrissement. S’il n’y avait qu’un seul et unique esprit derrière tout cela, ce serait le cas."
Philippe Cornu