Cet article examine les différentes divinités féminines autour desquelles on peut trouver le couple étoile-croissant : Aphrodite, Artémis, Héra et quelques déesses orientales.
En conclusion de ce panorama, il apparaît que les cas d’inversion croissant-étoile ne sont pas systématiquement imputables à une « tradition orientale », comme on le lit très souvent.
Article précédent : Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu
Etoile et croissant autour d’Aphrodite
Aphrodite d’Aphrodisias (Carie)
Aphrodite d’Aphrodisias
La statue qui était hébergée dans le temple d’Aphrodisias nous est assez bien connue par des copies hellénistiques ou romaines.
La gaine se composait de plusieurs étages comportant trois scènes récurrentes :
- les Trois grâces,
- les bustes de Séléné et Hélios,
- Aphrodite sur un monstre marin.
L’estampe de Dupérac montre en haut deux statues de Naples, aujourd’hui disparues, présentant des ordonnancements différents. Celle en haut à droite est très semblable à la statuette conservée à Bologne, mis à part dans celle-ci l’inversion Séléné-Hélios. On constate la même inversion dans la statue du bas, aujourd’hui conservée à Münich.
La structure se complexifie parfois avec l’introduction avec l’ajout d’un second couple de part et d’autre des Trois Grâces : on y voit aujourd’hui le couple Gaia / Ouranos (Lise Brody), l’interprétation antérieure étant Héra / Zeus. Le couple Séléné / Hélios s’harmonise avec cette structure ternaire, par l’ajout d’un pilier intermédiaire.
Le fait notable est que les deux couples harmonisent également leur configuration : masculin / féminin pour Berlin, féminin / masculin pour Aphrodisias.
Cette relative indifférence quant à l’inversion des couples se retrouve dans les monnaies.
Les premières monnaies comportant l’étoile et le croissant, réalisées sous Tibère, montrent la déesse de face et les bras écartés.
Hadrien, monnayage d’Aphrodisias
Sous Hadrien apparaît la formule de remplacement qui sera toujours reprise par la suite (Marc-Aurèle, Septime-Sévère, Héliogabale, Sevère-Alexandre, Gordien III, Gallien, mis à part un retour isolé à la vue de face sous Julia Domna) : la déesse vue de profil, ici précédée par Eros avec son arc. L’avantage de cette vue était de différencier l’Aphrodite d’Aphrodisias des Aphrodites ou Artémis d’autres cités, où la vue de face est hégémonique.
La formule Etoile-Croissant prédomine, mais chez Hadrien et Gordien III, les deux configurations cohabitent, bien que la vue de profil implique une direction de lecture : preuve que la position des deux symboles était sans signification.
Aphrodite anadyomène
Aphrodite anadyomène
On connait d’autres gemmes montrant Vénus anadyomène, mais deux seulement comportent le croissant et l’étoile, dans les deux configurations.
En synthèse : étoile et croissant autour d’Aphrodite
A la différence des divinités cosmiques telles que Zeus et Sérapis (voir Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu), la déesse Aphrodite, qu’elle soit vue de face ou de profil, n’influe pas sur la configuration étoile-croissant : les deux symboles signalent simplement son caractère céleste.
Etoile et croissant autour d’Artémis
Artémis d’Ephèse
Cette déesse très célèbre a pour caractéristique les seins dont elle est couverte. Sa figuration la plus courante est debout entre deux cerfs, les bras posés sur des supports, avec au dessus d’elle le couple croissant-étoile.
Statère, Ephèse (Jenkins, Hellenistic , pl. A, 2 var [18])
Dans les monnaies, la représentation de la statue entre les deux symboles n’est pas systématique. Cette monnaie est la seule connue qui comporte le motif de l’étoile dans le croissant, sans doute en lien avec Mithridate [18]. Les animaux du bas, ici un cerf et une abeille, sont en revanche courants dans les monnaies d’Artémis d’Ephèse (de même que la tête d’éléphant).
Hérakles, Artémis d’Ephèse
Drachme, 1er siècle avant JC, Tabae, Carie (BMC 17) [19]
Cette monnaie isolée, dépourvue de tout attribut, a été longtemps prise comme représentant l’Aphrodite d’Aphrodisias, mais les seins visibles sur certains exemplaires montrent clairement qu’il s’agit bien d’Artémis d’Ephèse. On voit que dès cette toute première apparition des symboles séparés, les deux configurations sont possibles.
A l’époque impériale, on rencontre les deux symboles dans un grand nombre de règnes, entre Vespasien et Dèce. Il est fréquent dans le monnayage d’Ephèse, mais aussi d’autres cités : en Carie (Tabae, Sebastopolis, Neapolis ad Harpasum), en Lydie (Nicaea Cilbianorum, Nacrasa), en Phrygie (Hyrgaleis, Aezani), en Ionie (Metropolis) et en Thrace (Perinthus).
Marc-Aurèle, Monnayage d’Ephèse
Le type le plus fréquent est celui de la statue seule (25 cas), qui présente les deux configurations, sans qu’aucune règle ne se dégage. Par exemple, trois monnaies réalisées à Ephèse sous Marc-Aurèle montrent à l’avers l’empereur, son épouse et son fils, et au revers la statue d’Artémis dans les deux configurations.
On trouve aussi les deux configurations lorsque la statue est figurée dans son temple : entre deux colonnes (3 cas) ou dans une colonnade plus importante (6 cas).
Sévère-Alexandre, Ephèse
Même dans ces deux formules rares, qui n’existent qu’à Ephèse, la statue miniature présente les deux configurations.
Ces compositions sont les seules où la logique permet d’identifier clairement les deux symboles comme représentant les deux luminaires Sol et Luna :
- configuration impériale Masculin-Féminin pour le couple dieu / déesse ;
- configuration maritale Lune-Soleil pour la déesse lunaire et le dieu solaire.
C’est dans doute par contagion avec la célèbre statue que, dans cette monnaie d‘Ephèse, la tête d’Isis s’agrémente d’un croissant et d’une étoile : il ne peut s’agit des attributs des deux dieux égyptiens (sinon le soleil serait côté Sérapis) mais d’une sorte de courtoisie faite à Isis : comme si, à Ephèse, les déesses ne se concevaient que cosmiques.
Artémis de Pergé (Pamphylie)
Monnayage de Pergé, 3ème-2ème s av JC (SNG Fr. 373 var)
Cette déesse locale a été assez tôt assimilée à Artémis, dont elle emprunte ici l’arc et le carquois.
Artémis de Pergé, monnayage de Pergé
Moins célèbre que sa consoeur d’Ephèse, l’Artémis qui était honorée à Pergé est toujours représentée dans son temple : de façon fruste au départ, plus élaborée par la suite. Sauf deux exceptions dont la monnaie de droite, seules deux colonnes sont représentées.
Héliogabale, Pergé, Pamphylie
Apparus sous Septime-Sévère, sans doute à l’imitation de l’Artémis d’Ephèse, le croissant et l’étoile à l’intérieur du temple sont pratiquement toujours présents, jusqu’à Aurélien. Outre la Pamphylie (Pergé et Attéa), la formule déborde aussi dans la Pisidie voisine (Andeda, Ariassus, Pogla, Selge).
Les deux configurations cohabitent sans règle décelable, comme on le voit avec ces deux monnaies frappées à Pergé sous Héliogabale.
Artémis Anaitis à Hypaepa (Lydie)
Anaïtis, déesse iranienne qui était la parèdre de Mithra, a fait l’objet d’un culte dans toute l’Asie-Mineure. Elle a survécu en particulier en Lydie, où elle s’est hellénisée sous le nom d’Artémis Anaitis. Elle figure dans le monnayage de plusieurs cités lydiennes (Hypaepa, Philadelphia, Attuda), mais c’est seulement à Hypaepa qu’on la trouve associée à l’étoile et au croissant.
Héliogabale, 218-222, Hypaepa, Lydie (Mionnet IV, 298)
Artémis Anaitis est représentée de face et écartant les mains : son attribut distinctif est le grand voile qui la couvre entièrement.
Tyché porte la corne d’abondance de la main gauche et un gouvernail de la main droite.
Cette composition est très étrange puisque le couple étoile-croissant figure entre les deux déesses, sans être clairement associé à aucune : il n’existe aucun exemple d’Artémis Anaitis et de Tyché, debout et seule, qui soit accompagnée des deux symboles.
Cette idée d’associer la déesse du culte local et Tyché, la déesse de la Cité, est commune à plusieurs villes de Lydie : on trouve quelquefois un objet intercalaire :
- étoile au centre faisant référence au ciel,
- couronne qui, dans le cas de Koré, n’est destinée qu’à elle.
Septime-Sévère, 193-211, Hypaepa, Lydie (Imhoof LS 13)
A Hypaepa, la formule est introduite sous Septime-Sevère, avec un champ intercalaire vide.
Héliogabale, Hypaepa, Lydie
Dans les autres monnaies comparables frappées à Hypaepa sous Héliogabale, le champ intercalaire est également vide.
Il est donc clair que le couple étoile-croissant, qui s’introduit dans une unique émission entre Artémis Anaitis et Tyché, est une marque distinctive purement monétaire, spécifique au monnayage d’Hypaepa sous Héliogabale.
Etoile et croissant autour d’autres déesses
Héra
Héra de Samos entre deux perroquets, monnayage de Samos
Ces deux monnaies, fort rares, présentent les deux configurations.
Koré (Idole de Sardes)
Statue de Koré entre des tiges de maïs
La statue de cette déesse est très rare : il n’existe que deux monnaies concernées, toute deux de Lydie, et encore une fois versatiles quant à la configuration croissant-étoile.
Synthèse sur les déesses d’Asie Mineure
Mise à part l’Artémis Anaitis d’Hypaepa, où le couple étoile-croissant apparaît être une marque monétaire, toutes les autres déesses d’Asie mineure affichent équitablement les deux configurations. Divinités avant tout locales (même si certaines ont pu connaître une large renommée), elles ne prétendent pas à un pouvoir sur le Soleil et la Lune : simplement à une place dans le ciel.
La déesse de Gabala (Syrie)
Cette déesse locale est représentée assise, enveloppée de voiles qui recouvrent les deux sphinx assis de part et d’autre, tandis que deux quadrupèdes ailés couronnent le dossier ([20] , note 130). Elle est connue par quelques bas-reliefs, mais c’est seulement sur cette monnaie de Caracalla que le couple croissant-étoile la surplombe. On ne connaît pas d’exemple de la configuration inverse.
En conclusion : l’origine « orientale » des inversions croissant-étoile ?
L’origine orientale ?
On lit souvent que l’inversion Lune-Soleil serait une particularité orientale (Cappadoce, régions pontiques). Nous venons de voir que pour les déesses pré-hellénistiques d’Asie mineure, les deux configurations coexistent.
C’est seulement pour la déesse syrienne de Gabala que seule la configuration croissant-étoile se présente.
L’origine syrienne ?
A l’appui d’une origine purement syrienne de l’inversion Croissant-Etoile, Grabar ([21], p 44) prend des cas d’inversion autour d’Harpocrate, dans trois gemmes magiques dont la provenance est inconnue, mais dont deux (collection Université du Michigan) ont été achetées en Egypte.
En fait, dans les cas d’Harpocrate seul comme de Sérapis seul, nous avons montré (voir Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu ) que la formule Etoile-Croissant est largement majoritaire. Faute de datation et d’indication de provenance, il est impossible de prétendre que les cas d’inversion sont syriens.
Un contre-exemple frappant est ce bas-relief d’époque impériale où Zeus au centre, assimilé à son correspondant local Hadad ou Baalshamin, est encadré par Hélios et Séléné personnifiés, sans inversion.
Dans cet autel, c’est Mercure (probablement héliopolitain) qui, sur la face avant, est encadré par le couple d’Hélios (avec son fouet) et de Séléné.
L’origine palmyréenne ?
Les deux triades palmyréennes
Ce schéma résume l’article d’Henri Seyrig [24] qui distingue deux triades :
- la triade autour du Dieu d’origine palmyréenne Bêl (apparue en 32 après JC), où l’entité solaire a la place d’honneur ;
- la triade autour du Dieu phénicien d’importation Baalshamin (apparue vers le milieu du 1er siècle), où l’entité lunaire la remplace.
On voit dans les deux bas-reliefs du bas, où les membres des deux triades se cumulent, que la disposition répond à des préoccupations qui nous échappent, mais qui excèdent largement la simple problématique lunaire / solaire, ou l’inverse.
Voici les conclusions de Seyrig sur l’origine de ces deux triades :
- « 1. La création des deux triades a constitué une opération théologique délibérée, qui remonte apparemment aux environs de l’ère chrétienne.
- 2. Le principe des deux triades est de nature astrologique, et fait présumer que le modèle de l’opération a été pris dans l’hellénisme oriental contemporain.
- 3. La création des deux triades exigeait un dieu du Soleil et un dieu de la Lune. Le dieu de la Lune fut emprunté des deux côtés au temple où il était traditionnellement adoré. Dans la triade de Bel, on prit le dieu du Soleil, Iarhibôl, dans son vieux sanctuaire de la source Efca. Dans la triade de Baalshamîn, on emprunta le jeune Malakbêl dans le temple où il était adoré avec Aglibôl, et où, peut-être, il avait déjà été solarise par un syncrétisme qui assimilait volontiers au Soleil les dieux du renouveau. »
Il est en tout cas impossible d’affirmer que les triades palmyréennes, complexes et contradictoires, expliquent l’inversion lune-soleil, dont les cas sont bien plus anciens et bien plus largement diffusés.
L’origine héliopolitaine ?
On adorait à Baalbek (Héliopolis) une triade composée de Jupiter Héliopolitain, Mercure Héliopolitain (avec des attributs solaires) et Vénus héliopolitaine. Il en existe très peu de de représentations figurées, mis à part ces disques de bronze trouvés dans la plaine de la Bekka [25] :
Moyennant rotation, le couple Mercure/Vénus ne présente pas d’inversion.
L’origine babylonienne ?
Kudurrus de Melishipak II, 1186–72 avant JC, Louvre
Ces deux bornes de propriété portent en haut la triade babylonienne : Sîn (lune) Shamash (soleil) et Ishtar (Vénus, l’étoile du berger), présentées dans un ordre différent : cependant la Lune est toujours à gauche du Soleil. Selon certains, l’inversion Lune-Soleil aurait donc une origine babylonienne.
Cumont propose que dans certains cas, le croissant et l’étoile de part et d’autre d’une divinité solaire (Sérapis ou Harpocrate) soient une résurgence lointaine de la triade babylonienne, l’étoile représentant alors Vénus (l’Etoile du berger).
Comme nous l’avons monté dans le cas du monnayage d’Alexandrie, il est probable que le couple croissant/étoile était simplement une représentation en abrégé du firmament, ne faisant pas nécessairement référence à la Lune et à Vénus. La configuration étoile-croissant utilisée plus volontiers pour les dieux cosmique en majesté, évoquait plus spécifiquement le Soleil et la Lune.
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Références :
Chapitre III. Artémis, aphrodite et les déesses asiatiques https://books.openedition.org/pulg/1393?lang=fr#ftn130 [21] André Grabar « Un Médaillon en or provenant de Mersine en Cilicie » Dumbarton Oaks Papers Vol. 6 (1951), pp. 25+27-49 https://www.jstor.org/stable/1291082 [22] M. BEN-DOV, « A Lintel from the Bashan Depicting Three Deities » Israel Exploration Journal Vol. 24, No. 3/4 (1974), pp. 185-186 [23] René Dussaud « Temples et cultes de la triade héliopolitaine à Ba’albeck » Syria. Archéologie, Art et histoire Année 1942 23-1-2 pp. 33-77 https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1942_num_23_1_4376 [24] Henri Seyrig « Antiquités syriennes » Syria. Archéologie, Art et histoire Année 1971 48-1-2 pp. 85-120 https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1971_num_48_1_6298 [25] Henri Seyrig « Antiquités syriennes » Syria. Archéologie, Art et histoire Année 1971 48-3-4 pp. 337-373 https://www.persee.fr/doc/syria_0039-7946_1971_num_48_3_6255