Cet article examine les différentes divinités masculines autour desquelles on peut trouver le couple étoile-croissant : Hélios, Sérapis, Harpocrate, un aigle, et plus rarement Zeus.
Article précédent : Lune-soleil : symboles 1) introduction
Etoile et croissant autour d’Hélios
L’étoile à côté du char d’Hélios
Un cas certain où l’étoile ne représente pas le soleil est celui du char d’Hélios, près duquel on la rencontre très exceptionnellement
Le char d’Hélios vogue au dessus des vagues, entre deux étoiles et sous un croissant évoquant le firmament. Le X de gauche est la valeur monétaire du denarius (dizaine)
Dans ce célèbre médaillon, Constantin arbore sur son bouclier le char d’Hélios, encadré en bas par les personnifications de Terra et Oceanus, en haut par une étoile et un croissant. Il ne s’agit pas du couple Soleil/Lune, comme on le lit parfois , qui serait redondant avec la tête radiée d’Hélios, mais d’une évocation du firmament.
Dans ce char d’Hélios, l’étoile de gauche n’est pas le Soleil faisant pendant à la Lune, mais une étoile parmi les autres.
Le mont Argeus (Cesarea de Cappadoce)
Caesarea Mazaca, roi Archelaus de Cappadoce, 8-7 av JC (RPC I, 3614)
Le Volcan Argaeus domine la ville de Caesarea de Cappadoce. Le lien avec Hérakles est probablement dû au fait qu’un des centaures tué avec sa massue s’appelait Argeus [12]
Sous la domination romaine, le même atelier crée différentes variantes : sous Tibère, l’aigle en haut du mont est remplacé par Hélios tenant un sceptre et un globe.
Mont Argaeus, Hadrien, Caesarea Mazaca
Sous Hadrien nos deux symboles apparaissent en haut du mont, tantôt l’étoile remplaçant Hélios, tantôt la Lune.
Mont Argaeus, Hadrien, Caesarea Mazaca
On trouve aussi en contrebas d’Hélios l’étoile à gauche , ou le couple étoile-croissant.
Mont Argaeus, Hadrien, Caesarea Mazaca
Dans cette floraison de variantes apparaissent aussi le motif de la couronne en haut du mont, ou des trois étoiles.
Ces variantes expérimentées sous Hadrien sont sans rapport avec la valeur monétaire de la pièce (hémidrachme, drachme ou didrachme). Dans les règnes suivants ne seront jamais repris le croissant en haut du mont ni les trois étoiles.
Mont Argaeus, Commode, Caesarea Mazaca
Sous Commode apparaît un nouveau type de variante : le mont est représenté sur un autel ou sous un temple, avec une étoile à gauche, une étoile au fronton, ou le motif de l’étoile dans le croissant, sous le mont. Ces variantes n’auront pas de postérité.
Mont Argaeus, Caesarea Mazaca
Héliogabale, puis Gordien III , sont les seuls à reprendre le couple étoile /croissant.
La formule inversée apparaît tardivement, sous Alexandre-Sévère. Elle n’est reprise que par Gordien III.
Gordien III Mont Argaeus, Caesarea Mazaca
Enfin sous Gordien III apparaissent des globules liés à la valeur monétaire : drachme (globule à droite ou à gauche) ou didrachme (deux globules).
Synthèse sur le Mont Argaeus
On peut tirer de cette large série plusieurs conclusions :
- les deux symboles apparaissent dans les règnes où les émissions sont les plus nombreuses, selon des combinaisons qui résultent d’une nécessité de différenciation, plutôt que d’une réflexion symbolique ;
- ils n’ont pas de lien avec la valeur faciale de la pièce ;
- les combinaisons inventées sous Hadrien, qui ne peuvent pas s’interpréter en terme Soleil/Lune, ont été éliminées par la suite (les trois étoiles, l’étoile seule ou le couple étoile/croissant en contrebas d’Hélios) ;
- seul deux règnes utilisent la configuration croissant/étoile, de manière minoritaire (en nombre d’émissions) par rapport à la variante dominante étoile/croissant.
La massue d’Hercule (Cesarea de Cappadoce)
Archelaus / Massue
Archelaus, 17-16 av JC =, Caesarea Mazaca (RPC I, 3601)
Le second motif caractéristique de Caesarea de Cappadoce est celui de la massue d’Hercule, lui aussi introduit sous le roi Archelaus.
On observe, en simplifié, la même évolution que pour la série du Mont Argaeus.
Hadrien, Caesarea Mazaca
Sous Hadrien, introduction de l’étoile en contrebas, puis du couple étoile / croissant.
Sous Commode, inversion du couple (cette fois de manière pratiquement exclusive).
Le fait que le mont Argaeus et la massue aient suivi la même évolution montre que l’étoile et le croissant étaient perçus comme des signes essentiellement graphiques destinés à différentier les émissions, non comme des symboles à interpréter en rapport avec le sujet principal.
Hélios christianisé
Dans cette amulette, Hélios aux sept rayons, tenant le globe cosmique (voir 1 Epoque romaine) est assimilé à l’archange Michaël (nommé au revers). Il est entouré par la lune et deux étoiles du firmament. L’inscription du pourtour nomme trois autres archanges : Uriel, Souriel et Gabriel, souvent invoqués dans les formules magiques qu’on a retrouvées dans différents papyrus.
Etoile et croissant autour de Sérapis
Dans le catalogue des gemmes de Richard Veymiers [7], ces deux signes cosmiques apparaissent en couple uniquement autour de Sérapis seul :
- une seule fois autour de sa figure en pied (cat IIID3), dans le sens Croissant-Etoile, Sérapis regardant vers la droite ;
- 28 fois autour autour de son buste, dont l’immense majorité (25) regarde vers la gauche.
Dans le cas de Sérapis en buste, la formule largement dominante est Etoile-Croissant (21 sur 28).
Le cas dominant tendrait à faire interpréter le couple Etoile/Croissant comme symbolisant le couple Sol/Luna tel qu’il apparaît au fronton des temples (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain), Sérapis avec son aigle étant ici assimilé à Jupiter.
Il n’existe que deux exemplaires de la configuration ultra-minoritaire, où se cumulent le profil vers la droite et le configuration Croissant / Etoile. Cumont interprète celle-ci comme représentant la Lune et une étoile ; cependant, Sérapis non radié peut difficilement être assimilé au Soleil.
On notera que cette configuration inversée, ultra-minoritaire dans les gemmes, est celle de la seule monnaie où Sérapis de profil est combiné avec les deux symboles cosmiques, sous Marc-Aurèle. L’autre monnaie combinant les mêmes symboles remonte au règne précédent, et montrait Sérapis de face, entre l’Etoile et le Croissant.
Cependant cette lampe de la même époque, également avec Sérapis de face, est dans la configuration inversée : Croissant / Etoile.
Par ailleurs, dans les gemmes, les symboles cosmiques autour de Sérapis ne se limitent pas à cette seule paire : on trouve aussi le croissant seul (I.BB13), l’étoile seule (I.BB1), deux étoiles (I.BB6), sept étoiles (I.FB2) ou bien l’étoile et le croissant flanquant verticalement le buste (I.FC4).
On en conclura sagement que, lorsqu’ils sont associés au seul Sérapis , l’étoile et le croissant séparés signifient simplement « dans le ciel ».
Etoile et croissant autour d’Harpocrate
Harpocate est figuré entre l’étoile et le croissant sur de nombreuses amulettes gréco-égyptiennes à but protecteur.
Photo et numérotation : Bonner Campbell Online [8]
Dans la formule minimale, Harpocrate, son fléau sur l’épaule, est assis sur une fleur de lotus posée au centre d’une barque en papyrus. Divers animaux sacrés peuvent l’accompagner : faucons, chèvres, scarabées, crocodiles, serpents. Au dessus de sa tête, la configuration de loin la plus fréquente est Etoile / Croissant, mais on trouve quelques inversions.
Dans l’amulette de gauche, la barque est remplacée par un lion. Il arrive qu’Harpocrate le chevauche directement, comme il chevauche l’oie dans l’amulette de droite.
Dans cette barque divine plus complexe, Harpocrate est assis entre Osiris (représenté comme une momie) et Anubis, tandis qu’Hélios et Séléné sont personnifiés à la proue et à la poupe : le couple habituel étoile-croissant a été remplacé par deux étoiles, ce qui semble indiquer qu’il représentait bien le couple Soleil-Lune.
A contrario, dans cette amulette qui comporte aussi, en bas, les personnifications de Séléné et d’Hélios, le graveur a conservé en haut le couple croissant-étoile : il ne peut pas s’agir des attributs des deux dieux, puisque Séléné est déjà coiffée de son croissant : cette redondance milite donc dans l’autre sens, à savoir que le couple croissant-étoile est une représentation générique du firmament.
C’est ce que semble montrer cette barque divine encore plus complexe : Harpocrate, qui est aussi le jeune Horus, le soleil levant, porte la couronne à sept rayons d’Hélios. Il est encadré par deux déesses d’apparence symétrique, mais différenciées par leurs attributs : celle de gauche porte ceux d’Osiris (couronne atef et ankh tenu dans la main) ; celle de droite porte le triple ateph et un hiéroglyphe non déterminé. Quelle que soit leur identité, la symétrie de l’image invite à associer à chacune un couple étoile-croissant. Puisque Harpocrate joue ici le rôle du Soleil, elles pourraient représenter :
- par les deux croissants inversés, la fin et le début du mois lunaire ;
- par les deux étoiles du soir et du matin, la fin et le début du jour.
L’inscription, ponctuée par cinq autres étoiles, liste sept dieux de toute obédience :
Iaô, Sabaô[th] (*) Adônai (*) Abrasax (*) Baïnchôôch (*) Michael (*) Abriel
Une inscription au verso précise leur rôle :
« Aidez le porteur contre ses ennemis, et sauvez-le de tout mal ».
Cette amulette montre que, lorsque la place manque, le couple étoile-croissant se transforme volontiers en étoile dans le croissant, ce qui relativise largement la signification accordée à ces symboles.
On les trouve également au dessus de Bes, d’Anubis ou de diverses divinités à tête animale.
Le couple étoile-croissant ne constitue donc pas un attribut spécifique à Harpocrate, faisant allusion à ses parents Sérapis/Soleil et Isis/Lune : mais plutôt un élément courant du vocabulaire des gemmes magiques, représentant le firmament et signifiant le pouvoir céleste de la divinité invoquée.
Etoile et croissant avec l’aigle
L’aigle des tétradrachmes syro-phéniciens
Les tétradrachmes syro-phéniciens de l’époque impériale présentent au revers un aigle, parfois posé sur un objet allongé (foudre, torche allumée avec serpent, massue…) et comportant entre ses pattes un élément caractéristique de la cité, et qui peut varier suivant l’époque [15] .
Par exemple, pour la plus grande ville de la région, Antioche, on trouvera sous l’aigle, à un siècle d’intervalle, l’un ou l’autre symbole, au dessus tantôt d’une couronne de laurier, tantôt de la massue. Noter qu’en général, l’aigle tient dans son bec une couronne de laurier.
Le système de Caracalla/Macrin (211-218)
Les émissions régionales mises au point sous Caracalla, et reprises sous Macrin, sont d’une grande précision.
Les étoiles (en jaune) touchent plutôt la région d’Antioche, avec trois exceptions :
- Tripolis (associées aux bonnets des Dioscures, les dieux de la Cité) [16];
- Héliopolos (à cause du nom de la cité, et associée à un lion) ;
- Gaza
Un cas particulier (en orange) est le dieu solaire Shamash, honoré à Emèse.
Les croissants (en bleu) sont très rares : Aradis et Gabala (associé à un crabe).
Les combinaisons étoile-croissant (en vert) ne concernent que deux villes : Antioche et Carrhae.
Le cas de Carrhae
Selon Michel PRIEUR [15], deux divinités étaient honorées à Carrhae.
Malakbel, dont le symbole était un taureau et qui gouvernait les étoiles du soir et du matin (d’où les deux globules de part et d’autre) ;
Lunus, dieu mantique de la Lune mâle : Caracalla fut assassiné alors qu’il allait l’interroger, et on dit que c’est la crainte de Macrin de voir ses complots dévoilés par le dieu qui précipitèrent le meurtre.
Les deux types de revers se différencient à l’avers par la couronne de Caracalla, lauriers ou rayons, ce qui n’est visiblement pas une fantaisie du graveur (le même pour les deux séries).
En synthèse sur les tétradrachmes syro-phéniciens
L’analyse des tétradrachmes de Caracalla montre que les symboles étoile et croissant n’ont généralement pas de valeur cosmique, mais sont essentiellement des marques de différenciation.
La massue d’Hercule sous les pattes de l’aigle est ici associée à l’étoile, mais ce n’est pas toujours le cas (à Tyr, elle est associée à l’emblème de la ville, le murex). Ici la discrimination entre les deux villes s’effectue par un troisième détail, le signe de Marnas (le dieu de Gaza) en haut à droite.
A contrario, dans ces deux cas, la symbolique cosmique est claire et correspond aux pièces astrologiques frappées sous Antonin le Pieux : chaque luminaire est représenté dans le signe zodiacal qui constitue sa maison (Lion pour la Soleil, Cancer pour la Lune).
Etoile et croissant autour d’autres dieux
Jupiter
Le quadrige de Jupiter s’élance au dessus de Typhon anguipède, en direction du Soleil et de la Lune, toujours dans le même sens. Les deux étoiles de part et d’autre complètent le firmament.
Zeus Ammon, qui se caractérise par des cornes de bélier, est toujours figuré à l’avers : cette monnaie est le seul cas où il est figuré au revers. Comme il porte sur sa tête le disque du soleil, le couple croissant-étoile représente ici le firmament.
La monnaie avec Sérapis, qui sera frappée l’année suivante, imite clairement la composition avec Zeus-Ammon.
On hésite alors entre deux interprétations de l’inversion croissant-étoile :
- soit elle est une simple marque de différentiation, signalant le passage du règne d’Antonin le Pieux à celui de Marc-Aurèle ;
- soit elle a une intention symbolique :
- lorsque le dieu est vu de face, en majesté, l’étoile et le croissant représentent le Soleil et la Lune, les luminaires se rangeant derrière lui dans l’ordre hiérarchique ;
- lorsque le dieu est vu de profil, le croissant et l’étoile représentent le firmament.
Marc-Aurèle, Alexandrie
Heureusement, ces trois monnaies légèrement postérieures, toujours sous Marc-Aurèle, nous permettent de trancher en faveur de la seconde interprétation : autour d’un dieu en majesté, l’étoile et le croissant, non-inversés, représentent le Soleil et la Lune.
Cette conclusion laborieuse, dans le cas bien balisé du monnayage d’Alexandrie, illustre bien la difficulté de l’interprétation dans le cas général.
Le Très-Haut
Cette amulette est intéressante par Celui qu’elle ne représente pas, mais qu’invoque l’inscription (qui se poursuit au revers) :
« Le seul dieu dans les cieux, celui qui préexiste, plus grand que tout autre, celui qui règne sur tous les êtres du milieu du Ciel, visibles et invisibles. »
Séléné, Hélios et les deux étoiles sont ces êtres du milieu du Ciel : le croissant de Séléné, les sept rayons d’Hélios et les six et huit branches des deux étoiles illustrent leur visibilité.
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Michel PRIEUR, Karin PRIEUR, A Type Corpus of the Syro-Phoenician Tetradrachms and their Fractions front 57 BC to AD 253 [16] Les monnaies attribuées à Orthosia et Tripolis sont parfois réattribuées à Ptolémais. Voir la discussion dans Michel Amandry « Sur certains tétradrachmes provinciaux de Syrie » ,Syria, III, 2016 https://www.academia.edu/79946571/Sur_certains_t%C3%A9tradrachmes_provinciaux_de_Syrie?email_work_card=view-paper