Dans l’Antiquité, les symboles de l’étoile et du croissant apparaissent fréquemment en couple, et souvent dans l’ordre croissant-étoile. Mais pour parler d‘inversion, encore faut-il pouvoir les interpréter comme la lune et le soleil.
Commençons par nous débarrasser de deux cas :
- l’étoile est placée à l’intérieur du croissant ;
- les inversions qui n’en sont pas.
Article précédent : Lune-soleil : couples affrontés
L’étoile dans le croissant
Ce motif ne présente pas d’inversion, puisque les deux symboles sont presque toujours présentés verticalement, l’étoile au dessus du croissant. Il constitue néanmoins une mise en jambe indispensable pour préciser leur lien avec le soleil et la lune.
A Uranopolis (Macédoine)
Hemiobole d’Uranopolis, vers 300 avant JC (SNG Cop 458)
La ville était dédiée à Aphrodite/Urania, qui apparaît ici assise sur le globe cosmique (voir 1 Epoque romaine). Dans ce contexte, on pourrait penser que le motif du revers représente le soleil au dessus de la lune.
Soleil, Didrachme (BMC 1) Etoile, Drachme (BMC 2-4)
En fait, dans le système monétaire d’Uranopolis, le Soleil figurait au revers du didrachme, et l’étoile à huit branches au revers de la drachme. Notre motif figurait au revers d’une monnaie de très faible valeur (une demi-obole, l’obole étant un sixième de la drachme) : il évoque donc probablement une étoile au dessus de la lune.
A Tarente (Calabre)
Tarentum, Hemiobole, 325-280 av JC (Vlasto-1780)
On retrouve à la même époque le même motif, dupliqué et affronté, dans cette cité grecque de Calabre, là-encore sur une demi-obole.
A Populonia (Etrurie)
Plusieurs monnaies de cette ville étrusque, très difficiles à dater, comportent au revers des motifs de croissant et d’étoiles.
(N°144) (N° 158) (N° 186)
Populonia, 4ème siècle av JC ?, photos et numérotation [1]
Les trois revers portent à l’exergue le nom de la cité.
Les deux pièces en argent, de même valeur, présentent néanmoins des motifs différents :
- deux étoiles à quatre branches et une étoile à six branches dans le croissant,
- une étoile à quatre branches dans le croissant.
La valeur (20 unités) est indiqué par un XX sur l’avers (il apparaît sur d’autres spéciments du N° 158).
Pour les monnaies de bronze en revanche, la valeur est indiquée par le nombre de globules (pellets) à l’avers et au revers : ici, deux globules signifient deux douzièmes d’as, soit un sextans. Les deux étoiles (à six branches) sont probablement un rappel de cette valeur, mais elles ont aussi un rôle graphique : entourant le croissant, elles évoquent la nuit, dont la chouette est l’oiseau.
A Venusia (Basilicate)
Venusia, 210-200 av JC, photos et numérotation [1]
Les monnaies de Venusia sont en bronze, et respectent donc le standard pour les valeurs jusqu’à l’as : trois globules pour le teruncius (trois onces, soit trois douzièmes d’as). Le revers, où le motif de l’étoile dans le croissant est répété trois fois, présente le même système de redondance numérique/graphique qu’à Populonia.
La monnaie avec Sol correspond, d’après le poids, à une once et demi, ce que doit indiquer le globule au revers (une once) suivi des lettre SV. Mais les sescuncia étant très rares et non standardisés, on n’en sait pas plus.
A Rome, sous la République
Once, Rome, 217-215 av JC (RRC 39/4)
Notre motif apparaît à Rome à peu près à la même époque (mais avec deux étoiles à huit branches), là encore avec Sol à l’avers. On voit bien au centre du revers le globule qui signifie l’once. Le croissant et les deux étoiles n’ont donc pas de signification monétaire : tout comme pour la chouette de Populonia, ils évoquent la Nuit, au revers du Jour qu’évoque la face solaire.
Denier émis par Mn. Aquillius, 109-08 av JC, (RRC 303/1)
Il faut attendre un bon siècle pour voir Sol réapparaître, cette fois de profil, à l’avers d’une monnaie romaine [2]. La Nuit, qui était auparavant évoquée sous forme symbolique, donne lieu ici à une véritable personnification : Luna sur son biga (char à deux chevaux), sa tête suivant le croissant, galope dans le fimament au milieu de quatre étoiles. Il est possible qu’elles aient une signification monétaire (un denier valant quatre sesterces).
Denier émis par Lucius Lucretius Trio, 76 avant JC (RRC 390/1)
Le motif synthétique réapparait trente ans plus tard, cette fois avec sept étoiles. Certains y voient les Pléiades [3] ou les sept planètes. L’hypothèse la plus séduisante est celle de Yannis Stoyas [4] : il s’agirait de la Grande Ourse (Septem Triones), choisie par allusion au nom de l’émetteur (Trio) tandis que le Soleil serait quant à lui une allusion à son prénom Lucius (de Lux, la lumière).
En 42 avant JC, l’idée sera reprise dans P.Clodius, pour un aureus (RRC 494/20a-b) et un denier (RRC 494/21) mais avec cinq étoiles seulement [2], tandis que sous l’Empire, Trajan fera refrapper à l’identique le denier avec le nom de Trio (RIC II Trajan 785) : preuve indirecte que les contemporains comprenaient bien le lien entre ce nom et les sept étoiles.
A Byzance
Monnaie de Byzance (BYZANTIO), 1er siècle avant JC
L’emblème sera repris par la ville de Byzance, en souvenir d’un prodige survenu en 340 avant JC, lors du siège de la ville par Philippe de Macédoine :
« Mais voilà que dans la nuit noire où brillent les étoiles et un quart de la lune, un rayon lumineux traverse le ciel et révèle les positions macédoniennes. » [5]
Dans le royaume du Pont
Statère de Mithridate VI Eupator, émis à Amisos ou Sinope 93-92 av JC
Le motif de l’étoile dans le croissant était l’emblème de la dynastie des rois du Pont (Nord de la Turquie actuelle) dont le plus connu, Mithridate VI, a été un ennemi irréductible de le République romaine.
Le roi Tatius / La mort de Tarpeia
Denier émis par L. Titurius Sabinus, 89 av JC Rois (RRC 344/2a)
Le revers représente Tarpeia, une romaine mythique qui, ayant livré sa cité aux Sabins par appât du gain, finit écrasée par des boucliers. Ce revers a donné lieu à de nombreuses interprétations, que discute dans le détail un article récent de Jaclyn Neel [6]. Il est possible que l’image ait été conçue pour permettre différents niveaux d’interprétation, car les monnaies de la République circulaient dans un très large public.
Si on considère que l’emblème de la dynastie du Pont était largement connu, il est possible que la pièce ait été émise justement pour financer la guerre contre Mithridate, en tissant une analogie entre la punition de la traîtresse et le châtiment promis au roi révolté.
A Rome, sous l’Empire
Denier d’argent, Auguste, 19 av JC, émis par P. Petronius Turpilianus, Rome (RIC 300)
Les empereurs reprendront très souvent le motif au revers de leur visage, soit avec une seule étoile (dès Auguste) soit avec sept étoiles. Très marginalement, on trouvera d’autres nombres d’étoiles : trois pour Geta (Anchialos), quatre pour Diadumène (Assarion de Markianopolis), cinq pour Geta (Nikopolis ad Istrum).
Juba II, vers 11 av JC, émis à Caesarea in Mauritania (SNG Cop 8-567)
Le roi berbère Juba II, qui avait été élevé à Rome par Octavie, la soeur d’Auguste, remploie le même modèle quelques années plus tard : le revers porte le nom de son épouse, l’impératrice Cléopâtre VIII (la fille de Cléopâtre VII et de Marc-Antoine), nommée aussi Cléopâtre-Séléné. Ainsi le vieux motif de l’étoile dans le croissant vient symboliser, avec à-propos, l’union de Juba II avec Cléopâtre-Séléné.
Associé à Aphrodite
Temple d’Aphrodite à Paphos, Vespasien 75-76, Koinon of Cyprus (RPC II, 1821)
Le temple d’Aphrodite à Paphos a été représenté maintes fois dans l’Antiquité, avec comme caractéristiques immuables son parvis demi-circulaire et son bétyle de forme conique. Ici, on a rajouté deux étoiles de part et d’autre du bétyle, et une guirlande entre les deux montants, dont la forme fait écho à celle du parvis.
Temple d’Aphrodite à Paphos, Hadrien, Sardes Lydie (RPC III, 2400)
Dans cette représentation , la guirlande s’est transformée en lune et l’étoile s’est installée au milieu : le motif sera repris de temps en temps par la suite (ex Julia Domna, BMC 57) mais pas systématiquement : preuve qu’il s’agissait d’une trouvaille purement graphique, pas d’une caractéristique attachée au temple de Paphos ni à Aphrodite.
Marc-Aurèle, 161-180, Seleucia ad Calycadnum, Cilicie (RPC IV.3, 9911)
Il existe de nombreuses pièces montrant Aphrodite avec un miroir : mais celle-ci est la seule où elle regarde, dans son dos, le symbole de l’étoile dans le croissant. Existait-il, à Seleucia ad Calycadnum, une particularité du culte à Aphrodite ?
Antonin le Pieux, Marc-Aurèle césar, 147-61, Seleucia ad Calycadnum Cilicie (RPC IV.3, 3968)
Quelques années auparavant, quand Marc-Aurèle n’était encore que César, la même ville avait fait frapper une pièce à son effigie, où le symbole était cette fois associé à un taureau : autre iconographie sans précédent. On peut imaginer qu’il s’agit d’un des taureaux ou boeufs qui tirent le biga de Séléné, mais l’association est fragile.
Aphrodite dans le Taureau, Antonin le Pieux, 144-45, Alexandrie (RPC IV.4, 13541)
Il se trouve que peu de temps avant, Antonin avait fait frapper à Alexandrie une célèbre série des douze signes du Zodiaque, associé chacun à la planète qui y avait sa maison : Vénus dans le cas du Taureau. Il est possible que Seleucia ait voulu imiter ce modèle en remplaçant Vénus par la Lune : puisque, dans l’astrologie de l’époque, c’est dans le Taureau que la Lune est en exaltation.
L’apparition étrange du symbole serait ainsi due à une chaîne d’influences propres à Seleucia :
- Vénus et étoile plus taureau (Antonin),
- croissant et étoile plus taureau (Marc-Aurèle César),
- croissant et étoile plus Vénus (Marc-Aurèle Auguste).
Associé à Sérapis et Isis
Sérapis et Isis
Lampe du 2ème siècle ap JC, musée de Marathon, Brexiza
Placé à équidistance des deux divinités, le motif de l’étoile dans le croissant n’est pas à rattacher à l’une ou à l’autre, mais au couple : comme Sérapis n’est pas radié, l’étoile ici symbolise probablement le soleil, et l’imbrication des deux l’accouplement d’Isis-Lune avec Sérapis-Soleil.
« D’après Plutarque, De Iside, 43, l’union féconde d’Osiris-Soleil et d’Isis-Lune était célébrée au début du printemps, le jour de la nouvelle lune de Phamenoth, par la fête qu’on appelle « Entrée d’Osiris dans la lune ». » [7], p 107, note 81
Palazzo Massimo alle Terme, V.AAB19 [7] CBd-4165, Museo Archeologico Nazionale, Firenze, Bonner Campbell Online [8]
Isis et Sérapis, Intailles époque impériale
Le motif de l’étoile dans le croissant n’est pas corrélé avec la configuration impériale (le mari à gauche, voir Lune-soleil : couples affrontés ), puisqu’on le retrouve dans ces intailles en configuration maritale (l’épouse à gauche).
Dans l’intaille de gauche, on notera que le signe du bas pourrait ici représenter une véritable étoile, complétant le Soleil et la Lune.
Ces deux bagues, en configuration maritale pour l’une et impériale pour l’autre, mettent maintenant en balance le symbole du haut avec un cistre, symbole purement isiaque.
On voit que, dans le ca du couple Isis-Sérapis, il n’existait probablement pas d’interprétation commune de ces symboles, mais qu’ils étaient combinés selon des habitudes locales, voire le goût du commanditaire.
Fig 13 [9]
Lorsque le croissant se termine par deux boules, il ne serait pas un symbole lunaire. Selon Du Mesnil du Buisson [9], le motif du croissant à boules serait né en Syrie avant de passer à Rome.
Lampe romaine, fig 9 [10] Bronze d’Herculanum, fig 13 [10]
Les deux boules terminales sont parfois remplacées par deux étoiles ou deux bustes : ainsi le demi-cercle inférieur représenterait le parcours du Soleil entre l’étoile du Matin et celle du Soir.
En synthèse : l’étoile dans le croissant
Ce rapide parcours montre combien ce motif est polysémique : simple symbole monétaire à l’origine (Uranopolis, Tarente, Populonia, Venusia), il évoque ensuite la Nuit dans les deniers émis à Rome, alors qu’il prend en Orient une valeur dynastique (Macédoine) ou héraldique (Byzance). C’est très rarement et tardivement, dans le cas du couple Sérapis / Isis, qu’il en vient à évoquer le couple Soleil-Lune.
Fausses inversions
Denier de la gens Postumia, 96 avant J.-C, RRC 335 10b
A l’avers, le buste d’Apollon lauré est accompagné d’une étoile (signe de divinité) et d’un X (valeur monétaire du denier). Au revers, les deux dioscures Castor et Pollux font boire leurs chevaux dans la fontaine de Juturne, tôt le matin après la bataille du lac Régille [11] .
Au dessus d’eux le croissant et l’étoile semblent présenter une inversion, mais en fait une seconde étoile figure à l’aplomb du cavalier à pied : les étoiles sont les attributs des Dioscures (souvent assimilés à Phosphoros, l’étoile du matin, et Hespéros, l’étoile du soir) :
Luna et les dioscures, intaille romaine impériale, BNF
Cette monnaie s’inscrit donc dans la tradition des deniers montrant la Nuit au revers du Jour : ici la Lune et les étoiles font pendant au soleil d’Apollon, à l’avers.
Cube de Kingscote, 3ème siècle, Corinium Museum Cirencester
La deuxième face de ce dé montre Roma assise sur un bouclier, entre la Lune et le Soleil. L’inscription SOL INVICTUS de la première face, elle-aussi inversée, monte que le dé était utilisé comme matrice de sceaux.
Références : [1] Historia numorum–Italy 2001 https://archive.org/details/historianumorumi0000unse/page/231/mode/1up [2] Frank Ryan, « Der Sonnengott auf den Münzen der Römischen Republik » Schweizerische numismatische Rundschau » 84 (2005) https://www.e-periodica.ch/cntmng?pid=snr-003%3A2005%3A84%3A%3A248 [3] Mike Markowitz, https://coinweek.com/ancient-coins/star-crescent-ancient-coins/Article suivant : Lune-soleil : symboles 2) autour d’un dieu
[4] Yannis Stoyas « Reflets de la terre et du cosmos sur les monnaies antiques et médiévales » https://www.academia.edu/2286084/Reflets_de_la_terre_et_du_cosmos_sur_les_monnaies_antiques_et_m%C3%A9di%C3%A9vales [5] http://lesitedelhistoire.blogspot.com/2011/08/le-siege-de-byzance-par-philippe-de.html [6] Jaclyn Neel « Titurius Sabinus, Mithridates, Sulla, and Vergil: Tarpeia in the Context of 88 BCE » Memoirs of the American Academy in Rome Vol. 65 (2020), pp. 1-42 https://www.jstor.org/stable/27031293 [7] Richard Veymiers « Hileôs tôi phorounti. Sérapis sur les gemmes et les bijoux antiques » https://www.academia.edu/639567/Hile%C3%B4s_t%C3%B4i_phorounti._S%C3%A9rapis_sur_les_gemmes_et_les_bijoux_antiques [8] « The Campbell Bonner Magical Gems Database » http://cbd.mfab.hu/ [9] Du Mesnil du Buisson, « Un symbole du Ciel inférieur », Bulletin de la Société nationale des antiquaires de France 1941 p 237 et ss https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6314840q/f241.item [10] P. S. Ronzevalle, S. J « Notes et études d’archéologie orientale (deuxième série, IV). Le prétendu «char d’Astarté » (2e partie) » Mélanges de l’Université Saint-Joseph Année 1934 18 pp. 107-148 https://www.persee.fr/doc/mefao_0253-164x_1934_num_18_1_1025 [11] http://www.roma-quadrata.com/juture.html