Cet article est dédié à une formule rare, peut-être parce que protocolairement sensible : celle où deux autorités sont côte à côte, soit de face, soit de profil et affrontées.
Se pose alors la question de celui ou celle qui occupe la place d’honneur, à gauche. Nous examinerons successivement le cas des couples impériaux, du couple Hélios / Séléné et enfin du couple Sérapis / Isis.
Remarques terminologiques :
- dans tout l’article, « gauche » et « droite » ont leur signification habituelle du point de vue du spectateur, non leur signification numismatique ( la direction vers où regarde la figure).
- « Formule maritale » désigne la configuration courtoise, où la femme est à la place d’honneur ;
- « Formule impériale » désigne la configuration inverse, où l’homme proclame sa position de pouvoir.
Article précédent : Lune-soleil : dans l’art gréco-romain
La manière de loin la plus répandue de représenter un couple régnant est de superposer les profils : l’épouse vient s’ajouter à l’arrière-plan, sans perturber la composition habituelle des pièces.
Sérapis et Isis accolés
Les plus anciens exemples de cette formule concernent un couple mari et femme, celui de Sérapis et Isis. Sérapis est un Dieu syncrétique (son nom mélange Osiris et Apis) dont le culte est devenu officiel à l’époque ptolémaïque. La seconde pièce témoigne de la diffusion hors d’Egypte de ce motif, inventé à Alexandrie.
Hadrien, Drachme, 117-138, Alexandrie, collection particulière
Toujours à Alexandrie, la formule est appliquée à un couple frère et soeur, Hélios et Séléné, à partir du règne d’Hadrien.
La formule est reprise en Occident : âgé de 14 ans, le jeune Caracalla fait face au couple impérial régnant, ses parents divinisés sous la forme de Sol et de Luna.
La série des « conservatores » de Postumus
Postumus et Hercule, Sol et Luna
Aureus « Claritas Aug », 267, Trèves, ([1] N°370 et 379), RIC 260
Vers décembre 267, le monnayage de Trèves produit, pour une émission de fête, une extraordinaire série de bustes jumelés. A l’avers, Postumus, qualifié de « PIUS FELIX », se pare de la massue et de la peau de lion d’Hercule, et se superpose au profil du héros. Au revers, le couple Sol/Luna reprend clairement le modèle de Septime Sévère et Julia Domna.
Six autres revers montrent différent couples, qui semblent tirés du panthéon personnel de Postumus ([1], p 136) :
- Postumus en Hercule / Hercule, « Comiti Aug », ([1] N°371, RIC 261)
- Apollon / Diane, « Conservatores Aug », ([1] N°372, RIC 263)
- Postumus casqué (en Mars) / Victoire, « Conservatores Aug », ([1] N°373; RIC 262)
- Postumus lauré / Jupiter, « Conservatori Aug », ([1] N°374; RIC 264)
- Victoria (tenant une couronne) / Felicitas (tenant une branche d’olivier), « Felicitas Aug », ([1] N°375, RIC 267)
- Postumus en Hercule / Mars, « Virtuti Aug » ([1] N°377, RIC 283)
Dans cette sorte d’apothéose, la formule « accolée » démontre tout son potentiel :
- classiquement, présenter de manière condensée un couple de divinités (Sol / Luna, Apollon / Diane, Victoria / Felicitas) ;
- spécifiquement, formuler des superpositions flatteuses de Postumus avec une divinité ou un héros qu’il déclare comme sa protectrice (conservatori), ou son compagnon (comiti).
Auguste et Augusta affrontés
Sur les monnaies :
Marc-Antoine et Octavie
Le plus ancien exemple d’un couple régnant apparaissant sur une monnaie romaine est, à la toute fin de la République celui de Marc-Antoine et de son épouse Octavie, la soeur d’Octave (futur Auguste). Trois préfets de la flotte font frapper en Orient une série très novatrice [2] figurant toutes les valeurs possibles entre quatre as (sesterce) et un quart d’as (quadrans) :
Le buste d’Octavie apparaît dans les trois pièces de valeurs les plus élevées, l’unicité de la série étant assurée par le profil de Marc-Antoine tourné vers la droite, et le thème nautique côté pile.
Chez les Julio-claudiens, la formule maritale
Il faut attendre le cinquième empereur de la dynastie pour revoir un couple impérial affronté : Messaline, la troisième épouse de Claude est placée cette fois en position d’honneur.
Même disposition courtoise pour Néron (l’assassin de Britannicus) et sa troisième épouse.
Lorsqu’il est en revanche confronté avec sa mère, le jeune empereur reprend la position dominante.
Cette monnaie de Vitellius avec ses deux enfants de dix ans, frappée dès sa prise de pouvoir, tente d’établir une nouvelle légitimité dynastique en présentant le père et le fils dans la même posture, le regard vers la droite. Cette tentative de remplacer les julio-claudiens finit tragiquement, puisque le père et les enfants furent éliminés par Vespasien en décembre de la même année.
La période mixte
Domitien a fait frapper plusieurs portraits affrontés avec son épouse Domitia, dans lesquels il figure toujours à la place d’honneur, sauf dans le cas de la seconde monnaie. On voit que le choix ne dépend pas d’une préférence locale, puisque les deux formules coexistaient à Pergame.
Dans pratiquement toutes les monnaies comportant le couple Héra-Zeus, Héra se trouve à gauche. Il s’agit peut être d’une application de la règle maritale, mais surtout de l’influence du motif immuable de la triade capitoline : à gauche Héra et Zeus conversent l’un avec l’autre, tandis qu’Athéna à droite les regarde.
Cette monnaie prouve, a contrario, que les couples impériaux ne s’identifiaient pas au couple olympien, mais cherchaient bien au contraire à mettre en place leur proche logique.
Chez Hadrien (avec Sabina) comme chez Marc-Aurèle (avec Faustina), on ne trouve que la formule impériale. Commode (avec Pristina) revient brièvement à la formule maritale, puis Septime-Sévère (avec Julia Domna) et Caracalla (avec Plautilla) pratiquent les deux formules, avec une nette prédominance de l’impériale.
C’est également la formule choisie, au revers du jeune Hadrien, pour ses parents adoptifs décédés ; le couple impérial est divinisé, comme le soulignent les étoiles ainsi que l’inscription DIVIS PARENTIBVS. Selon Hill, la monnaie date des premières semaines du règne du successeur d’Hadrien, Antoninus Pius, et Hadrien a été faussement rajeuni, avec une petite barbe, pour le faire ressembler à Diomède, le héros de la guerre de Troie.
Cette monnaie extrêmement rare appartient probablement à la même frappe posthume, comme le suggèrent les étoiles.
La période impériale exclusive
Viennent ensuite des règnes où seule est employée la formule impériale :
- Héliogabale avec Julia Maesa (sa grand-mère), Markianopolis (Moushmov 678)
- Héliogabale avec Julia Soaemias (sa mère) , Markianopolis (Moushmov 660)
- Gordien III avec Tranquillina, Mesembria, (RPC VII.2 1233)
- Philippe I avec Otacilia, 244, Mesembria, (RPC (VIII 48397)
Au revers du couple impérial figure même un couple divin dans la même position impériale, celui d’Apollon et Tyché.
La formule affrontée disparaît après Decius dans les monnaies, mas on la retrouve encore dans deux intailles de la toute fin du 3ème siècle, toujours en configuration impériale :
- avec Carin et Magia Urbica (British Museum, N° inv 1867,0507.541) ;
- avec Galère et Valeria (Ermitage).
Couples de souverains à la guise du Soleil et à la Lune
Avec la permission du divin Auguste la colonie de Romula
Julie Augusta mère du monde
PERM DIVI AVG COL ROM
IVLIA AVGVSTA GENETRIX ORBIS
Cette monnaie associe un soleil à Auguste divinisé en Hélios, portant la couronne radiée et précédé par un foudre ; au revers, Livie est divinisée en Séléné : son buste est posé sur le globe du Monde, justifiant la dédicace GENETRIX ORBIS.
Une inversion logique
Cyrénaïque et Crète, 55-60 (RPC 1006)
Néron et sa première épouse Octavie reprennent la même symbolique sexuée et divinisante, mais ici les profils sont affrontées, et l’épouse se trouve à la gauche de l’époux, selon l’ordre marital en vigueur chez les Julio-Claudiens.
Ce second cas relève de la même préséance, atténuée puisqu’elle n’apparaît que lorsqu’on retourne la pièce.
De telles inversions Lune-Soleil, lorsque le couple planétaire est associé à un couple humain, devraient être nombreuses. En fait il n’en existe pas d’autres exemples :
- seuls les couples impériaux méritaient cette « luminarisation » ;
- encore fallait-il être dans la période maritale (cas de Néron) ou dans la période mixte (cas de Marc-Aurèle).
Ainsi, à la fin de la période « impériale exclusive », ce couple reprend une dernière fois les attributs des luminaires, cette fois sans inversion.
En synthèse sur les monnaies à profils affrontées :
Destinées à propager universellement l’autorité de l’empereur, il n’est pas étonnant que les monnaies le placent de manière privilégiée en position dominante par rapport à son épouse, enfreignant la règne maritale des couples ordinaires.
Malgré la rareté de la formule affrontée et son caractère sporadique, on peut se risquer à distinguer trois périodes :
- jusqu’à Néron (68), la règle maritale ordinaire s’applique (mis à part le cas particulier de Marc-Antoine avec Octavie, dont la position à droite est imposée par la cohérence graphique de la série) ;
- de Domitien à Caracalla (81 à 217), les deux formules coexistent, avec une nette prédominance de la formule impériale (l’empereur à gauche) ;
- d’Héliogabale à Decius (218-251), seule la formule impériale subsiste.
Sur les médailles
Dans ces émissions destinées à un public restreint, les exemples de figures affrontées commencent plus tard, et sont plus rares, mais s’inscrivent dans la même chronologie d’ensemble.
Dans la période mixte, le seul exemple est celui de Crispina et Commode, vers 177-80, qui suit la règle maritale.
A partir d’Heliogabale commence la période impériale exclusive. On y trouve également :
- une médaille de Sévère-Alexandre avec sa mère Giulia Mammea ( Gnecchi [3], Vol II pl 97)
- une médaille de Sévère-Alexandre avec son épouse Orbiana ( Gnecchi [3], Vol II pl 98)
Gallien fait une exception terminale avec l’utilisation des deux formules :
Dans la formule impériale, l’empereur précède son épouse.
Dans la formule maritale, Gallien cède la position d’honneur aussi bien à son épouse Salonina qu’à son fils Saloninus.
La même formule de préséance du plus faible se généralise dans ce médaillon familial de Valérien I , où d’un côté le petit-fils précède l’empereur en titre, et de l’autre sa belle-fille Salonina précède son fils Gallien, lauré car co-empereur.
Hélios et Séléné affrontés (SCOOP !)
Hélios et Séléné sont, dans la grande majorité des monnaies, représentés en profils accolés, selon la formule inventée sous Hadrien à Alexandrie. Ce paragraphe traite des rares cas où ils apparaissent affrontés (en buste ou en pied) (les cas où ils figurent un couple impérial ont été traités plus haut).
Hélios et Séléné dans les monnaies
L’origine, durant la période mixte
Le couple est debout, tenant une torche dans chaque main :
- Séléné à gauche tient baissée celle de sa main droite, levée celle de sa main gauche ;
- Hélios à droite fait le geste symétrique.
Ce choix de la configuration maritale est d’autant plus étonnant :
- qu’ils sont frère et soeur, non époux ;
- que la logique astronomique imposerait l’inverse : dans le sens de la lumière et de la lecture, le soleil devrait être à gauche ;
- qu’il s’oppose à la disposition standard des monuments romains (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain).
Antoninus Pius, 138-161, Nicaea, Bithynie (RPC IV.1, 5867)
En contraste, sous le même Antonin est inventée cette scène de triomphe cosmique, où Zeus cosmocrator trône au centre du zodiaque (Bélier en haut, sens inverse des aiguilles de la montre) flanqué des chars d’Hélios et Séléné affrontés, au dessus de Gaia avec sa corne d’abondance et de Thalassa avec son gouvernail et ses rames.
Sous Commode, comme c’est l’habitude, on préfère la disposition maritale, ce qui oblige à inverser également Thalassa et Gaïa, afin que chacune reste sous son luminaire de référence. L’incongruité du choix est d’autant plus frappant que Zeus, avec son foudre, donne l’impression de gouverner la Lune plutôt que le Soleil.
La convention maritale des couples impériaux dans les monnaies est donc, au départ, encore suffisamment vivante pour s’appliquer au couple Hélios / Séléné et inverser la disposition qui, depuis le Parthénon, régit le fronton des temples.
Le basculement sous Héliogabale
Héliogabale, 218-222, Tripolis, Phoenicia Rouvier 1761 Mionnet V, 457
Au tout début de la période « impériale exclusive », Héliogabale met en scène la même trilogie sous les colonnes d’un temple, mais en replaçant Hélios à sa place impériale, à la droite de Zeus représenté ici par son autel allumé.
Héliogabale, Tium, Bithynie (RPC VI, 3570)
Sans surprise, on recopie le modèle zodiacal mis au point sous Antonin, en rajoutant seulement un croissant au dessus du biga de Séléné.
Héliogabale, Amastris, Paphlagonia, Bithynie (RPC VI, 3627)
Le même zodiaque entoure ici le couple Héra-Zeus dans son immuable configuration maritale.
Char d’Astarté dans le Zodiaque
Le zodiaque entoure ici le bétyle d’Astarté dans son char : le couple croissant / étoile n’a pas ici de rapport direct avec le couple Séléné-Hélios, mais constitue un décor courant pour les déesses orientales.
Ces deux exemples confirment :
- qu’il n’y pas de contrainte entre le sens de rotation du zodiaque et les couples sacrés inclus à l’intérieur ;
- que ce qui vaut pour les couples impériaux divinisés ou le couple Hélios/Séléné n’est pas universel :
- la convention maritale régit le couple Héra-Zeus de manière pratiquement immuable ,
- une convention beaucoup moins rigide, comme nous le verrons plus loin, concerne les « déesses orientales ».
Continuation de la configuration impériale
Hélios et Séléné
Le point commun entre ces deux empereurs est d’avoir figuré dans des portraits affrontés (Sévère-Alexandre avec sa mère Giulia Mammea et avec son épouse Orbiana, Gordien III avec son épouse Tranquillina) mais jamais sous la forme « luminarisée » : on pourrait donc théoriquement envisager qu’il s’agisse ici d’un portrait du couple impérial « à la guise » d’Hélios et Séléné : mais rien ne le suggère, ni dans la ressemblance, ni dans les inscriptions. Il s’agit donc bien des premiers portraits affrontés des deux luminaires, selon la convention en vigueur dans cette période, à savoir « impériale exclusive ».
La monnaie de Gordien repend le modèle zodiacal d’Antonin, réduit au seul couple Hélios-Séléné.
Severe-Alexandre, Perinthus, Thrace (RPC VI, 1056)
Sous Sévère-Alexandre, cette monnaie améliore spectaculairement le modèle de Zeus zodiacal. On rajoute une étoile à côté du croissant, pour figurer le firmament vers lequel montent les deux chars. Mais surtout, on inverse l’ordre du zodiaque, dans le sens des aiguilles de la montre, sans inverser le reste de la composition. Il en résulte une série de coïncidences graphiques bienvenues :
- entre les boeufs du biga de Séléné et le signe du Taureau ;
- entre les chevaux du quadrige d’Hélios et le signe du Capricorne ;
- entre les pinces de crabe sur la tête de Thalassa et le signe du Cancer ;
- entre ce crustacé, côté mer, et son équivalent terrestre, le Scorpion.
- entre les personnifications allongés de Gaïa et de Thalassa, et les deux signes humanoïdes qu’elles surplombent, Balance et Vierge.
Nous verrons que certains bas-reliefs mithraïques exploitent également la coïncidence la plus marquante, celle entre les boeufs du biga et le Taureau (voir Lune-soleil : cultes orientaux) .
Hélios et Séléné dans les lampes
Dans cette lampe, les deux visages sont vus de face, ce dont il n’y a aucun exemple monétaire. Il semble que cette absence d’interaction facilite la configuration « impériale » (nous en verrons d’autres exemples avec Sérapis et Isis).
Cette lampe contemporaine suit la même configuration « impériale », justifié ici par le baiser : dans le sens de la lecture, il est logique de placer à gauche la personne active.
On remarquera que les deux profils accolés forment, vus de loin, un visage unique vu de face (une idée que Picasso aura aussi).
On connait une trentaine de lampes présentant cet autre baiser, où la personne embrassée par Hélios vu de profil est maintenant Sérapis vu de face. Ce motif très particulier, utilisé exclusivement à Alexandrie entre 150 et 250, pourrait décrire un rituel spécifique à cette cité ([4], p 825) ou un mécanisme du Sérapéion que décrit, à charge, le chrétien Ruffin :
« une statue du Soleil se mouvait, apparemment d’elle-même, pour embrasser Sérapis, tandis qu’un rayon de soleil, provenant d’une ouverture savamment aménagée, venait éclairer le visage de Sérapis » ([5], p 39).
Isis et Sérapis
« L’identification d’Isis avec Séléné est d’origine grecque, car les divinités égyptiennes proprement lunaires sont de sexe masculin. » Michel Malaise ([6], p 262).
Son époux Sérapis est introduit en Egypte à l’époque hellénistique (vers 200 av JC). Dans l’arétalogie de Maronée (hymne grec à Isis, entre 150 et 50 av JC) s’établit déjà l’association Isis/Lune Sérapis/Soleil) :
« tu as pris Sérapis comme compagnon, et, après que vous eûtes institue le mariage, le monde a resplendi sous vos visages, placé sous les regards d’Hélios et de Séléné » ([4], p 326)
Hélios Sérapis
Mais les images de Sérapis assimilé à Hélios n’apparaissent que bien plus tard, à l’époque romaine : au tout début en pied, dans l’attitude habituelle d’Hélios saluant du bras droit, puis avec une couronne radiée et la corne en spirale d’Ammon.
Les représentations du couple Isis-Sérapis vont-elles suivre la configuration maritale (la Lune à gauche) ou la configuration impériale (le Soleil à gauche) ? Nous allons voir que la réponse n’est pas simple.
Isis et Sérapis en pied
Isis et Sérapis en pied : configuration maritale
Dans ces deux monnaies de Trajan :
- Hera, avec son sceptre, fait face à Zeus, avec son aigle et son sceptre.
- Isis, avec un récipient (situla) et un sceptre, fait face à Sérapis, avec son chien Cerbère et un sceptre.
On voit que la configuration Isis-Sérapis, pratiquement immuable, rappelle beaucoup le cas Héra-Zeus que nous avons observé plus haut.
Cette configuration est hégémonique dans les monnaies :
⦁ Héliogabale, Hieropolis, Phrygie (RPC VI, 5611)
⦁ Alexandre Sévère, Magnesia ad Maeandrum, Ionie (RPC VI, 5164)
⦁ Maximinus et Maximus (235-238) Adrianeia, Mysie (RPC VI, 4155)
⦁ Philippe I (244-249) Nysa, Lydie (RPC VIII unassigned 20421)
⦁ Decius Mopsus Cilicie (RPC IX, 1444)
Isis et Sérapis
En dehors des monnaies, c’est également la configuration dominante pour le couple debout.
Isis, Harpocrate et Sérapi
Elle se maintient lorsque l’enfant du couple, Harpocrate, se glisse entre les deux, à la place de Cerbère.
Isis et Sérapis en pied : deux exceptions
Lampe du 2ème ou 3ème siècle, Royal Ontario Museum, Toronto [7] fig 14 cat IA 14
Cette lampe est le seul exemple d’une représentation du couple en pied (sur huit répertoriées dans le LMIC Isis et le LMIC Harpocrate) où les positions sont inversées. A noter qu’Isis, bien identifiée par le basileion qui la coiffe, porte une corne d’abondance dans sa main gauche : c’est cet attribut qui, pour cause d’encombrement graphique, impose de placer Isis à droite. Nous allons le retrouver dans d’autre cas où notre couple n’est plus seul, mais intégré dans une triade.
L’autre exemple est celui-ci, où Sérapis et Isis ne sont pas seuls, mais embarqués dans une polarisation immuable, celle de Jupiter et Junon dolichéniens (voir Lune-soleil : cultes orientaux) .
La triade égyptienne
Cette composition démarque la triade capitoline, en remplaçant le couple dialoguant de Héra et Zeus par celui d’Isis et Sérapis.
Trajan, 109-110, Alexandrie (RPC III, 4393.1)
Dans cette composition, qui sera reprise plusieurs fois par le monnayage d’Alexandrie, Isis est à la proue, tenant de son pied une voile gonflée et dialoguant avec Sérapis au centre, la main droite vide et la gauche tenant un sceptre. Derrière lui, la seconde déesse est Déméter, tenant de la droite une torche et de la gauche une corne d’abondance, le coude posé sur une petite colonne.
La triade égyptienne « inversée »
Déméter, Sérapis et Isis
Trajan, 108-09, Alexandrie, [8] Dattari 1152 Planche XXX
Sous Trajan également apparaît, cette fois sous un temple, une triade dans laquelle les déesses sont interchangées : Déméter a pris la place d’honneur pour dialoguer avec Sérapis, qui trône en tenant maintenant sa main droite au dessus de Cerbère. Isis, en dernier, tient dans sa main gauche une corne d’abondance. On notera que la galère se trouve ici en miniature, au fronton du temple.
Trajan, Alexandrie, 109-10 (RPC III, 4429)
Simultanément apparaît cette formule particulière, où Sérapis puise probablement de l’eau dans une fontaine, tandis qu’Isis élève le bras droit vers sa tête ; de l’autre, elle tient Harpocrate sur ses reins. Cette inversion de la position d’Isis se comprend par la nécessité graphique de porter Harpocrate du bras gauche (afin de saluer ou couronner Sérapis du bras droit).
Ces deux inversions contemporaines (dans le temple et à la fontaine) ont probablement la même cause graphique : mettre en évidence ce qu’Isis porte de son bras gauche (corne d’abondance ou Harpocrate).
Antonin le Pieux, Alexandrie (RPC IV.4, 15357, Dattari 2859)
Sous Antonin, c’est maintenant dans la galère que les déesses sont inversées [9] :
- Déméter passe à la proue ;
- à la poupe une déesse, portant le basileion d’Isis, tient de la droite le gouvernail et de la gauche une corne d’abondance : il s’agit d’une forme syncrétique d’Isis très appréciée à Alexandrie depuis l’époque ptolémaïque : Isis-Tyché ([5], p 66).
Marc-Aurèle, An 12 (Dattari 3530, RPC IV.4 13791)
En l’an 5 de Marc-Aurèle, est repris le type de Sérapis à la fontaine, puisant de l’eau avec une louche (simpulum). En l’An 12, apparaît une variante où il est couronné par Isis-Tyché, qui figure donc à droite, dans une formule qui ne contredit pas le caractère immuable de la formule Isis-Sérapis : c’est seulement lorsqu’Isis prend les attributs de Tyché qu’elle perd la place d’honneur.
Ce schéma synthétise les différents éléments que nous venons de voir. On comprend la consistance de la formule Isis/Sérapis (en vert), transposée à partir de la triade capitoline en remplaçant Athéna par Déméter. Pourtant, sous Trajan, c’est la triade inversée (dans le temple) qui a précédé la triade standard (dans la galère). La formule Sérapis-Isis (en rouge) est apparue simultanément, dans l’iconographie particulière de Sérapis à la fontaine, qui sera reprise ensuite sous Marc-Aurèle (flèche rouge).
Les flèches en pointillé indiquent les influences possibles entre les trios et les duos.
Indépendamment de ces influences, trois causes concomitantes se dégagent :
- lorsque Isis porte un objet dans son bras gauche (Harpocrate ou corne d’abondance), sa place est à droite ;
- lorsqu’Isis-Tyché tient le gouvernail, sa place est à la poupe ;
- lorsque Cerbère, le chien qui garde les Enfers, est présent, il se crée une connexion logique avec Déméter (belle-mère de Hadès), qui l’attire sur la gauche.
C’est ce dernier point que nous allons maintenant explorer.
La triade avec Cerbère (SCOOP !)
Dans sa toute première statue, sculptée par Bryaxis au 2ème siècle avant JC pour le Sarapéion d’Alexandrie, Sérapis était représenté étendant sa main droite au dessus de Cerbere.
Lorsque Sérapis adopte cette pose canonique, la présence de Cerbère entraîne automatiquement la moitié gauche dans le champ du mythe gréco-romain des Enfers (en bleu), tandis que la moitié droite relève de la triade égyptienne, nécessairement inversée (en rouge).
Dans son article dédié à la difficile question des liens entre Isis et Déméter, John Herrmann note que les deux déesses sont bien souvent identifiées l’une à l’autre dans les textes, mais séparées dans l’iconographie, non sans une forme de gémellité : c’est ainsi qu’ici le noeud en X typiquement isiaque orne la poitrine de Déméter (à la tête voilée), tandis que la déesse sans voile, à côté d’Harpocrate, serait à la fois sa mère Isis, en tant qu’épouse de Sérapis, et Koré, en tant qu’épouse d’Hadès ([10], p 84). Ce bas-relief réalisé à Rome tire très clairement le syncrétisme du côté gréco-latin, puisque tous les attributs égyptiens d’Isis ont été éludés.
Ce schéma montre le riche entrecroisement de relations familiales que ce contexte biculturel permettait d’exploiter.
Comme le remarque Herrmann, l’ajout d’un sistre dans la main d’Isis et d’un jeune Anubis à tête de chien à gauche de Cerbère tire la même triade cette fois côté égyptien, et laisse soupçonner que Déméter pourrait fonctionner ici comme substitut non pas d’Isis, mais de sa soeur Nephthys.
Selon Herrmann, c’est la « triade inversée » Déméter/Sérapis/Isis qui est la forme nominale. Dans les quelques exemples qu’il donne ([10], p 83), Cerbère est présent dans quatre cas (cat 86, 93, 102 et 104) et absent dans deux cas (cat 92 et 94), que voici :
Ce fragment est le seul contre-exemple, parmi les figures en pied, à la « règle » selon laquelle Déméter figure à gauche lorsque Cerbère est présent. Dans cette iconographie très spéciale, c’est Harpocrate qui a pris la place du chien des Enfers. La déesse voilée qui s’occupe de lui dans un geste mal défini, isolée du couple Sarapis/Isis-Tyché, est probablement Déméter ([7], p 249), attirée à cette place non par son lien avec les Enfers, mais en tant que tante ou grand-mère de l’enfant (si on identifie Sérapis à Hadès).
L’autre exception (cat 94) est composée de trois bustes, formule beaucoup moins contrainte, comme nous allons le voir.
Isis et Sérapis en bustes (vus de face)
En analysant le corpus fourni par les LIMC [10a], on trouve quatre cas où Isis est à droite (LIMC Isis 133, Harpocrate 164, 173, 380) contre huit cas où elle est à gauche (LIMC Isis 131, 132, 134, 143, 199, Harpocrate 383, 384, 385).
Cette relative équivalence entre les deux formules est facilitée, dans le cas des bustes vus de face, par l’absence d’interaction entre les deux divinités, et l’absence des attributs qui, dans la vue en pied, imposaient des contraintes de placement (Cerbère, corne d’abondance).
Voici deux exemples, plutôt rustiques, de la configuration minoritaire (Isis à droite).
Cette coupe est le plus ancien exemple de la configuration majoritaire (Isis à gauche) : bien avant que l’image solaire de Sérapis se soit largement répandue, on y voit une des toutes premières images de Sérapis radié, vu de face. Isis à gauche tourne légèrement son regard vers lui. Tous deux portent le basileion.
Dans le cas particulier des anses de lampe où le couple figure côte à côte, c’est en revanche la configuration Sérapis / Isis qui est majoritaire (26 contre 18, [13] p 75)
Dans ces deux cas Isis-Sérapis, on note une amorce d’inclinaison des deux visages l’un vers l’autre. L’un des couple sort du même calice, l’autre est fusionné par ses vêtements : images véritablement conjugales formant presque une divinité bicéphale.
Dans d’autres cas au contraire, les divinités se séparent pour encadrer une architecture.
Aux bornes d’une architecture
Cadran solaire avec Orphée charmant les animaux, Musée de Silistra, Tacheva-Hitova No 8 [15]
C. Vendries [16] note que la lyre d’Orphée, dont les cordes imagent l’harmonie des planètes, est placée juste sous le gnomon, au centre organisateur du cadran. Un lion à gauche et un âne renversé à droite, marquent les extrêmes du désordre et de l’ordre, sans qu’on sache s’ils sont en lien avec la couple Isis / Sérapis. C’est clairement pour leur signification lunaire et solaire qu’ils sont présents dans la décoration du cadran.
On peut noter que le regard, en explorant la scène orphique, passe d’Isis à Sérapis ; tandis que l’ombre du gnomon parcourt le cadran dans l’autre sens. Cet objet étant unique, il est impossible de faire la part, dans le choix Isis / Sérapis, du poids de la configuration dominante et d’une réflexion liée à la fonction cultuelle de l’objet (il a peut être décoré un temple isiaque).
L’autel germain porte une dédicace à Jupiter (Jovi Optimo Maximo) et à tous les dieux et déesses, parmi lesquels seuls Isis et Sérapis sont nommés. Inversant la convention romaine pour les temples (voir Lune-soleil : dans l’art gréco-romain), Isis lunaire figure à gauche (à la droite de Jupiter), et Sérapis solaire à droite.
L’autel d’Asie mineure suit le même configuration (avec Jupiter en haut), bien que le texte en dessous du bas-relief nomme les dieux dans l’autre sens :
« Ceci est une action de grâces pour Sérapis et Isis » [17].
Isis et Sérapis en bustes (vus de face) : en synthèse
Tandis que les objets domestiques (lampes et bijoux) semblent relativement indifférents à la formule utilisée, le choix de la configuration maritale dans ces trois objets cultuels suggère que cette configuration soulignait le rôle des deux dieux dans l’ordre cosmique, mais avec une dimension supplémentaire par rapport au couple fraternel Hélios / Séléné : celle du couple marital, image divine du couple humain.
Isis et Sérapis en profils affrontés (monnaies)
L’invention de la formule à Alexandrie
C’est sous Hadrien que le monnayage d’Alexandrie introduit les trois formules possibles : profils accolés au début, puis profils affrontés dix ans plus tard, d’abord dans la formule impériale, puis dans la formule maritale. Particulièrement glorieuse, la formule impériale s’enrichit d’un aigle posé sur un foudre et d’un petit Harpocrate qui, comme Isis, dirigent leur regard vers Sérapis. En comparaison, la toute première formule maritale (dont il ne reste que deux exemplaires très effacés) fait figure de parent pauvre.
Son successeur Antonin le Pieux reprend les trois mêmes types et rajoute un type Sérapis-Isis, sans l’aigle et sans Harpocrate.
En aparté : une explication possible de ces innovations (SCOOP !)
Hadrien, Alexandrie, 133-34
Ces deux monnaies à profils affrontés ont été frappées la même année. Dans un article récent L.Bricault [18] rattache cette double représentation d’Harpocrate au problème de la succession d’Hadrien (sans enfant biologique avec Sabine), qui se traduira par l’adoption de Lucius Aelius en 137.
Déméter est reconnaissable à son voile et à sa torche, Zeus-Ammon à sa corne de bélier et à son disque, qui le distingue de Sarapis-Ammon (corne de bélier et kalathos). Cette triade Démeter/ Zeus-Ammon / Harpocrate est totalement inédite.
Du point de vue qui nous intéresse, il est possible d’aller un peu plus loin, en remarquant que les deux émissions de 133/34 fonctionnent à configuration renversée :
- impériale pour Sérapis et Isis ;
- maritale pour Déméter et Ammon (avec la particularité que Déméter est en retrait et de taille inférieure).
On peut supposer que les deux monnaies, émises simultanément, illustrent deux « généalogies » d’Harpocrate :
- ses parents Sérapis et Isis (identifiables au couple impérial d’Hadrien et Sabine) ;
- ses « grands parents » mythiques : Déméter en tant que mère de Koré/Isis, Ammon en tant que père mythique de tous les rois d’Egypte.
L’émission de la formule maritale Déméter / Ammon pourrait expliquer pourquoi la formule maritale Isis / Sérapis (dans laquelle Isis est elle-aussi en retrait) a dû attendre l’année suivante (134-135).
Du point de vue du nombre de types (d’après le RPC), la formule accolée est nettement la plus populaire (6 pour Hadrien, 13 pour Antonin), suivie de la formule Sérapis-Isis (2 et 6) et enfin Isis-Sérapis (un seul pour chaque empereur).
On retrouve pour le couple divin ce que nous avions observé pour le couple impérial :
- la formule accolée, où la question de l’ordre ne se pose pas, est largement privilégiée ; viennent ensuite :
- la formule impériale, ce qui montre que, d’une manière où d’une autre, les deux figures d’autorité, Sérapis et l’Empereur, s’assimilent l’une à l’autre ;
- la formule maritale, très largement minoritaire.
La diffusion en Asie mineure
Après son introduction à Alexandrie, la formule affrontée se diffuse exclusivement dans les monnayages des cités d’Asie mineure. Les points verts montrent la forme maritale, les points rouges la forme impériale [16]. On voit que les deux cités les plus proches d’Alexandrie (Aegeae et Flavipolis) sont celles où les deux formules ont été utilisées (plus Nicomedia).
Ce tableau traduit bien une forme de diffusion spatiale et temporelle :
- jusqu’à Macrin, les deux formules coexistent, avec une nette préférence pour la forme maritale ;
- à partir d’Héliogabale, seule subsiste la forme impériale, qui se répand dans les cités non encore touchées ;
- enfin, deux monnaies témoignent d’un retour tardif à la forme maritale.
Isis et Sérapis, Gallien, Flaviopolis
Celle de Gallien est peut être liée à une préférence locale puisque, à Flaviopolis, on a utilisé de manière continue la forme maritale (sauf peut être une fois sous Sévère-Alexandre, dans une monnaie qui n’est référencée que dans un seul ouvrage).
Avers : I SARA(PIDI), Revers : Isis lactans, VOTA PUBLICA
Anonyme, [19] Planche VIII num 37, cat 395
La seconde monnaie maritale a probablement frappée à Rome après 380. A l’occasion de la fête annuelle des voeux à l’Empereur, on émettait une monnaie portant l’effigie des dieux égyptiens, et cela même après la conversion de Constantin au christianisme. Parmi les centaines d’exemplaires étudiés par Alföldi [19], les bustes accolés des deux dieux sont fréquents, mais cette seule monnaie les montre affrontés : à cette époque d’amoindrissement des capacités techniques, la formule devait être jugée trop exigeante.
Ce tableau se limite aux monnaies qui bornent ces étapes. Il n’y a pas d’innovation iconographique, sauf la monnaie de Philippe l’Arabe, à Nicomedia, où la déesse, sous la forme d « isis lactans », approche de son sein un minuscule Harpocrate.
Tableau complet
Couples de souverains à la guise de Sérapis et Isis
On pense que ce couple syncrétique, associant le dieu grec et la déesse égyptienne, représente les souverains Ptolémée II et Arsinoé II.
Cette monnaie montre à l’avers Ptolémée II et sa seconde épouse Arsinoé II, et au revers leurs parents (Ptolémée I et Bérénice 2) : car il se trouve que Ptolémée II avait épousé sa propre soeur, d’où son surnom de philadelphe.
Son petit-fils Ptolémée IV transpose cette formule royale à Sérapis et Isis accolés :
« En choisissant un tel schéma, Ptolémée IV se place ainsi sous la protection d’un couple divin auquel on pourra le cas échéant assimiler le couple royal » ([20], p 101)
Cependant les figures divines et impériales restent bien séparées.
Le lieu commun longuement répétée que Sérapis / Isis représente Julien et Héléna a été démenti dès 1937 par Alföldi ([19], p 17)
Ainsi, pendant toute la durée de l’Empire païen, les couples impériaux s’assimilent de loin en loin à Hélios et Séléné, mais jamais à Sérapis et Isis.
Isis et Sérapis en profils affrontés (céramiques)
Cette iconographie a été étudiée en 1970 par V. Tran Tam Tinh [11]. Je résume rapidement ses conclusions, mises à jour suite aux découvertes effectuées depuis lors [13].
Isis et Sérapis s’embrassant
Apparue en Italie vers le milieu du premier siècle, ces lampes portent sur leur anse le couple s’embrassant. Sur la quinzaine d’exemplaires connus, tous (sauf un trouvé au mithréum de Sainte Prisca) respectent l’ordre marital : ce n’est probablement pas une coïncidence, tant cette scène souligne l’effusion amoureuse du couple divin
Isis et Sérapis se regardant
Un siècle après sont produits en Afrique du Nord , pendant environ un siècle, des lampes dont on connaît environ 130 exemplaires : les deux dieux affrontés se regardent et l’ordre marital est toujours respecté. Sérapis est toujours couronné de rayons, souvent peu visibles à cause de l’usure de la lampe ou du moule ([13], p 78) . Certaines lampes, comme celle-ci, portent sur leur pourtour une décoration de grappes et de feuilles de vignes. La plupart on été trouvées dans un contexte funéraire.
Pour Tran Tam Tinh, la formule d’Afrique du Nord ne provient pas directement des rares monnaies alexandrines d’Hadrien et d’Antonin le Pieux, ni des monnaies frappées dans les lointaines cités d’Asie mineure, Elle aurait été inventée en Italie, pour des lampes dont il reste trois exemplaires, trouvés à Ostie.
Celle-ci montre, en plus, l’enfant Harpocrate suçant son doigt devant Isis, et le profil d’Hermanubis derrière Sérapis.
Médaillons d’applique
Le motif se poursuit ensuite dans quelques médaillons d’applique trouvés dans la Vallée du Rhône : on y trouve les deux configurations, maritale et impériale. On voit que la configuration ne dépend pas de la présence d’un motif intermédiaire (une fleur de pavot entre deux épis pour Lyon, une épi triple pour Arles), ni du sistre présent dans le dos d’Isis.
On retrouve quelques médaillons d’appliques (qui étaient apposés sur la panse de vases) dans les vallées du Rhin et du Danube, là encore dans les deux configurations.
Enfin J. J. V. M. DERKSEN ([24] signale, après une interruption d’un siècle, une résurgence tardive du motif en Afrique du Nord, toujours dans la configuration maritale.
J’ai gardé pour la fin une série très homogène de soixante dix lampes trouvées dans un même local du sanctuaire des dieux égyptiens à Marathon, datées de 150-200 [25] : Sérapis y est systématiquement à gauche, et le motif de l’étoile dans le croissant fait son apparition entre les deux divinités. Certains exemplaires présentent sur leur pourtour une frise de feuilles de vigne, grappes et pampres alternées.
Une particularité de cette formule est que Sérapis n’est pas radié, peut être parce que les luminaires sont déportés au centre.
Une série de seize lampes avec Sérapis à gauche, trouvées dans des tombes de Scupi, montre que cette disposition n’est pas spécifique aux usages cultuels, ni liée à la présence du motif de l’étoile dans le croissant ( sur celui-ci, qui n’est pas spécifique à l’iconographie de Sérapis ou d’Isis, voir XXX).
En synthèse
En se limitant aux céramiques (lampes à huile et médaillons d’applique), on voit que :
- dans le cas des bustes vus de face, les deux formules se rencontrent (couleur orange) ;
- dans le cas où il y a interaction entre les deux divinités (s’embrassant ou se regardant), la configuration maritale est de rigueur (couleur verte); mis à part les deux séries de Marathon et Scupi (en rouge).
Pour les médaillons d’applique, trouvés en très petit nombre, les deux configurations se rencontrent.
Il ne se dégage pas de règle générale expliquant ces variations : pour des objets fabriqués en série comme les lampes à huile, les habitudes d’atelier priment sur les considérations iconographiques. La large répartition des lampes d’Afrique du Nord pouvait donner l’impression que la configuration Isis-Sérapis prédominait de manière écrasante, avant qu’on ne découvre les séries plus localisées de Marathon et Scupi.
Pour des objets plus contrôlés tels que les monnaies, on peut s’attendre en revanche à des règles plus nettes.
Tableau chronologique (dilaté pour le premier et le deuxième siècle)
Ce tableau replace en parallèle les différents couples et les différents médias que nous avons envisagés dans ce trop long article. Il en ressort une impression d’assez grande cohérence (verticales bleues) :
- la formule initiale (maritale exclusive) s’arrête dès Domitien pour les monnaies, et au milieu du deuxième siècle pour les céramiques ;
- la période mixte, où les deux formules cohabitent, s’arrête net avec Héliogabale, et ce pour tous les couples et medias ;
- s’ouvre alors durant une cinquantaine d’années, une période « impériale exclusive »
- il semble y avoir eu, à partir de Gallien, une renaissance de la formule maritale, mais la raréfaction des exemples rend cette hypothèse fragile.
Article suivant : Lune-soleil : symboles 1) introduction
Vol I : https://archive.org/details/imedaglioniroman01gnec
Vol II : https://archive.org/details/imedaglioniroman02gnec [4] Gaëlle Tallet « Les rayons d’Isis et de Sarapis : lumière et mystères » dans « La splendeur des dieux: Quatre études iconographiques sur l’hellénisme égyptien « Serie: Religions in the Graeco-Roman World, Volume: 193, Brill 2020 [5] Soheir Bakhoum « Dieux égyptiens à Alexandrie sous les Antonins : recherches numismatiques et historiques » 1999 [6] Michel Malaise « Le calathos sur la tête d’Isis: une enquête » Studien zur Altägyptischen Kultur Bd. 43 (2014), pp. 223-265 https://www.jstor.org/stable/44160277 [7] V. Tran Tam Tinh, « Sérapis debout. Corpus des monuments de Sérapis debout et étude iconographique » Brill 1983 [8] G.Dattari « Monete imperiali greche. Numi Augg. Alexandrini. Catalogo della collezione Dattari »
https://archive.org/details/moneteimperialig01datt
https://archive.org/details/moneteimperialig02datt [9] Sur cette variante et sa signification, voir Laurent Bricault « Isis, Dame des flots » p 78 https://www.academia.edu/745307/Isis_Dame_des_flots [10] John Herrmann, « Demeter-Isis or the Egyptian Demeter? A Graeco-Roman sculpture from an Egyptian workshop in Boston », 1999, Jahrbuch des Deutschen Archäologischen Instituts https://www.academia.edu/38091506/Demeter-Isis_or_the_Egyptian_Demeter_A_Graeco-Roman_sculpture_from_an_Egyptian_workshop_in_Boston [10a] V. Tran Tam Tinh, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (LIMC) vol 4-1, article Harpokrates
https://archive.org/details/limc_20210516/Lexicon%20Iconographicum%20Mythologiae%20Classicae/LIMC%20IV-1%20Eros-Herakles/page/n224/mode/1up
V. Tran Tam Tinh, Lexicon Iconographicum Mythologiae Classicae (LIMC) vol 5-1, article Isis
https://archive.org/details/limc_20210516/Lexicon%20Iconographicum%20Mythologiae%20Classicae/LIMC%20V-1%20Herakles-Kenchrias/page/n416/mode/1up?view=theater [11] V. Tran Tam Tinh « ISIS ET SÉRAPIS SE REGARDANT », Revue Archéologique, Nouvelle Série, Fasc. 1 (1970), pp. 55-80 https://www.jstor.org/stable/41755609 [12] Giulia Sfameni Gasparro « I culti orientali in Sicilia » Serie : Études préliminaires aux religions orientales dans l’Empire romain, Volume: 31 Brill 1973 [13] Jean-Louis Podvin; Laurent Bricault « Luminaire et cultes isiaques » [14] Jean-Louis Podvin, Richard Veymiers. « A propos des lampes corinthiennes à motifs isiaques ». Laurent Bricault. Bibliotheca Isiaca I, Ausonius Editions, pp.63-76, 2008 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03271872/document [15] Margarita Tacheva-Hitova « Eastern Cults in Moesia Inferior and Thracia (5th Century B.C.-4th Century A.D.) » dans la collection “Religions inthe Graeco-Roman World Online volume 95, E. J. Brill Leiden 1983 [16] C Vendries « Orphée, Isis, Sarapis et l’âne terrassé, le décor d’un cadran solaire de Durostorum (Silistra) » · Revue Archéologique Nouvelle Série, Fasc. 2 (2017) https://www.jstor.org/stable/44711301 [17] http://philipharland.com/greco-roman-associations/honors-by-initiates-of-sarapis-and-isis-for-a-benefactor-with-a-relief/ [18] L.Bricault « La question de la succession d’Hadrien sur une monnaie inédite de l’atelier d’Alexandrie » https://journals.openedition.org/pallas/527 [19] Andrew Alföldi, « A festival of Isis in Rome under the Christian emperors of the IVth century » 1937 https://archive.org/details/alfoldiIsisRome1937/page/n4/mode/1up [20] Richard Veymiers « Hileôs tôi phorounti. Sérapis sur les gemmes et les bijoux antiques » https://www.academia.edu/639567/Hile%C3%B4s_t%C3%B4i_phorounti._S%C3%A9rapis_sur_les_gemmes_et_les_bijoux_antiques [22] Pierre Wuilleumier et Amable Audin « Les médaillons d’applique gallo-romains de la vallée du Rhône » Annales de l’Université de Lyon, 1953 [23] Grimm, « DIE ZEUGNISSE AGYPTISCHER RELIGION UND KUNSTELEMENTE IM ROMISCHEN DEUTSCHLAND » Brill 1969 https://www.academia.edu/45591486/ZODIAC_CIRCLE_ON_ANCIENT_COINS_2021 [24] J. J. V. M. DERKSEN, « ISIS AND SERAPIS ON LAMPS FROM NORTH AFRICA » dans » Hommages à Maarten J. Vermaseren, Volume 1″ Brill 1978 [25] Pelly Fotiadi, « Ritual Terracotta Lamps with Representations of Sarapis and Isis from the Sanctuary of the Egyptian Gods at Marathon: The Variation of “Isis with Three Ears of Wheat”
https://www.academia.edu/4939757/Pelly_Fotiadi_Ritual_Terracotta_Lamps_with_Representations_of_Sarapis_and_Isis_from_the_Sanctuary_of_the_Egyptian_Gods_at_Marathon_The_Variation_of_Isis_with_Three_Ears_of_Wheat_ [26] Jovanova Lenče, « On some of the oriental cults in the Skopje-Kumanovo region, in Romanising oriental gods ? Religious transformation in the Balkan provinces in the Roman period. New finds and novel perspectives » Skopje 2015 https://www.academia.edu/20850513/Jovanova_Len%C4%8De_On_some_of_the_oriental_cults_in_the_Skopje_Kumanovo_region_in_Romanising_oriental_gods_Religious_transformation_in_the_Balkan_provinces_in_the_Roman_period_New_finds_and_novel_perspectives_293_322_Skopje_2015