Le Soleil, luminaire principal et au nom masculin (en grec comme en latin), se trouve presque toujours à gauche, et la Lune à droite, en application de l’ordre héraldique qui vaut pour tous les couples réguliers (pour les exceptions, voir 1-3 Couples irréguliers).
Mais tout comme il existe des coquilles senestres, il existe des couples inversés Lune / Soleil . Ces cas n’ont pas été isolés et étudiés de manière systématique : ils offrent pourtant des pistes d’interprétation intéressantes, même si aucune explication unique n’est possible vu la rareté et la dispersion des exemples.
Ce premier article est consacré aux inversions Luna-Sol dans l’art gréco-romain classique.
Sol et Luna dans l’art monumental gréco-romain
En Grèce : le modèle du Parthénon
La Naissance d’Athéna, Reconstruction du fronton Est du Parthénon
Ce fronton n’a pu être reconstituée qu’approximativement, mais la présence d‘Hélios et de Séléné, dans les pointes, est certaine. Le fronton étant orientée à l’Est, ce n’est pas l’idée de lever du soleil qui a imposé son placement à gauche, mais des considérations structurales et narratives :
« La pointe de la corniche a été, en quelque sorte picturalisée : on peut la lire comme l’horizon – probablement maritime plutôt que terrestre – et le cadre architectural devient une fenêtre triangulaire sur un monde virtuel qui s’étend derrière, en dessous, et au-delà, un espace continu dans lequel descendent Séléné, son char et son attelage. De même, à l’autre angle du fronton, complétant le cadre céleste, maritime et temporel, s’élève le frais et fier quadrige d’Hélios… Le moment narratif est pour l’instant ambigu, la nature de l’action ( ou inaction) au centre disparu du fronton aurait pu le préciser. Si Athéna était représentée en mouvement, sortant de la tête de Zeus…, on pourrait imaginer qu’Hélios freinait ses chevaux juste au-dessus de l’horizon, arrêtant ainsi le temps et permettant à la déesse de retirer son équipement, comme le rapporte l’hymne homérique à Athéna. Si, au contraire, celle-ci se tenait immobile avec son casque et son armure déjà retirés …, alors la pause n’avait pas de raison d’être, et Hélios pouvait entamer le grand arc céleste que terminent Séléné et son équipage fatigué. » Jeffrey M. Hurwit [1]
A Rome : le modèle Capitolin
Dessin de Pierre Jacques, 1576, d’après un relief perdu du Forum de Trajan Marc-Aurèle sacrifiant (détail), 177-80, Musée des conservateurs, Rome [2]
Fronton du quatrième temple de Jupiter Capitolin
Le temple de Jupiter capitolin été reconstruit plusieurs fois . De son quatrième état (après la reconstruction par Domitien), on conserve plusieurs témoignages assez contradictoires , en particulier sur le nombre de colonnes et la position des chars [3] :
- Sol ascendant et Luna descendant (relief de l’époque de Trajan) ;
- Luna descendant et Sol ascendant (relief de l’époque de Marc-Aurèle).
De plus, les chars étaient redoublés, au dessus du fronton, par deux autres chars (affrontés dans un cas, parallèles dans l’autre).
Dans les deux cas, la composition s’inspire du fronton Est du Parthénon, mais avec une anomalie iconographique majeure : soit chars affrontés, soit inversion Luna-Sol.
Plan du Capitole
La façade étant orientée au Sud, le char ascendant du Soleil aurait été contradictoire avec sa position côté Ouest. L’inversion Lune-Soleil est en revanche logique, avec une lecture continue de droite à gauche, du Soleil montant à la Lune descendante.
Cette inversion est si inattendue que personne n’en a parlé, sauf A.J.B.Wace [4] qui en revanche la voit partout, dans toutes les versions du fronton.
Voici la chronologie détaillée concernant les troisième et quatrième temple [3] :
- 70 : incendie du deuxième temple
- 70-79 : sous Vespasien , construction du troisième temple (6 colonnes, d’après de nombreuses monnaies) ;
- 80 : incendie du troisième temple ;
- 81-82 : reconstruction sous Domitien ;
Plusieurs monnaies de cette époque de reconstruction montrent cependant un temple à quatre colonnes :
80-81 : Cistophore de Titus (quatrième temple en reconstruction) 82 : Cistophore de Domitien (quatrième temple achevé)
Les quatre colonnes sont expliquées par une licence artistique, par le caractère provincial des ateliers, et par le fait que les témoignages numismatiques sont souvent éloignés des bâtiments réels, notamment en ce qui concerne le nombre de colonnes [5]. On notera néanmoins le détail caractéristique des trois chars vus de face surplombant le fronton.
- 98-117 : bas-relief du temps de Trajan (6 colonnes, deux chars affrontés au dessus du fronton) ;
- 161-180 : bas-relief du temps de Marc-Aurèle (4 colonnes, trois chars vus de face) ;
- 305 : monnaie de Constantin (4 colonnes).
On voit que toutes les « licences artistiques » concernant les quatre colonnes se produisent à partir de 80.
Une première manière de concilier ces éléments disparates serait de reculer avant 80 la date du bas-relief trouvé sur le forum de Trajan, en considérant qu’il s’agissait d’un remploi antérieur, montrant le troisième temple. Longtemps considéré comme un témoignage évident du temps de Trajan pour des raisons à la fois stylistiques et historiques (il serait signé du nom Marcus Ulpius Orestes) [4] , cette datation a été remise en cause dans une étude récente [6] pour des raisons iconographiques, mais qui conduisent au contraire à le retarder d’un siècle.
A noter deux « difficultés » numismatiques subsistantes, si le quatrième temple n’avait que quatre colonnes :
95-96, Denier de Domitien, British Museum 103-111, Sesterce de Trajan
Sur le denier de Domitien, aucune inscription ne relie ce temple à celui de Jupiter Optimus
Le sesterce de Trajan porte bien l’expression OPTIMO, mais le nombre de colonnes est clairement une amplification graphique.
Temple de Jupiter capitolin, reconstruction par Italo Gismondi
Il n’y a pas de document précisant le nombre de colonnes du quatrième temple mais on sait qu’il a été reconstruit à l’identique et était plus somptueux notamment pour les matériaux (colonnes de marbre provant d’Athènes) [7] . Par ailleurs, sa grande caractéristique était la présence de trois portes en façade et il est probable que les colonnes n’étaient pas été équidistantes : quatre colonnes scandant les trois portes, puis deux colonnes intermédiaires à gauche et à droite, comme sur cette maquette.
Relief du Forum de Trajan, reconstitution d’après les fragments du Louvre et les dessins Marc-Aurèle sacrifiant, 177-80, Musée des conservateurs, Rome
Si on laisse de côté le nombre de colonnes, nous avons finalement deux sources détaillées :
- un relief difficilement datable, connu indirectement par plusieurs dessins qui se recopient les uns les autres, et qui ont peut être leur part d’imagination si la partie haute était très usée : les deux chars du Soleil et de Lune allant l’un vers l’autre – une iconographie sans aucun autre exemple à Rome – sont peut être une symétrisation imaginée par le dessinateur du XVIème siècle.
- un relief très précis, comportant de nombreux personnages complémentaires, mais avec seulement quatre colonnes. Or on peut constater, comme Colini en 1925 ([8] , note 2), que l’étroit format vertical, qui plus est divisé en deux, imposait cette simplification : l’accent est mis sur le principal, les trois portes.
Je pense donc que ce second témoignage, avec son inversion Lune-Soleil logiquement justifiée, est de loin le plus fiable.
A Rome : le modèle athénien
Palais Ducal, Mantoue
Mis à part le fronton capitolin, modifié pour raison d’orientation, toute une série de couvercles de sarcophages reprennent le modèle athénien. En voici la description générique par Cumont ([9] , p 78)
«Placés au-dessus de la scène terrestre figurée sur la cuve, ils nous transportent dans les régions supérieures de l’univers. Au milieu, se tiennent trois divinites, généralement celles de la triade capitoline: Jupiter, Junon et Minerve. A gauche, Phébus s’élève au dessus de l’Océan étendu et est précédé d’un des Dioscures; à droite, Séléné s’abaisse sur son bige; devant elle, descend Hesperos, son flambeau renversé ; derrière elle, l’autre Dioscure la suit. Cette double association est d’un symbolisme transparent : Ie Soleil sortant des flots, monte sur l’horizon en meme temps que l’hémisphère lumineux, tandis que la Lune descend au Couchant avec la moitié sombre du ciel».
Les deux luminaires, dont l’un ou l’autre est toujours visible dans le ciel, symbolisent ici l’éternité promise au défunt.
Sarcophage avec des scènes nuptiales, dit du Cardinal Guglielmo Fieschi,210-220, Basilique de San Lorenzo Fuori le Mura, Rome
La triade capitoline a été ici remplacée par un autre trio, dont l’interprétation est controversée. Un lien thématique entre le couvercle et la façade s’effectue peut être via les trois figures centrales, si on les interpréte comme CONCORDIA AETERNA (voir Albertini [10] ).De part et d’autre du couvercle, les acrotères portent, comme souvent, des masques de théâtre.
En aparté : les Dioscures et les Luminaires
Sur le sarcophage Fieschi, les Dioscures sont associés aux chars de la Lune et du Soleil, complétant leur signification cosmique :
« Le couple des Dioscures apparaît comme une personnification de l’Éternité… Ils sont dépouillés de leur caractère proprement mythologique, pour n’avoir plus qu’une valeur «cosmique ». Dispensateurs de l’immortalité, ils personnifient la révolution quotidienne du jour qui succède à la nuit, selon le mythe de l’alternance des saisons, chacun des Dioscures, alternativement dieu et mortel, devant passer six; mois aux Enfers et six mois dans l’Olympe. Représentant les deux portions opposées du ciel, les deux hémisphères, tour à tour sombre et lumineux, ils symbolisent la mort et la résurrection. C’est à ce titre qu’ils figurent sur des sarcophages, accompagnant le char de Phoebus et celui de la Nuit, la vie étant comparée à la journée qui naît avec le soleil et disparaît avec lui, ou encadrant le défunt, associés à une scène de mariage, parfois même, sur un sarcophage d’école arlésienne et d’époque chrétienne, à la double scène des fiançailles et des derniers adieux : ils sont alors représentés à l’image du défunt, aux deux âges de sa vie, tour à tour imberbe et barbu, selon une conception symbolique qui montre bien leur personnification du Temps infini. » F.Benoit [11]
Sarcophage chrétien des Dioscures, Arles
Acrotères SOL / LUNA
Sarcophage de Séléné et Endymion, 280-90 après JC, Louvre
Un cas particulier est celui où ces acrotères en forme de masque absorbent l’idée qui était portée par les chars de SOL et LUNA. La scène de la façade montre Séléné au centre descendant de son char (qui va de droite à gauche) pour rejoindre le berger Endymion endormi.
Le sens de lecture de la façade, commune à plusieurs sarcophages de Séléné et Endymion, est indépendant du sens de lecture du couvercle, de gauche à droite entre Sol et Luna.
Musée de Langres, Esperandieu « Recueil général » vol IV, No 3228
Le seul cas, , inexpliqué, d’inversion des acrotères est cette stèle aux mânes d’un certain Punlicus Sarasus.
Les arcs de triomphe orientés
Sol au dessus de Tellus (petit côté Est) Luna au dessus d’Oceanus (petit côté Ouest)
Arc de Constantin, Rome
L’arc de triomphe de Constantin, au dessus d’une route Nord/Sud, présente sur ses petits cotés ces médaillons de Sol et Luna. Selon Robert Turcan [12] , ces deux tondis latéraux, réalisés par l’architecte chrétien, s’opposent même aux Dieux païens équivalents (Apollon et Diane), récupérés de l’époque d’Hadrien, qui figurent sur les tondis des faces Nord et Sud.
Cette association purement astronomique (Sol/Est et Luna/Ouest) existait déjà à l’époque païenne, puisqu’on la trouve sur deux autres arc orientés : celui d’Orange et l’arc municipal d’Arles.
En synthèse :
Dans les bâtiments (temple, arcs de triomphe) comme dans les sarcophages, on ne constate jamais d’inversion Luna Sol, sauf dans le cas du Temple de Jupiter Capitolin, où elle s’explique par l’orientation du fronton.
Dextera junctio, sarcophage de Portonaccio (détail couvercle), vers 180-90 Palazzo Massimo Rome Projecta casket, vers 380, British museum
Une première figuration des époux est celle de la « Dextera junctio », où ils sont vus en pied et de profil, se donnant la main droite, de part et d’autre d’une figure symbolisant leur union : ici Concordia, avec l’enfant Hymenaeus à ses pieds.
L’autre figuration est celle de l’imago clippeata, où ils sont vus en buste, de face, à l’intérieur d’un médaillon.
Païennes à l’origine, ces figurations sont reprises à l’identique dans les oeuvres chrétiennes [13] . Robert Couzin a récemment montré que, dans l’immense majorité des cas, l’épouse se trouve à gauche, à la place d’honneur, malgré son statut d’infériorité manifeste dans les textes païens ou paléochrétiens (et ce jusqu’au 6ème siècle environ). Robert Couzin l’explique par une sorte de courtoisie paradoxale :
« La position du mari était si fortement prééminente qu’il pouvait, et comme un principe moral et social devait, daigner placer sa femme à sa droite. Cet emplacement était un compliment à la vertu de sa conjointe, bien sûr, mais plus encore à la sienne, une expression, condescendante mais pas moins affectueuse pour autant, de respect conjugal et d’attachement sentimental. » ([14] , p 146)
Sarcophage des époux (détail), 520-510 av. J-C, Louvre
On peut aussi y déceler un souvenir de la manière étrusque de représenter les défunts allongés côte à côte : le mari passant son bras droit sur l’épaule de l’épouse, celle-ci se retrouve obligatoirement à gauche.
[15] [16] ([17] , p 353)
Stèles votives à Saturne trouvées dans la région de Tebessa, début IIIème siècle
L’ordre marital romain est illustré de manière frappante par la position inverse des luminaires dans ces deux stèles, où ils figurent en tant que symboles de l’Eternité, Saturne étant le dieu du Temps (Chronos).
Dans la première stèle, Saturne est seul, entre Sol et Luna au dessus des Dioscures. Dans le registre inférieur, le dédicant est accompagné de son propre bestiaire, un couple de bovins et un couple de caprins.
Dans la seconde stèle, Saturne (le grand dieu africain) est assimilé à Jupiter (le grand dieu romain), comme le précise l’inscription. Assis à droite sur un trône flanqué de deux béliers, il présente les deux gestes qui le caractérisent en Afrique du Nord : la main droite tient sa faucille et la main gauche écarte son voile (geste qui préfigure le geste qui sera plus tard celui de la Mélancolie, la main gauche tenant le menton). A sa droite, sa parèdre, la déesse Ops / Caelestis (héritière de la déesse cathaginoise Tanit), est assise sur un trône flanqué de deux taureaux, une patère dans la main droite et une fleur dans la gauche.
L’inversion de Sol et Luna accompagne ici clairement l’inversion maritale. A noter qu’il existe de rares cas de stèles africaines où l’inversion se présente alors que Saturne est seul ([17] , planche XIII fig 3)
Sol et Luna comme figures du défunt
Sarcophage avec Hélios et Séléné, 3ème siècle, provenant de la tombe D de la via Belluzzo, Musée National des Thermes, Rome
Parmi tous les sarcophage à strigilles, celui-ci est le seul présentant cette iconographie : au lieu d’être déportés sur les acrotères du couvercle, les bustes d’Hélios, avec son fouet, et de Séléné, avec sa torche et son voile, constituent le sujet principal. Il s’agit probablement d’une commande spéciale pour honorer la fillette d’une dizaine d’années dont on a retrouvé le squelette à l’intérieur [18] . Les visages très jeunes des deux luminaires sont probablement le portrait de l’enfant.
S’il n’est pas inhabituel de représenter Séléné avec une torche, la dissymétrie avec le fouet laisse penser qu’il s’agissait aussi d’évoquer la déesse Hécate, dont c’est l’attribut habituel : munie de sa torche, c’est elle qui guida Déméter, lorsque celle-ci se mit à la recherche de Perséphone, sa fille disparue.
Cippe funéraire de Julia Victorina, 70-90, Louvre
Déjà remarquable, ce sarcophage a un précédent extraordinaire avec cet autel funéraire qui contenait les cendres d’une autre fillette du même âge :
Aux mânes de Julia Victorina, qui vécut dix ans et cinq mois, Gaius Julius Saturninus et Lucilia Procula, parents de cette fille la plus douce, ont fait faire ce monument
D(is) M(anibus) IVLIAE VICTORINAE QVAE VIX(it) ANN(es) X MENS(ibus) V C(aius) IVLIVS SATVRNINVS ET LVCILIA PROCVLA PARENTES FILIAE DVLCISSIMAE FECERVNT (hoc monumentum)
Les faces latérales sont décorées d’un laurier florissant , l’arbre d’Apollon (portant deux oiseaux d’un côté, quatre de l’autre). Les faces avant et arrière présentent un double portrait de Julia Victorina :
- sur la face avant, en Séléné, les cheveux non coiffés, telle qu’elle était au moment de sa mort ;
- sur la face arrière, en Hélios, coiffée et portant la stola, retenue par une broche, de la matrone qu’elle serait devenue.
Les cadres floraux ainsi que les boucles d’oreille, identiques sur les deux bustes, permettent de comprendre qu’il s’agit bien d’une seule et même personne.
Polychromie par Steve Chappell
Le buste en enfant est posé en applique sur le monument : jeune vierge portant le signe lunaire de Diane, et résumée par son épitaphe, elle est dans une position intermédiaire, sur sa pierre mais pas à l’intérieur. Le buste en femme, en revanche, est creusé dans l’épaisseur du cippe, indissociable de la couronne radiée qui souligne son immortalité.
Cumont ([9] p 243) a vu dans ce double portrait un témoignage de la croyance romaine selon laquelle l’âme des enfants morts devait séjourner dans un lieu intermédiaire jusqu’à avoir atteint l’âge mûr :
:
«Ainsi s’accomplissait malgré cet accident, la durée normale de leur existence, telle que l’ avait fixée le destin ». Tertullien, De anima, 53,4
Ce lieu aurait pu être la Lune, halte entre le monde du devenir et le monde immuable, avant de s’ élever vers le Soleil et d’ accéder au séjour des défunts.
Une seconde inversion Luna-Sol
Sarcophage Lege Feliciter, 4ème s, Crypte St Paul Serge, Narbonne
On voit sur le couvercle un couple dans l’ordre marital romain : la femme à gauche et l’homme à droite. C’est pour cette raison que le sculpteur a inversé la position conventionnelle des masques de Sol et de Luna, afin que les profils des défunts, en se projetant dans ceux des luminaires, acquièrent leur part d’immortalité.
La composition témoigne d’un mélange de motifs païens et chrétiens, qui permet de dater le sarcophage d’ avant l’officialisation du christianisme [19] :
- le couple du haut ne semble pas représenter les défunts (le sarcophage ne contenant qu’un seule squelette) mas plutôt un couple d’initiés au culte d’Isis (à cause de leur volumen fermé et des noeuds en ankh des draps derrière eux) : les masques représenteraient donc plutôt Luna/Isis et Sol/Sérapis ;
- les bergers portant un agneau, sur les angles, sont un motif typiquement paléochrétien ;
- la petite niké centrale grave sur un bouclier l’inscription « lege feliciter » (« lis, pour te porter chance ») au dessous d’un X ambigu : comme dans les monnaies souhaitant des voeux de bonheur à l’empereur à l’occasion de chaque décennales, ce X peut être lu à la païenne, comme signifiant ; ou à la chrétienne, comme un chrisme dissimulé.
Symbolique du Soleil et de la Lune à Rome : l‘Eternité
Nous avons déjà vu les luminaires exprimer cette notion en tant qu’attributs de Saturne, le Dieu du Temps. Mais on les retrouve également comme attributs d’une divinité plus spécifique, Aeternitas.
Aeternitas, Sol et Luna
Aeternitas, Aureus de Vespasien, 76, BNF
C’est sous les Flaviens qu’apparaît la personnification d’Aeternitas comme une déesse tenant le Soleil dans la main droite et la Lune dans la main gauche.
Aeternitas, Denier d’argent de Trajan, 111
Durant les règnes successifs de Trajan puis d’Hadrien, la posture devient symétrique, avec les bras étendus des deux côtés.
Oriens, Aureus d’Hadrien, 117-mi 118
Au tout début de son règne, Hadrien modifie subtilement un type d’aureus créé par son prédécesseur :
« Cette même image du buste rayonnant de Sol était apparue pour la première fois sous Trajan, sans légende d’accompagnement. Avec le terme ORIENS, Hadrien précise l’allusion à l’empereur sauveur revenant triomphant de l’Orient (ou s’y levant, tel le soleil). Ce thème restera récurrent dans la propagande impériale des règnes suivants. » [20] p 38
Le type Oriens n’est plus frappé à partir du retour à Rome d’Hadrien, mi 118.
Aeternitas comme girouette (SCOOP ! )
Denier d’argent d’Hadrien, mi 118- mi 121, British Museum R.9719
Reprise du modèle de Trajan, l’Eternité symétrisée prend probablement ici une signification personnelle, comme l’indique la disparition de la formule AET(ernitas) AUG(ustorum) au profit de la seule titulature P M TR P COS III (Pontifex Maximus Tribunitia Potestas Consul Tertium).
Les cartes romaines étaient orientées comme les nôtres : dans le seul exemple subsistant, la table de Peutinger, Rome est au centre et Constantinople à droite. Avec la même convention, Aeternitas dirigeant son regard vers le Soleil nous signale que l’Empereur, revenu d’Orient, se trouve désormais à l’Occident.
Denier d’argent d’Hadrien, mi 118- mi 121, British Museum 1989,1117.4
Cette monnaie de la même période est le seul exemplaire connu présentant une inversion Luna-Sol. L’inversion simultanée de la tête (qui regarde toujours vers le Soleil) montre bien le caractère intentionnel de la modification : telle une divine girouette, Aeternitas porte son regard vers la région où se trouve l’Empereur voyageur, maintenant reparti vers l’Est.
Les Dieux éternels
Minerve, Mercure, Jupiter, Vulcain, Junon, fol 234v Diane, Apollon, Neptune, Vénus, Mars, fol 235r
Le Conseil des Dieux, Vergilius romanus, 5ème siècle, Cod. Vat. lat. 3867
Ce bifolium présente les dix dieux les plus fréquents dans l’Eneïde, sans lien avec un passage bien précis du texte. Leur identification a varié selon les présupposés des auteurs, j’ai repris ici celle de José Ruysschaert ([21] , p 50).
Pour ce qui nous concerne, l’intéressant est que les dieux sont présentés pour partie de manière symétrique :
- les deux divinités centrales, Jupiter et Neptune, ont des gestes en miroir (le sceptre à la main droite, le trident à la main gauche) ;
- les deux divinités casquées sont elles-aussi en miroir (lance dans la main droite de Minerve et dans la main gauche de Mars).
Au dessus de l’arc-en-ciel, en revanche, le Soleil et la Lune ne s’inversent pas : preuve que cette convention prédomine sur la liberté laissée au dessinateur.
Dans son acception d’Eternité, le couple Soleil-Lune n’est jamais inversé.
Références : [1] Jeffrey M. Hurwit « Helios Rising: The Sun, the Moon, and the Sea in the Sculptures of the Parthenon » American Journal of Archaeology Vol. 121, No. 4 (October 2017), pp. 527-558 https://www.jstor.org/stable/10.3764/aja.121.4.0527 [2] Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines, p 904 https://dagr.univ-tlse2.fr/consulter/709/CAPITIUM/page_148 [3] Sur la chonologie via les pièces, voir :En conclusion, dans le grand art gréco-romain, les inversions Luna-Sol sont pratiquement inexistantes.
Nous allons voir qu’il n’en est pas de même dans un contexte particulier : celui d‘objets du quotidien où les luminaires sont évoqués par deux visages affrontés.
Article suivant : Lune-soleil : couples affrontés
http://omeka.wellesley.edu/piranesi-rome/exhibits/show/temple-to-jupiter-optimus-maxi/coins-the-temple-through-time [4] A.J.B.Wace « Studies in roman historical reliefs », Papers of the British School at Rome https://archive.org/details/papersofbritishs04brit/page/227/mode/1up [5] Melanie Dara Grunow, . « Architectural images in Roman state reliefs, coins, and medallions: Imperial ritual, ideology, and the topography of Rome » note 22 [6] Melanie Grunow Sobocinski and Elizabeth Wolfram Till « Dismembering a Sacred Cow : The Extispicium Relief in the Louvre » 2018 https://scholarworks.iupui.edu/bitstream/handle/1805/26013/SobocinskiEWThill.2018.pdf?sequence=1 [7] Ellen Perry, “The Same, But Different: The Temple of Jupiter Optimus Maximus through Time,” dans Architecture of the Sacred: Space, Ritual, and Experience from Classical Greece to Byzantium, édité par Bonna Wescoat et Robert Ousterhout (Cambridge: Cambridge University Press, 2012) https://archive.org/details/architecture_of_the_sacred/page/n199/mode/2up [8] A. M. Colini, . “Indagini sui frontoni dei templi di Roma. Parte 2.” BullCom 53: 161-200, 1925, https://digi.ub.uni-heidelberg.de/diglit/bcom1925/0200/image,info [9] F.Cumont, Recherches sur le symbolisme funéraire chez les Romains [10] E. Albertini « Note sur le sarcophage à scène nuptiale de Saint-Laurent-hors-les-Murs » Mélanges de l’école française de Rome Année 1904 24 pp. 491-512 https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-4874_1904_num_24_1_6328 [11] F.Benoit « Fouilles du Vieux-Port à Marseille » Bulletin de la Société nationale des Antiquaires de France 1947 p. 247 https://www.persee.fr/doc/bsnaf_0081-1181_1950_num_1945_1_4297 [12] Robert Turcan, « Les tondi d’Hadrien sur l’arc de Constantin », Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres Année 1991 https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1991_num_135_1_14938 [13] Mark D. Ellison « Visualizing Christian Marriage in the Roman World » https://core.ac.uk/download/pdf/216055347.pdf [14] Robert Couzin, « Right and Left in Early Christian and Medieval Art », 2021 [15] Recueil des notices et mémoires de la Société archéologique de la province de Constantine, 1876, Planche XV fig 2, Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54569328/f709.item [16] Musée de Tebessa, Catalogue Stephane Gsell p 16 planche I num 2
https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62479284/f27.item.r=lune [17] Leglay « Saturne Africain Monuments I. Afrique Proconsulaire » 1961
https://archive.org/details/Leglay1961SaturneAfricainMonumentsI.AfriqueProconsulaire/page/n176/mode/1up [18] « Notizie degli scavi di antichità », 1990, p 130
« Life, Death and Representation: Some New Work on Roman Sarcophagi », publié par Jas Elsner, Janet Huskinson, p 161 https://books.google.fr/books?redir_esc=y&hl=fr&id=pQjrqo62-IwC&q=161#v=snippet&q=161&f=false [19] Jean Jannoray, « La nécropole paléochrétienne de Saint Paul à Narbonne », Congrès archéologique de France, Volume 112, p 497 https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k32099993/f524.item.r=lune [20] Richard Abdy, Peter Mittag « Roman Imperial Coinage II.3: From AD 117 to AD 138 – Hadrian » https://books.google.fr/books?id=D8nYDwAAQBAJ&pg=PA38&dq=hadrian+aeternitas+sun+moon [21] José Ruysschaert « Lectures des illustrations du « Virgile Vatican » et du « Virgile romain « Monuments et mémoires de la Fondation Eugène Piot Année 1991 73 pp. 25-51
https://www.persee.fr/doc/piot_1148-6023_1991_num_73_1_1627