Les avocats de la partie civile s’associent aux réquisitions du ministère public plaident la culpabilité de tous les accusés.
Dans sa note de plaidoirie, ce 27 décembre 2022 au Tribunal criminel spécial, la redoutable avocate au barreau du Cameroun, de la partie civile, Me Xaverie Kangue attire l’attention de la Présidente et des membres du Tribunal sur le fait que « le véritable enjeu de ce procès est bien la fortune publique… dont la spoliation est un crime économique grave »
L’intégralité de la plaidoirie de Me Xaverie Kangue Ndong Ntah
« Madame la Présidente et les honorables membres du Tribunal,
Vous venez d’écouter Maître Atangana Ayissi un éminent confrère, il vous a fixé sur notre qualité de partie civile.
Nous avons suivi tous à l’audience du 13 décembre 2022 les brillantes réquisitions du Ministère Public, celui qui représente la société a requis de déclarer coupable sur tous les chefs d’accusation les accusés ici présents.
Nous partie civile qui représentons la victime l’Etat du Cameroun (Le Ministère des Finances) nous nous associons intégralement à ces réquisitions car elles nous semblent conformes aux éléments du dossier dont vous êtes saisi.
Au risque de paraître donc redondant, la voix de la partie civile va se taire sur tous les points développés savamment par le Ministère Public.
Mais cependant, la partie civile aimerait attirer votre attention sur le véritable enjeu de ce procès qui est bien la fortune publique, les deniers publics dont la spoliation est un crime économique grave.
En littérature la fortune est définie « comme la puissance censée distribuer le bonheur et le malheur sans règle apparente »
Jouy Herminet, lorsqu’il fait référence au pouvoir de la fortune disait « La fortune est cette puissance fictive et mystérieuse qui dispense au hasard les biens et les maux. La fortune est aveugle, changeante, inconstante, courtisée. Plus d’une fois, la fortune a fourni la preuve que tout en distribuant les places fait parfois de bien lourdes bévues »
Aussi, dans le cadre de cette plaidoirie à plusieurs voix, voudrais-je vous rappeler Madame la Présidente que le Tribunal Criminel Spécial a été créé par la loi N° 2011/028 du 14 décembre 2011 modifiée et complétée par la loi N° 2012/011 du 16 février 2012. Il est donc l’illustration d’une volonté politique de lutter contre les détournements de deniers publics, les infractions connexes punies par le Code Pénal dont la corruption et le blanchiment des capitaux réprimés au niveau international.
Mais 10 ans plus tard, après ce rêve généreux pour une bonne gouvernance, ces mêmes détournements, corruption et blanchiment ont repris mais avec une force décuplée entraînant un séisme dans les caisses de l’Etat qu’on a jamais connu.
Les marchés publics sont les moyens de prédilection de pratiques déviantes, de détournements de fonds publics, des atteintes à la probité publique aussi bien par le maitre d’ouvrage, ses collaborateurs, des prestataires qui interviennent dans les procédures de passation et d’exécution.
Faudra-t-il encore Madame la Présidente et honorables membres du tribunal attendre l’horreur des fonds vautours, qui rachèteront toute la dette de l’Etat du Cameroun pour que l’on se soucie de préserver durablement la fortune publique ?
Comme tant d’éminents juristes l’ont rappelé : « Le destinataire de tout droit c’est l’homme». Et c’est cette justice là que vous allez devoir rendre.
Depuis 27 mois ensemble ici nous cherchons la vérité, vous avec assiduité et attention, nous parfois écarté de ces longs débats par des obligations impératives ou par des malheurs de la vie.
Après cette audience, lorsque la voix de la partie civile se sera tue, vous entendrez un autre discours parce que nos propos et celles du Ministère Public appellent répliques.
Nous vous disons donc que deux discours vont s’affronter dans ce débat. Il vous appartiendra alors et à vous seuls, de rechercher puis de dire la vérité.
Mais sachez, Georges Braque a dit « La vérité n’a pas de contraire ».
Dans quelques jours, après les plaidoiries de la défense, vous allez délibérer sur la culpabilité.
Mais avant que vous ne vous retirez, Madame la Présidente et honorables membres du Tribunal vous relirez solennellement cette formule sempiternelle : « la loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus. Elle ne leur prescrit pas des règles desquelles ils doivent particulièrement dépendre. Elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de chercher dans la sincérité de leur conscience, quelles impressions sont faites sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense ».
Madame la présidente et honorables membres du tribunal, nous ne sortirons pas indemne de ce procès, nous resterons hantés par des souvenirs des sommes faramineuses entendus et consignés dans les PV d’enquête et interrogatoires tant sur le plan national qu’international par commission rogatoire.
Vous aurez avec vous dans la salle du délibéré ne l’oubliez pas, tous ceux qui étaient présent pendant les 27 mois, tous ceux qui ont vu, entendu les souffrances de l’Etat du Cameroun.
Vous, vous êtes des juges, oui Madame la Présidente et messieurs, la griffe qui signe, celle qui déchire, celle qui tue, il faut combattre le monstre pour qu’il ne frappe plus jamais. Il n’y a pas, il n’y aura pas deux poids deux mesures.
Ils ont grand tort ceux qui spéculent sur votre candeur, la justice sera dite par vous avec un écho qui résonnera à l’échelle du crime de détournement des deniers publics, de corruption et du blanchiment. »