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Magazine Environnement
Transportons-nous sur le littoral de la Méditerranée, aux environs de Montpellier, de Marseille, de Nîmes ou de Perpignan, dans un de ces terrains sablonneux si favorables à la culture du pin. Soulevons avec précaution les pierres ombragées, nous ne tarderons pas à rencontrer au gîte le solitaire grincheux que nous sommes venus déranger pour la satisfaction de notre curiosité et non pas du tout pour l'attrait de sa personne. C'est le fameux Scorpion occitanien (Scorpio occitaneus), ainsi baptisé de l'ancien nom du Languedoc, sa patrie. Au premier abord, on trouve à cet étrange petit animal quelque ressemblance avec un crustacé. il n'est ni bien gros ni bien grand, 5 à 6 centimètres de longueur seulement ; mais l'exiguïté de la taille n'empêche pas la méchanceté, au contraire. A peine l'avons-nous débusqué qu'il flaire un ennemi, il se soulève sur ses pattes, il dresse ses pinces d'un air querelleur et, relevant brusquement, jusque par-dessus sa tête, sa queue armée d'un aiguillon redoutable, il la projette à gauche, à droite, en avant, fouettant l'air avec une vigueur et une rage inconcevables. Et pourtant, que lui avons-nous fait ? Nulle offense. (si vous l'avez dérangé !) Ayons bien soin de ne pas nous laisser toucher par cette queue perfide : elle blesse et tue. La piqûre du Scorpion occitanien, bien autrement douloureuse que celle du Scorpion européen, est extrêmement dangereuse pour l'homme. (n'exagérons rien quand même) La petite plaie qu'elle occasionne gonfle, rougit, puis noircit, se tuméfie. Le membre piqué se couvre de pustules de mauvais augure, s'engourdit et finit par s'immobiliser. Bientôt la fièvre survient, accompagnée de frissons, de mouvements convulsifs, de vomissements et de syncopes prolongées. La durée du malaise est plus ou moins longue, suivant la constitution des individus piqués. L'issue a même quelquefois été fatale. Est-ce donc la seule piqûre du petit dard acéré qui cause tous ces désordres ? Non ; car la mort peut survenir sans son concours. Ceci demande quelques explications. Le Scorpion qui appartient, comme l'on sait, à la famille des Arachnides pédipalpes pédipalpes , est un animal bizarrement conformé. Le thorax, épais et lourd, se termine à la partie antérieure par deux fortes pinces ayant de l'analogie avec celles des crabes, et à la partie postérieure par une longue queue qui n'est en réalité que l'abdomen rétréci, puisque le tube intestinal la parcourt dans presque toute son étendue. Cette queue est formée de six anneaux dont le dernier, muni d'un aiguillon, est l'officine où s'élabore un poison subtil. Dès que le Scorpion est agité par la colère, l'épouvante ou la voracité, une gouttelette de liquide apparaît à la pointe de l'aiguillon. C'est le venin que cet empoisonneur tient constamment tout prêt pour l'inoculer à tort et à travers, car il est toujours sur la défensive. Toute petite proie piquée meurt au moment même où le poison pénétre dans la plaie. Mais, si d'une façon quelconque l'inoculation est arrêtée, la blessure n'est plus mortelle. Le Scorpion occitanien se cache avec soin, il fuit la lumière et se tient tout le jour dans son étroite bauge, véritable charnier rempli de débris de pattes, de corselets d'insectes, d'ailes et d'élytres, restes des nombreuses victimes de sa voracité ; il ne sort qu'à la nuit tombante pour aller à la chasse. Le Scorpion occitanien détruit et ne crée rien, il ne travaille que pour lui-même, et seulement quand il y est contraint et forcé. Le logis qu'il occupe n'est pas toujours son oeuvre : s'il ne trouve pas sous la pierre qu'il a choisie de cavité toute prête à le recevoir, il se fait, à la mesure de son corps, une galerie qu'il foule, qu'il tapisse d'une matière soyeuse à la manière de certaines Mygales. C'est dans ce gîte qu'il digère sans remords ses victimes et que, repu et non assouvi, il se tient tassé dans la position la plus abandonnée, les pinces étendues, la queue reposant sur le sable, courbée tantôt à droite, tantôt à gauche. Mauvais voisin, mauvais époux et mauvais père, on ne le trouve jamais qu'en compagnie de la vieille défroque qu'il a quittée à sa dernière mue. Hostile au genre humain, à toute espèce animale, le Scorpion occitanien est sans cesse en guerre même avec ses semblables. Le plus grand ennemi du méchant, n'est-ce pas le méchant ? Mme Gustave DEMOULIN - Article de 1880