Décalage horaire
Goûter à la nuit. Ces heures où la maison m’appartient, je peux décider du silence.
Ils dorment et j’ai tout mon temps, tous les choix.
Mes pensées voyagent où elles veulent, rien ne les dérange.
Mon livre dans le calme retrouvé a une autre saveur, j’entends mieux le sens des mots, je vois mieux ses visages et paysages.
Les sucreries ont le goût du chapardage, le lait celui de l’enfance.
J’entends la maison craquer, le chien souffle et soupire. Un oiseau ne dort pas non plus.
Deux heures, trois heures, je me glisse sans bruit dans la chambre obscure, puis dans le lit déjà chaud.
Je ne partagerai pas leur petit déjeuner, hâtif.
Nos jours la semaine, sont séparés. Je me lève dans une maison désertée. Je pense à eux dans mes gestes, je prévois leurs besoins, je précède leurs désirs, je suis l’intendante de leur vie.
Les soirées sont nôtres, animée et gaie, popote et papotage, révisions et câlins, rires et jeux de mots.
Puis ils s’effacent. Se lassent. S’endorment.
Goûter à la nuit. De nouveau ce sont mes heures.
Décalage horaire.
Je ne peux plus m’en passer. Je perds des heures de leur présence mais j’y gagne la mienne. Face à face nécessaire à mon équilibre, solitude sans son amertume, liberté.
Godnat