Etoffe de soie rehaussée de dessins brochés d’or et d’argent. Le terme de brocart a souvent été appliqué à des soieries brochées richement décorées. On dénombre en France trois principaux centres historiques de fabrication : Lyon, Tours et Saint-Maur. Mais les exemplaires les plus anciens sont chinois et datent à peu près du début de notre ère. De là, le travail de la soie s’est étendu aux régions perses et byzantines.
Le développement de cette industrie à Byzance et, plus tard, en Italie et en France, est capital pour l’Europe, le brocart n’étant que l’une des expressions de ce qu’il est convenu d’appeler la « civilisation de la soie ». Au cours de périodes successives d’intense rayonnement culturel, ces trois puissances vont donc se relayer dans la production de ces étoffes ouvragées : Byzance (800-1200), l’Italie (1200-1600) puis la France (1600-1800).
Byzance – Le véritable brocart d’or existe déjà à Byzance. On prépare le métal au tissage selon diverses méthodes ; la plus commune consiste à tremper une fine lanière de cuir ou de boyau dans de l’or fondu. Parfois, on se sert d’une âme de soie autour de laquelle on enroule un fil d’or ou d’argent, ou d’un fin ruban de métal pur. L’Eglise et la cour impériale sont de fervents amateurs de ces textiles précieux ornés de figures héraldiques et d’animaux, souvent placés à l’intérieur d’un médaillon. Ces motifs s’inspirent du décor post-classique et des tissus orientaux.
Italie – Entre 1000 et 1200, la Sicile se lance dans la production de soieries imitant les étoffes byzantines. Le même phénomène se produit dans le nord du pays, mais de façon plus durable. L’importation de modèles chinois déclinant fortement avec la perte des comptoirs italiens en Orient, une industrie de tissage s’organise, afin de satisfaire les besoins en produits luxueux de la riche et puissante bourgeoisie. Dépassant dans leur élan le marché intérieur, les villes de Lucques, Gênes, Venise et Florence exportent bientôt vers l’Europe entière.
A cette époque, la fabrication du brocart, souvent sur fond de velours, atteint un degré de raffinement qui ne sera jamais surpassé. Au début, les motifs empruntent aux soieries byzantines ; plus tard, vers le XIVème siècle, apparaissent des fleurs et des animaux d’un style naturaliste, remplacés au XVème siècle par de grands dessins nets, souvent ornés d’un décor caractéristique de grenade. La chaîne et la trame de fond des pièces de velours peuvent être entièrement en or, brochées d’ornements de velours de différentes épaisseurs. Les couleurs sont peu nombreuses, mais combinées de manière originale et raffinée : saumon, vert pomme et argent, ou bordeaux et turquoise, par exemple. On utilise ce tissu tant pour l’ameublement que pour les vêtements, la mode de la Renaissance italienne s’accordant parfaitement avec les étoffes à larges dessins. Beaucoup de ces étoffes font aujourd’hui partie des trésors des églises d’Europe, notamment sous forme de chasubles.
En 1472, il existe à Florence 84 ateliers de tissage de soie et au moins 7 000 métiers. Les brocarts de ce pays sont extrêmement coûteux, autant en raison des matériaux que des méthodes de fabrication. Les Italiens s’avèrent incapables, au cours du XVIIème siècle, de répondre aux nouvelles exigences de la mode française, qui réclame des étoffes plus légères et moins chères. La production passe ainsi lentement aux mains de leurs voisins. Cependant, les Italiens resteront longtemps parmi les fournisseurs les plus prisés de ces tissus, réservés désormais à l’ameublement et plus particulièrement aux tentures.
France – Dans l’espoir de supplanter l’Italie du Nord, la France développe, depuis le XVème siècle, une industrie de la soie qui atteindra son apogée aux XVIIème et XVIIIème siècles, avec la fabrication des brocarts. La priorité sera donnée, de ce côté-ci des Alpes, aux étoffes destinées aux vêtements. Les tissus à la mode doivent être doux et tomber gracieusement, à l’exemple des ouvrages brochés, moins lourds que les tissus lancés.
Au début, les motifs français ne se différencient que légèrement de celui de la grenade. Plus tard, particulièrement au XVIIIème siècle où le brocart atteint son plus haut niveau, tant par la qualité du tissu que par son dessin, l’inspiration devient plus libre, les décors plus naturels. L’influence chinoise est parfois sensible dans le choix des sujets et des coloris. Les ornements obtenus par le jeu subtil des couleurs distinguent les ouvrages français des italiens. Outre l’or et l’argent, les étoffes les plus fastueuses comptent jusqu’à cinquante teintes différentes. Le plus grand artiste de cette époque, Philippe de Lasalle, n’utilise pratiquement pas de métal, mais se sert de soies aux riches nuances et s’appuie sur une admirable connaissance des diverses techniques de brochage et de leurs variations Bien que la plupart des « villes de la soie », Lyon en tête, produisent surtout pour la confection des vêtements, on destine aussi de merveilleux brocarts de velours et de soie à l’ameublement des salles d’apparat des cours princières.
Les changements radicaux causés par la Révolution freinent la production de cette spécialité. Elle retrouve une certaine faveur sous le règne de Napoléon, mais on la réserve alors aux meubles et aux tentures. D’autres pays cherchent à rivaliser avec la France, qui exporte ses brocarts à travers l’Europe entière. Les excellents ateliers anglais de Spitalfields comptent de nombreux huguenots français, émigrés a^près 1685 pour des raisons religieuses ; on y fabrique des soieries différant de la production continentale essentiellement par les couleurs.
La fabrication du brocart de soie, d’or ou d’argent est une opération longue et délicate. Chaque coloris du motif doit être introduit par sa propre navette. Aux XVIIème et XVIIIème siècles, les tentatives de simplification et de rationalisation de cette méthode se succèdent, mais ce n’est qu’après 1800 que Jean-Marie Jacquard parvient à construire un métier à tisser qui remplacera bientôt tous les autres.
Source : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1989, volume 3.