Une collection exceptionnelle chez Sotheby's

Jean-Baptiste de Proyart, expert en livres anciens, n'hésite pas à dire "On voit des exemplaires de ce calibre-là tous les trente ou quarante ans". Pour des raisons de succession, les quatre petits-enfants du diplomate Jorge Ortiz Linares, 1894-1965, vendaient ces pièces rares qu’il avait réunies dans son hôtel particulier du 34 avenue Foch dans le XVIe arrondissement de Paris. Ambassadeur de Bolivie en France de juin 1947 à octobre 1948, il était par ailleurs le gendre de Simón Iturri Patiño (1er juin 1862-20 avril 1947), dont il avait épousé une des filles, Graciela. Le Bolivien Patiño, un des hommes les plus riches du monde, "roi de l’étain" ou "Rockefeller des Andes", vivait à Paris après ses activités dans l'industrie minière au début du XXe siècle. Jorge Ortiz Linares était un collectionneur passionné qui recherchait particulièrement les éditions rares de la littérature hispano-américaine et Anne Heilbronn, directrice du département des livres et manuscrits de Sotheby’s Paris, déclare “Il a collectionné de grandes œuvres espagnoles et celles liées à l’Amérique latine, mais aussi de grandes œuvres françaises”.

Dans les années 1930, Jorge Ortiz Linares achetait à la librairie Maggs de Londres la troisième édition du livre I parue en 1608 et une première édition du livre II de Don Quichotte de Miguel de Cervantes Saavedra. Il les avait payées respectivement 100£ et 750£ à l’époque. Cette troisième édition parue trois ans après la première fut la dernière imprimée du vivant de Cervantes, décédé le 22 avril 1616 à l’âge de 68 ans, et corrigée par lui. Comme le précise Anne Heilbronn "toutes les traductions qu'on a aujourd'hui viennent de cette troisième édition". Et elle ajoute que ce qui rend ces livres "uniques", c'est qu'ils ont été reliés au XVIIIe siècle pour un collectionneur anglais et qu’il est très rare de trouver des Don Quichotte avec des reliures aussi anciennes. Les deux volumes ont trouvé preneur pour 504.000€ frais inclus, ils avaient été estimés entre 400.000 et 600.000€. La maison de vente rappelle que les premières éditions du livre I de Don Quichotte sont rares car elles étaient envoyées en grand nombre en Amérique latine et beaucoup ont été perdues lors d’un naufrage près de La Havane.

George Ortiz, fils de Jorge Ortiz Linares et grand collectionneur lui-même, racontait que son père était entré chez Maggs après la publication en 1927 de ce qu’on a appelé le Spanish catalog, confectionné grâce à l’achat des livres du roi Manuel II de Portugal. Maggs Bros est "probablement le lieu le plus important pour le commerce international de livres anciens" y dit-on. Uriah Maggs avait fondé en 1853 une petite librairie devenue au fil des ans un établissement connu de tous les amateurs d’anciennes éditions. Actuellement, il est tenu par l'arrière-arrière-petit-fils du fondateur.

En 1936, Jorge Ortiz Linares apprend que Maggs propose deux éditions originales de Don Quichotte, le livre I, publié en 1605, et le livre II, imprimé en 1615, pour 3.500£, soit 174.000£ ou 201.000€ d’aujourd’hui. Mais quand il arrive à la librairie, on lui dit que les volumes ont été vendus. Il profitera de sa visite pour acheter trois autres raretés. Une première édition des Novelas ejemplares de Cervantes, imprimée en 1613; La Florida del Inca du poète Garcilaso de la Vega, fils d’une princesse inca et d’un conquistador espagnol, datée de 1605 et Hispania Victrix  de 1553, sur la conquête du Mexique, connue également sous le titre de Historia general de las Indias de Francisco López de Gómara, premier ouvrage à mentionner la Californie.

Parmi les autres oeuvres proposées lors de cette vente, on trouvait aussi une première édition du livre de gravures de Goya,  La Tauromaquía, et de grandes éditions originales d’auteurs français tels que Molière, Montaigne, Descartes, ou Montesquieu. Rédaction internationale En savoir plus sur cet auteur Dernier week-end des vacances. C’est la rentrée et nous nous l’affrontons tous en traînant nos galoches, ne sachant pas trop de quoi elle sera faite. Il y a un an, nous avions encore l’espoir que les problèmes et autres difficultés liés au Covid-19... LES BRÈVES