Technique qui consiste à transformer des fibres textiles en fil, en leur faisant subir deux opérations : la torsion et l’étirage. Pour exécuter ce travail à la main, il existe divers instruments dont les plus importants sont le fuseau et le rouet. A part certaines civilisations des tropiques et des régions polaires, l’homme a su, depuis la préhistoire, travailler les poils d’animaux et les fibres végétales pour en faire des cordes ou des fils de différentes épaisseurs.
La technique de filage la plus simple ne requiert aucun instrument : il suffit de rouler les fibres entre les doigts ou contre la cuisse. Ce procédé est encore employé dans certaines parties du monde pour faire des nattes, des sièges ou des semelles. Mais la plupart des fibres sont traitées plus finement.
Les principes de base du filage
Les plus simples des instruments de filage, et sans doute les plus anciens, sont le bâton à filer, au bout arrondi, et le crochet à tordre, sorte de hameçon grossier. Ces deux instruments représentent des méthodes divergentes par lesquelles on obtient des résultats différents. Les matières à fibres courtes, comme la petite laine des moutons primitifs, par exemple, requièrent en effet une technique de filage et des instruments autres que ceux qu’on emploie pour le filage des fibres plus longues, comme le lin ou certaines laines.
Tous les instruments de filage suivent l’un ou l’autre de ces principes de base. Selon la première méthode, celle du bâton à filer et de tous les fuseaux posés, les fibres sont enroulées en spirale vers la pointe du fuseau. En faisant tourner le fuseau, on fait glisser les spires de la mèche qui subit ainsi une torsion, sans être soumise à aucune tension durant le travail. Cette technique est bien adaptée au filage des fibres courtes qui ont subi une première parallélisation par le cardage : elle produit un fil doux, duveteux et isolant, le fil cardé.
Selon la seconde méthode, utilisée avec le crochet à tordre et tous les fuseaux de type suspendu, les fibres sont étirées avant d’être tordues par le mouvement circulaire du fuseau. Elles gardent ainsi au cours du filage l’orientation longitudinale et parallèle conférée au préalable par le peignage. Cette méthode donne un fil solide, lisse et ferme, le fil peigné.
Les deux appellations « peigné » et « cardé » s’appliquent couramment à la laine mais peuvent qualifier d’autres fils textiles, le coton par exemple. La parallélité des fibres, obtenue d’abord par le cardage, puis par le peignage, est un facteur de qualité majeur.
Un autre élément important du filage est le sens de la torsion. On file vers la droite ou vers la gauche. On dit des fils qu’ils ont subi un torsion « en S », lorsque la ligne de torsion suit le biais de la lettre S. A l’inverse, les fils sont dits « en Z », lorsque la ligne de torsion suit le biais de la lettre Z. Une tradition ancienne veut qu’on file les fils cardés en Z et les fils peignés en S.
Les fuseaux
On emploie encore le bâton à filer pour le travail du coton en Amérique du Sud et en Afrique septentrionale. Le crochet à tordre a été utilisé jusqu’au XIXème siècle dans certaines régions d’Europe, pour filer, entre autres, les crins de cheval. Mais le filage basé sur la torsion manuelle étant difficile et lent, crochet et bâton ont peu à peu été remplacés par des instruments plus sophistiqués. Le fileur, qui augmente la rotation du bâton en le roulant contre sa jambe, a dû constater qu’en alourdissant son instrument d’un poids, l’accélération s’accroît. Ainsi fut probablement inventé le fuseau posé, ou fuseau navajo. Le bas de ce fuseau d’assez grande taille est appuyé contre le sol ou posé dans un vase. Le fileur fait ensuite tourner l’instrument contre sa cuisse ou entre ses mains.
Le crochet à tordre fut également pourvu d’un poids, appelé fusaïole, sans pour autant perdre, à l’autre extrémité, le crochet ou l’encoche caractéristique : ainsi est né le fuseau suspendu. Mis en mouvement du bout des doigts, il tourne librement en l’air, étirant les fibres. Avant le filage, la masse à filer est placée sur une quenouille ; il s’agit d’un bâton, tenu sous le bras ou glissé dans la ceinture, d’où les fibres sont étirées jusqu’au fuseau.
Certaines civilisations n’ont jamais utilisé qu’une seule de ces deux méthodes. En revanche, dans les régions qui ont connu une production textile importante, on a distingué dès la préhistoire les deux techniques, la diversité des fils qui en résultaient et les différents instruments nécessaires. Ainsi, à l’époque de la Rome impériale, le fileur de cardés moelleux destinés aux vêtements fins recevait un salaire plus élevé que celui qui fabriquait au fuseau suspendu des fils plus raides et plus solides.
Les rouets
La plus ancienne représentation d’un rouet est chinoise et date de 1270. Cet instrument apparaît peu après dans les écrits et l’iconographie européens. Il existe deux types prédominants de rouets : le rouet à grande roue et le rouet à épinglier. Le premier, qui est le plus ancien, est encore utilisé en Asie et en Amérique du Sud, plus rarement en Europe. Le rouet à épinglier, qu’il soit vertical ou horizontal, est une invention européenne.
Le rouet à grande roue – Des appareils fonctionnant selon ce principe furent utilisés en Chine, en Inde et en Perse dès le XIIIème siècle, mais l’histoire du rouet à grande roue est sans doute plus ancienne encore. Les chercheurs s’accordent à penser que les Arabes ont introduit cette invention asiatique en Europe via l’Espagne. Il est constitué d’un fuseau placé horizontalement sur un support vertical, relié par une courroie de transmission et une poulie à une roue qui, mise en mouvement par la main, entraîne le fuseau. Le rouet à grande roue, relativement facile à fabriquer, transforma le filage en une opération nettement plus rentable. Cependant, sur ce grand rouet encombrant, filage et renvidage s’accomplissaient séparément, ce qui constituait une perte de temps.
Le rouet à épinglier – La plus ancienne référence à ce rouet est une illustration allemande de 1480 environ. L’épinglier est un dispositif, formé de deux ailettes garnies de crochets ou d’épingles, fixé sur le fuseau et dont le mouvement, entraîné par une roue, assure la torsion du fil. Les premiers rouets à épinglier étaient actionnés d’une main, l’autre étant employée à manipuler les fibres. A partir du XVIIIème siècle, des documents montrent un modèle dont la roue est actionnée par un mécanisme à pédale, libérant ainsi les deux mains. Le rouet à épinglier étant muni d’une courroie qui entraîne une bobine pour le fil, le filage et l’embobinage se font conjointement. Le résultat est un fil plus ferme que celui obtenu avec le rouet à grande roue et proche du fil peigné. La plupart des appareils sont munis d’une quenouille sur laquelle on dispose les fibres destinées à être filées.
La filature mécanique
Après l’invention de la navette volante en 1730, les opérations de tissage s’accélèrent considérablement. Il devenait impératif de mécaniser le filage afin d’assurer l’alimentation en fil de l’industrie textile. En 1767, l’artisan anglais James Hargreaves inventa la Spinning Jenny, une machine à filer construite sur le principe du grand rouet, tandis que celle de Richard Arkwright, inventée en 1769, s’inspirait du rouet à épinglier. Ce n’est que vers le milieu du XXème que les machines à filer construites sur les principes des rouet à main seront définitivement évincées par des techniques plus sophistiquées.
Le filage de la laine
La texture et la couche de cellules en forme d’écailles qui recouvre la laine en font, de toutes les fibres textiles, la plus facile à filer. Grâce à leur crêpelure, les fibres s’emmêlent inextricablement tandis que les écailles rebroussées s’agrippent les unes aux autres. La laine se présente sous des aspects variés ; longueur, épaisseur et texture déterminent le mode de filage à choisir. La maîtrise de ces connaissances n’est pas nouvelle ; l’un des plus célèbres exemples, le costume de la « fille de Skrydstrup », date de l’âge de bronze et a été découvert au Danemark. Chacune des dix sortes de fils de laine qui le composent – simple, double, en S, en Z, ferme, souple – a été utilisée dans un but bien déterminé. Il est probable que les fils peignées ont été confectionnés au fuseau suspendu tandis que le fuseau posé était utilisé pour les fils plus souples et ceux qui nécessitaient une forte torsion.
A partir du XIIIème siècle, le rouet à grande roue devint de plus en plus courant en Europe. Cependant, dès son apparition vers la fin du XVème siècle, le rouet à épinglier s’est imposé dans une bonne partie de l’Europe, aux dépens de son prédécesseur, pour le filage de la laine. Bien adapté au filage du peigné et, avec un peu de dextérité, utilisable pour la fabrication du fil cardé, le rouet à épinglier était aussi beaucoup plus maniable. Durant des siècles, la population paysanne a non seulement pourvu à ses propres besoins en fil de laine mais également, dans certains pays à terre pauvre, sur les landes par exemple, complété ses revenus en filant, tricotant et vendant les produits textiles réalisés en chambre.
Le filage du coton
Avant de filer les fibres de coton, il est nécessaire de les séparer des graines qui y adhèrent, opération appelée égrenage. Dans les régions où le filage du coton est traditionnel, l’Asie et l’Amérique du Sud principalement, le coton est généralement transformé en fil cardé. En Amérique du Sud, on emploie le fuseau posé tandis qu’en Asie, le coton se file sur un instrument dont le principe ressemble à celui du rouet à grande roue. Les fibres nettoyées sont d’abord grossièrement filées afin d’obtenir une mèche faiblement tordue qui est ensuite refilée et étirée. Cette technique, reprise par l’industrie textile du monde occidental, permet la fabrication de fils très légers, fins et aérés. C’est ainsi que pour préparer la célèbre mousseline Datta, on filait à la main 400 mètres de coton indien avec un gramme de matière ! Cette cotonnade indienne était poétiquement surnommée « brise tissée ».
Des manufactures de coton existaient en Europe dès le XIIIème siècle. Au début, l’industrie européenne se contentait d’importer le fil indien pour le tisser ; ce n’est qu’à partir de 1692 que la profession de fileur de coton est mentionnée dans les archives anglaises. A partir de 1730, on fabriquait des bas de coton à la machine à tricoter : pour avoir un fil qui résiste à la rudesse de cette machine, il fallait retordre 3 à 5 fils indiens.
Au cours du XIXème siècle, le coton remplaça graduellement le lin en Europe du Nord. Notons cependant que le filage du coton à la main n’a jamais été vraiment fréquent en Europe. Depuis l’introduction de la filature mécanique, la quasi-totalité des fils de coton employés par l’industrie textile et l’artisanat domestique est filée à la machine.
Le filage du lin
Après avoir été rouie, teillée et peignée, la fibre de lin filée donne un fil ferme, brillant et solide. Durant le filage, le fil est habituellement tordu en S, suivant la tendance de sa structure moléculaire qui tord la fibre dans cette direction durant le séchage : on obtient ainsi un fil lisse, sans parties rebroussées. Le lin est humidifié durant le filage, ce qui dissout partiellement la colle naturelle (pectine) qui soude les fibres entre elles.
Depuis la préhistoire, toutes les civilisations disposant de lin l’ont filé au fuseau suspendu et à la quenouille, en l’humidifiant de salive ou d’eau. Pour filer les fibres courtes, appelées étoupes, prélevées durant le peignage, on les tenait à la main près du fuseau.
A partir du XVIIème siècle, on utilisa en Europe le rouet à épinglier. Comme pour le travail au fuseau, les fibres de lin devaient être disposées sur une quenouille. On les y fixait à l’aide d’un lien, d’un ruban ou d’une chambrière de fileuse, pièce d’étoffe ou de papier souvent joliment décorée. De la quenouille, les fibres légèrement humidifiées étaient étirées jusqu’à l’épinglier et tordues. Certains rouets étaient munis d’un bol à eau dans lequel le fileur pouvait tremper ses doigts durant le travail. Pour filer l’étoupe, on disposait les fibres sur une sorte de couronne dentée posée à la place de la quenouille. Dans les pays scandinaves, renommés pour leurs tissages de lin, la maîtresse de maison se réservait le travail des longues fibres de lin et laissait aux autres femmes de la maison, principalement aux fillettes, le soin de filet l’étoupe.
Contrairement au coton, le lin est une fibre que l’on a longtemps filée à la main, même après l’apparition, entre 1830 et 1840, de la machine à filer le lin, car les longues fibres raides sont difficiles à travailler industriellement. Peignées et parallélisées, elles doivent être écartées les unes des autres, étirées et mises en mèches, puis filées en deux fois. Le second filage peut être exécuté au sec ou au mouillé. L’étoupe est cardée comme le coton avant le filage à la machine.
Le filage du chanvre
Filé à la main, le chanvre se travaille à peu près comme le lin. Cependant, la structure de sa fibre, qui se tord naturellement en Z, demande ce type de torsion. En outre, les fibres de chanvre sont parfois si longues qu’il est nécessaires de les casser avant le filage (on ne les coupe jamais, leurs extrémités deviendraient tranchantes). Les pêcheurs des pays maritimes de l’Europe de l’ouest fabriquaient autrefois des filets de pêche avec du chanvre, filé sur un fuseau à la main ou sur un instrument en forme de crécelle.
Source : « Autour du Fil, l’encyclopédie des arts textiles », Editions Fogtdal, Paris, 1990, volume 10.